Pietro Aretino - L'oeuvre du divin Arétin, deuxième partie
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- Название:L'oeuvre du divin Arétin, deuxième partie
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- Издательство:Иностранный паблик
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- Год:неизвестен
- ISBN:http://www.gutenberg.org/ebooks/43822
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Nanna. – Quelle colère, quelle fureur, quelle rage, quelle manie, quels battements de cœur, quelles pâmoisons, quelle moutarde est la tienne! Fastidieuse enfant que tu es!
Pippa. – La mouche me grimpe de ce que vous ne voulez pas me faire courtisane, comme vous l'a conseillé Monna Antonia, ma marraine.
Nanna. – Il faut plus que d'entendre sonner trois heures 1 1 Neuf heures du matin.
pour dîner.
Pippa. – Vous êtes une marâtre! Hou! hou!
Nanna. – Tu pleures, ma petite poupée?
Pippa. – Je veux pleurer, bien sûr.
Nanna. – Renonce d'abord à la fierté, renonces-y, te dis-je, parce que si tu ne changes pas de façon, Pippa, si tu n'en changes point, tu n'auras jamais de brayes au derrière. Aujourd'hui le nombre des putains est si grand que celle qui ne fait pas de miracle en l'art de savoir se conduire n'arrive pas à joindre le dîner au goûter. Il ne suffit pas d'être un friand morceau, d'avoir de beaux yeux, de blondes tresses: l'adresse ou la chance seules se tirent d'affaires; le reste n'est rien.
Pippa. – Oui, à ce que vous dites.
Nanna. – Et cela est, Pippa. Mais si tu entres dans mes vues, si tu ouvres les oreilles à mes préceptes, bonheur à toi, bonheur à toi, bonheur à toi!
Pippa. – Si vous vous dépêchez de faire de moi une signora, je les ouvrirai bel et bien.
Nanna. – Pourvu que tu veuilles m'écouter, que tu cesses de bayer au moindre poil qui vole et d'avoir l'idée aux grillons, comme à ton ordinaire, quand je te parle dans ton intérêt, je te jure et je te rejure par ces patenôtres que je mâchonne toute la journée qu'avant quinze jours au plus tard je te mets en perce.
Pippa. – Dieu le veuille, maman!
Nanna. – Veuille-le d'abord, toi.
Pippa. – Je le veux, ma chère maman, ma petite mère en or.
Nanna. – Si tu le veux, ainsi le veux-je moi-même, et sache, ma fille, que je suis plus que certaine de te voir monter plus haut que n'importe quelle favorite de pape; je te vois déjà au ciel. Écoute-moi bien.
Pippa. – Je suis toute à écouter.
Nanna. – Ma Pippa, quoique je fasse croire au monde que tu n'as que seize ans, tu en as vingt, clairs et nets: tu es née un peu après l'issue du Conclave de Léon 2 2 Jean de Médicis fut élu pape le 11 mars 1513; il prit le nom de Léon X.
; quand on criait partout: Palle! Palle! 3 3 C'est-à-dire: Balles! Balles! Tout le monde connaît les armes des Médicis. Palle! Palle! était également le cri de guerre.
moi je bramais: Holà! holà! et l'on pendit l'écusson des Médicis au-dessus du portail de Saint-Pierre juste au moment où je te faisais.
Pippa. – Raison de plus pour que vous ne me reteniez pas davantage à vendanger le brouillard; ma cousine Sandra me l'a dit, on n'en veut plus, par le monde, que de onze à douze ans: les autres n'ont plus de cours.
Nanna. – Je ne te dis pas non, mais tu n'en parais pas quatorze et, pour en revenir à moi, je t'avertis de m'écouter sans rêvasser à autre chose. Imagine-toi que je suis le maître d'école et toi le marmot qui apprend à épeler ou, mieux encore, que je suis le prédicateur et toi le chrétien; si tu veux être le marmot, écoute-moi comme il fait, quand il a peur d'être planté à cheval; si tu aimes mieux être le chrétien, applique-toi à me comprendre tout comme écoute le prêche celui qui ne veut pas aller dans la maudite maison.
Pippa. – Ainsi fais-je.
Nanna. – Ma fille, ceux qui jettent leur fortune, leur honneur, leur temps et eux-mêmes derrière les garces se lamentent continuellement du peu de cervelle de celle-ci et de celle-là, tout comme si c'était parce qu'elles sont des folles qu'elles les ont ruinés; ils ne s'aperçoivent pas que ces billevesées dont leurs têtes sont pleines, à elles, sont leur bonheur, à eux, et ils les méprisent, ils les insultent. C'est pourquoi j'ai délibéré que par ta sagesse tu leur fasses toucher du doigt quel triste sort attendrait les malheureux qui tombent par chez nous, si les putains n'étaient toutes des voleuses, des traîtresses, des ribaudes, des écervelées, des ânesses, des sans-souci, des coquines, des pas grand'chose, des soulardes, des ignares, des vilaines, le diable et pire.
Pippa. – Pourquoi vous?
Nanna. – Parce que si elles avaient autant de qualités qu'elles ont de vices, les gens à qui tant de trahisons et de filouteries que l'on voit de jour et de nuit se commettre ont fini par ouvrir les yeux, après les avoir supportées des six, sept et dix ans, vous les enverraient à la potence et auraient plus de plaisir à les regarder tirer la langue qu'ils n'ont eu de déplaisir à se voir toujours voler leur argent. S'il y en a tant qui se meurent de faim, tandis qu'elles nourrissent à leurs dépens la lèpre, le chancre et le mal français, c'est grâce à ce qu'elles n'ont jamais eu une heure la tête à leurs affaires.
Pippa. – Je commence à comprendre.
Nanna. – Comprends-moi donc et fiche-toi bien dans la tête mes épîtres et mes évangiles; ils te mettent au fait en deux mots, rien qu'à te dire: si un docteur, un philosophe, un marchand, un soldat, un moine, un prêtre, un ermite, un seigneur, un monseigneur, un Salomon devient une bête entre les mains d'une de ces grandes folles, comment crois-tu que les femmes qui ont du sel dans la citrouille arrangeraient les vieux papas?
Pippa. – Elles les arrangeraient mal.
Nanna. – Donc le métier de putain n'est pas un métier de sotte, et moi qui le sais bien je ne me dépêche pas, en ce qui te regarde. Il faut savoir autre chose que relever ses jupes et dire: «Va, j'y suis»; à moins qu'on ne veuille faire banqueroute le jour même où l'on ouvre boutique. Pour en venir à la moelle, il arrivera que, dès qu'on te saura entamée, beaucoup voudront être les premiers servis; moi je ressemblerai à un confesseur qui réconcilie une foule, tant j'aurai de «pchitt! pchitt!» murmurés dans mes oreilles par les entremetteurs de celui-ci ou de celui-là; tu seras toujours retenue d'avance par une douzaine. Si bien qu'il nous faudrait que la semaine eût plus de jours que n'en a un mois entier. Tiens, me voici dans mon rôle, en train de répondre au valet de messire un tel: «Il est vrai que ma Pippa s'est laissé pincer, Dieu sait comment! Ah! vache de commère! ruffiane de commère! tu me le payeras. Ma pauvre fille est plus pure qu'une colombe; il n'y a pas eu de sa faute, et, parole de Nanna, elle n'a encore consenti qu'une seule fois. Il faudrait que je fusse bien barbare pour la livrer de la sorte, mais Sa Seigneurie m'a si fort ensorcelée que je ne trouve pas de langue pour lui dire non. Ma fille s'y rendra un peu après l' Ave Maria .» Toi, au moment où le messager se dispose à s'en aller porter la réponse, traverse en courant la maison, et comme si tes cheveux s'étaient dénoués, laisse-les se dérouler sur tes épaules, puis entre dans la salle en levant un peu la figure, de façon que le valet te donne une œillade.
Pippa. – A quoi sert de faire comme cela?
Nanna. – Cela sert, parce que les valets sont tous les ruffians et les enjôleurs de leurs maîtres. Dès que celui dont je te parle sera de retour près du sien, tout essoufflé et hors d'haleine, pour accaparer ses faveurs, il s'écriera: «Maître, j'ai tant fait que j'ai réussi à voir la belle; elle vous a des tresses qu'on dirait des fils d'or; elle vous a deux yeux que j'en méprise les faucons. Autre chose: je vous ai nommé à propos, pour voir quelle mine elle ferait en entendant parler de vous; eh bien! c'est une fille à se laisser incendier par un soupir.»
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