Elle aimait bien cet endroit, se dit-elle en pénétrant dans la première boutique qui était remplie de vêtements d’occasions de toutes les époques. Elle prit quelques instants pour parcourir les portants, touchant une robe en perles et en sequins par ci, un manteau de velours par là. Cette odeur de renfermé qui semblait toujours flotter autour des objets de seconde main emplissait l’air, la faisant sourire. Elle était excitée à l’idée de travailler de nouveau dans une librairie d’occasion. Même si elle essayait de se souvenir qu’il ne s’agissait que d’un entretien, elle ne pouvait s’empêcher de se réjouir. Les souvenirs de son enfance remontaient à la surface.
Lex quitta la friperie et fit quelques pas le long du trottoir, admirant le dessin d’une sirène peinte sur les planches décolorées par la météo du magasin suivant. Un coup d’œil par la fenêtre lui permit d’apercevoir un étalage d’appâts de pêche sophistiqués, ainsi que de grands filets et quelques cannes. Une femme qui avançait sur le trottoir dans sa direction lui fit un sourire en la dépassant et Lex lui sourit en retour. Le rythme était plus calme ici, pas aussi agité. Les gens ne se bousculaient pas sans respect et chaque entreprise avait l’air d’être indépendante. Lex ne put s’empêcher de comparer cet endroit à celui où elle vivait et travaillait, à la façon dont personne ne semblait avoir le temps de s’accorder un regard.
Le magasin suivant s’appelait Objets Trouvés près de la Mer . Regardant par la fenêtre, Lex ne put résister à l’envie d’y faire une petite visite.
Les présentoirs et étagères étaient remplis de toutes sortes de curiosités ; du bois flotté sculpté dans d’étranges formes puis creusé pour servir de pots à crayons, de porte-manteaux ou de presse-papiers. Il y avait des cailloux polis par la houle et sertis de décorations et d’inscriptions, des bocaux remplis de sable coloré réparti artistiquement en différentes couches.
Lex vit une assiette en verre avec un paysage créé à l’aide de sable blanc et noir, à côté se trouvait un message parfaitement calligraphié qui disait « retournez-moi ». Intriguée, elle la souleva et la reposa dans l’autre sens. Elle observa émerveillée le sable retombé à travers un liquide pour créer un nouveau paysage.
– On dirait de la magie, n'est-ce pas ?
Lex se retourna et vit qu’un homme la regardait avec une expression amusée. Il était plus petit et plus vieux qu’elle avec une épaisse chevelure et barbe d’une teinte rousse qui tendait maintenant vers le gris. D’épaisses lunettes étaient posées sur le bout de son nez et on pouvait apercevoir une légère bedaine sous le gilet vert qu’il portait.
– C’est très spécial, acquiesça-t-elle, reportant son attention sur les derniers grains qui retombaient. Je suppose que la viscosité du liquide permet au sable de bouger plus lentement pour créer ces couches.
Le vendeur rit doucement.
– Ah… un esprit logique, dit-il. On ne vous la fait pas à vous ?
Lex sourit.
– J’aime savoir comment les choses fonctionnent, dit-elle.
Elle fut frappée par le fait que l’homme était amical, calme et accueillant. Il n’essayait pas de lui vendre quelque chose à tout prix. C’était rafraîchissant. En ville, les chaînes de magasins ne pensaient qu’aux ventes.
– Eh bien, vous seriez peut-être curieuse de voir nos ateliers, dit-il. Ses yeux étaient grands ouverts derrière ses verres. Il lui indiqua une affiche collée sur la fenêtre. Ils se tiennent le dernier vendredi de chaque mois. Ils sont gratuits et vous pourrez me voir transformer certains trésors de la mer pour qu’ils deviennent les objets que vous voyez ici.
– Ça a l’air super, dit Lex. Je passerai peut-être si je suis dans le coin.
– Vous venez voir un ami ? demanda le vendeur.
Il retourna à son comptoir, derrière une vieille caisse enregistreuse. Le magasin était assez petit pour que Lex puisse continuer de converser avec lui.
– En fait je suis ici pour un entretien d’embauche, dit-elle en regardant sa montre. Oh non… je… je dois y être dans quelques minutes. Je ferai mieux de me dépêcher !
– Bonne chance mademoiselle ! lui cria le vendeur alors qu’elle courait vers la porte. Elle lui lança un sourire de remerciement par-dessus son épaule tandis que la cloche située au-dessus de la porte d’entrée annonçait son départ.
Lex se dépêcha de descendre la rue jusqu’aux quais puis de tourner pour rejoindre le parking. Elle retrouva rapidement ses marques, vérifia la carte sur son téléphone puis se dirigea dans un dédale de rues pavées, toutes plus étroites les unes que les autres. Elle essayait de trouver le bon équilibre entre être à l’heure et ne pas arriver complètement en sueur.
Elle s’arrêta, observant les alentours, confuse et vérifia sa carte qui indiquait que le magasin se trouvait exactement devant elle. Où était-il ? Elle ne voyait pas la façade qu’elle avait repérée sur Internet et la plupart des bâtiments avaient l’air plus résidentiels que commerciaux.
– Vous êtes perdue, mademoiselle ? déclara une voix cassée derrière elle.
Lex se retourna, paniquée puis baissa les yeux. Une petite dame d’un certain âge se tenait là et l’observait la tête en l’air.
– Euh… Je pense que oui, répondit Lex. Je cherche La Curieuse Librairie .
– Vous êtes sûre ? demanda la femme avec méfiance. Vous n’avez pas l’air de l’une de leurs clientes. Vous avez le bon magasin ?
Lex cligna des yeux.
– Ou… oui, j’en suis sûre.
À quoi était censé ressembler un client de La Curieuse Librairie ? Était-ce une bonne ou une mauvaise chose qu’elle n’en ait pas « l’air » ?
– Passez par là, dit la femme en levant le bras pour lui indiquer la rue suivante. Vous êtes presque arrivée.
– Merci ! lança Lex par-dessus son épaule.
Tout en se dépêchant, elle se fit la réflexion qu’elle aimait de plus en plus les gens d’ici.
Le magasin apparut devant elle dès qu’elle tourna. Une copie conforme aux photographies trouvées sur le net. Ses briques contrastaient avec les boiseries des encadrements de fenêtres et l’immense porte en bois. Le nom de l’enseigne écrit en lettres de cuivre avaient verdi avec les années.
Lex inspira profondément pour calmer ses nerfs. Elle espérait ne pas être en sueur ou débraillée après sa course folle à travers les rues. Elle commença à examiner son reflet dans l’une des fenêtres avant de se rendre compte qu’elle pouvait être vue par les personnes qui étaient à l’intérieur. Elle préféra s’approcher de la porte.
L’encadrement était abimé et écaillé, encore un signe de l’histoire et de la personnalité du bâtiment. Ces marques étaient anciennes et les mains qui les avaient créées n’étaient sûrement plus de ce monde. Lex tendit la main vers la poignée et en profita pour regarder sa montre. Elle vit avec horreur qu’elle avait déjà quelques minutes de retard et ouvrit la porte en grand pour entrer.
Au-dessus de sa tête, un doux tintement retentit pour annoncer son entrée, plus discret que celui de la boutique Objets Trouvés près de la Mer . Il y avait un paillasson défraîchi au sol et elle s’essuya instinctivement les pieds, ne voulant pas laisser entrer de saletés. Son cœur battait la chamade, tandis qu’elle cherchait des yeux l’homme qui était censé la recevoir.
Elle s’attendait à entrer dans une librairie, mais ce qu’elle vit la surprit : un long couloir s’étendait devant elle vers le fond du bâtiment. Le parquet était ancien et déformé, il n’était pas recouvert de moquettes ou de tapis, ce qui donnait l’impression que la surface se gonflait et roulait comme la mer.
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