L’étroit couloir était décoré de chaque côté par des cadres et entre eux se trouvaient des encadrements de porte, immenses et ouverts, sans rien à l’intérieur. De quel côté devait-elle se diriger ? Il n’y avait aucun panneau, aucune indication de l’endroit où pouvait se trouver le propriétaire. Avançant doucement, Lex jeta un œil à travers la première ouverture pour voir des étagères superposées, remplies aléatoirement de vieux livres, certains tellement anciens que leurs tranches s’effritaient. Le plafond était bas et semblait s’enfoncer au milieu de la pièce, comme s’il supportait trop de poids. Un tapis à motif rouge était étendu sur le sol, il montrait des traces d’usures le long des plaintes.
Au moins, il y avait des livres, ce qui signifiait qu’elle était bien au bon endroit. Mais il n’y avait pas de comptoir, personne en vue et Lex n’avait aucune idée du type de livres qu’elle voyait. La plupart d’entre eux n’avaient carrément plus de titre et les autres n’étaient presque plus lisibles. Elle s’approcha et en toucha délicatement un, se demanda quel genre de texte renfermait la couverture.
Quelque chose s’empara de son cœur, une sorte d’aura. La façon dont les livres étaient posés sur les étagères était à la fois familier et réconfortant. Lex fut presque embarrassée de sentir des larmes perler au coin de ses yeux. C’était comme si son père se trouvait juste derrière elle, et qu’il regardait par-dessus son épaule. Ce bois… n’était-ce pas le même genre d’étagère qu’il utilisait dans son magasin ?
Lex s’arracha aux livres étrangement nus et regarda par l’ouverture de l’autre côté de la pièce. Elle commençait à croire que ce bâtiment était autrefois une maison, les pièces étant séparées selon l’usage. Peut-être un petit salon et ici, dans la pièce suivante un espace ouvert, plus grand. Pour diner ou recevoir des visiteurs. Mais plus important, c’était dans cette pièce que se trouvait le comptoir, et Lex s’en approcha, soulagée.
Il n’y avait personne derrière. Elle observa ce nouvel espace. La lumière affluait par les fenêtres qui lui avaient paru sombres et minuscules de l’extérieur, diffusant les rayons du soleil qui s’accrochaient à la poussière flottant dans l’air. Lex dut reprendre son souffle lorsqu’elle vit la caisse enregistreuse. Elle n’en était pas certaine, mais de derrière, ne ressemblait-elle pas exactement à celle que son père avait utilisée toutes ces années auparavant ?
Elle s’imagina devant celle-ci, parlant joyeusement avec un client qui cherchait des recommandations et qui ressortirait sans nul doute avec son nouveau roman favori. Oui, elle pouvait s’y voir. Elle voulait ce travail. Elle le voulait beaucoup plus que retourner dans son ridicule bureau de Boston. Ce serait tellement mieux.
Le sol n’était pas droit, trop vieux, le parquet tordu recouvert d’un autre tapis dans ce grand espace. Ce tapis était plus complexe, rempli d’images de renards chassant des lapins, de cavaliers chassant des renards. On pouvait également observer d’autres créatures, comme des licornes, des ours, des loups, tous se faufilaient dans un enchevêtrement de troncs d’arbres. Le motif formait des lignes droites le long des bords du tapis. Au centre des lignes abstraites tourbillonnaient et semblaient représenter les épines d’un buisson. L’ensemble était fascinant, comme s’il avait été récupéré chez son arrière-grand-mère avant sa mort et posé là pour accueillir les clients. Lex ne pouvait s’empêcher de le fixer, envoutée par le motif, ses yeux suivant toutes les arabesques et les épines.
Il y avait une vieille sonnette sur le comptoir. Lex la frappa après un moment d’hésitation. Elle fit un tintement plaisant mais son volume la fit légèrement grimacer. Cette pièce était mieux organisée. Les livres sur les étagères étaient en meilleur état et deux tables en travers de l’espace central étaient classées par genre. L’une d’elles avait une pancarte annonçant « Exposition d’auteurs locaux » tandis que l’autre présentait « Les livres sur le Massachusetts ». Lex pencha la tête pour déchiffrer quelques titres sur les étagères : Les Haies de Grande-Bretagne : Conte de Vagabond, Les histoires des Dix-sept Nouvelles Colonies, Six herbes aromatiques essentielles et leurs utilisations.
De quel type de magasin s’agissait-il exactement ? Quelle était sa spécialité ? Était-ce des faits ou des fictions, de l’histoire ou des guides ? Lex se retourna et observa l’étagère sur l’autre mur : Se battre avec des Idiots, 100 Raisons d’adopter un chat, Les Rituels et Pratiques du Moyen-Orient. Y avait-il une quelconque organisation ? Si c’était le cas, elle ne la voyait pas.
– Ah !
Un homme émergea derrière le comptoir, tête baissée. Il devait sortir de l’escalier qui se trouvait derrière lui et il la regarda en souriant.
– Vous devez être…
– Alexis Blair, termina Lex.
– Mon entretien, acquiesça-t-il.
Lex essayait de deviner son âge, sans doute plus vieux que ne l’aurait été son père. Ses cheveux parfaitement plaqués étaient gris et il était rasé de près.
– Bien, bien, j’étais à l’étage et je ne vous ai pas entendu entrer.
– Je me suis un peu égarée en chemin, dit Lex se fustigeant immédiatement.
Pourquoi s’excusait-elle de son retard alors qu’il ne l’avait pas remarqué ?
– Quelqu’un a été assez gentil de m’indiquer le chemin. Vous devez être Montgomery ?
– C’est bien ça, exactement. Vous avez visité un peu ? demanda-t-il.
Il avait l’air content qu’elle ait reçu de l’aide ou peut-être qu’elle ait deviné son identité. Lex n’était pas sûre.
C’était un personnage étrange. Tout comme le propriétaire d’ Objets Trouvés près de la Mer , Montgomery portait un gilet cintré, d’une teinte de marron assez semblable à celle du costume de Lex, parfaitement assorti à un nœud papillon de la même matière. On pouvait aussi apercevoir sous son gilet une chemise blanche recouverte de petits canards, que Lex pouvait clairement discerner maintenant qu’il s’était approché.
– Pas encore, admit-elle. J’ai jeté un œil dans la pièce de l’autre côté du hall.
Ce qu’elle avait vu lui avait suffi, cet endroit était merveilleux. Si elle travaillait ici, elle obtiendrait toute l’expérience dont elle avait besoin. De plus, cela remplirait un manque qu’elle n’avait jusque-là pas remarqué. Le besoin d’être connecté avec son père qui semblait se dégager de tous les recoins de ce bâtiment.
– Suivez-moi, allez, suivez-moi, dit Montgomery lui faisant signe de le rejoindre derrière le comptoir. Nous devons commencer.
Au dos de son gilet se trouvait une étiquette parfaitement placée indiquant $3.99. Lex supposa qu’elle s’était décollée de l’un des livres et accrochée à ses vêtements. Elle résista à l’envie de l’attraper pour la décoller de peur qu’il ne la surprenne.
Lex sentit son pouls s’accélérer à ses mots, alors qu’elle passait derrière le comptoir. C’était la partie de l’entretien qu’elle redoutait. Non pas qu’elle ne sache pas s’exprimer, ou qu’elle ne pense pas être assez qualifiée pour ce travail. C’était juste qu’elle n’arrivait pas à se faire apprécier des gens facilement, du moins pas lors d’une brève conversation.
Elle essaya tout de même de se calmer, s’efforçant à sourire et à renvoyer une expression avenante avant de suivre Montgomery. Il attendit qu’elle le rejoigne, lui indiquant un escalier étroit qui n’avait pas l’air très sûr.
– Par ici, par ici, dit-il. Nous allons monter. Vous pourrez voir la…
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