Hector Berlioz - Les grotesques de la musique

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On commence; le danseur part pour le ciel, voltige un instant, puis, redescendant sur la terre: «En quel ton jouez-vous, messieurs? dit-il, en suspendant son vol. Il me semble que mon morceau me fatigue plus que de coutume.

– Nous jouons en mi .

– Je ne m'étonne plus maintenant. Veuillez transposer cet allegro et le baisser d'un ton, je ne puis le danser qu'en ré.»

Un baiser de Rossini

Un amateur de violoncelle eut l'honneur de jouer devant Rossini.

«Le grand maître, racontait notre homme, dix ans après, a été si enchanté de mon jeu, que, m'interrompant au milieu d'un cantabile, il est venu me donner un baiser sur le front. Depuis lors, pour conserver l'illustre empreinte, je ne me suis plus lavé la figure

Un Concerto de clarinette

Dœlher venait d'annoncer un concert dans une grande ville d'Allemagne, quand un inconnu se présenta chez lui:

«Monsieur, dit-il à Dœlher, je me nomme W***, je suis une grande clarinette , et je viens à H… dans l'intention d'y faire apprécier mon talent. Mais on me connaît peu ici, et vous me rendriez un éminent service en me permettant de jouer un solo dans la soirée que vous organisez. L'effet que j'espère y produire attirera sur moi l'attention et la faveur du public, et je vous devrai ainsi de pouvoir donner avec succès mon premier concert.

– Que voudriez-vous exécuter à ma soirée? répond l'obligeant Dœlher.

– Un grand concerto de clarinette.

– Eh bien, monsieur, j'accepte votre offre; je vais vous placer dans mon programme; venez ce soir à la répétition; je suis enchanté de vous être agréable.»

Le soir venu, l'orchestre rassemblé, notre homme se présente, et l'on commence à répéter son concerto. Selon l'usage fashionable de quelques virtuoses, il s'abstient de jouer sa partie, se bornant à faire répéter l'orchestre et à indiquer les mouvements. Le tutti principal, assez semblable à la marche des paysans du Freyschütz , parut fort grotesque aux assistants et inquiéta Dœlher. «Mais, disait celui-ci en sortant, la partie principale rachètera tout; ce monsieur est probablement un habile virtuose; on ne peut exiger qu' une grande clarinette soit en même temps un grand compositeur.»

Le lendemain, au concert, un peu intimidé par le triomphe éclatant de Dœlher, le clarinettiste entre en scène à son tour.

L'orchestre exécute le tutti , qui se terminait par un repos sur l'accord de la dominante, après lequel commençait le premier solo. «Tram, pam, pam, tire lire la ré la,» comme dans la marche du Freyschütz . Arrivé à l'accord de la dominante, l'orchestre s'arrête, le virtuose se campe sur la hanche gauche, avance la jambe droite, embouche son instrument, et tendant horizontalement ses deux coudes, fait mine de commencer. Ses joues se gonflent, il souffle, il pousse, il rougit; vains efforts, rien ne sort du rebelle instrument. Il le présente alors devant son œil droit par le côté du pavillon; il regarde dans l'intérieur comme il eût fait d'un télescope; n'y découvrant rien, il essaye de nouveau, il souffle avec rage; pas un son. Désespéré, il ordonne aux musiciens de recommencer le tutti : «Tram, pam, pam, tire lire la ré la,» et, pendant que l'orchestre s'escrime, le virtuose, plaçant sa clarinette, je ne dirai pas entre ses jambes, mais beaucoup plus haut, le pavillon en arrière, le bec en avant, se met à dévisser précipitamment l'anche et à passer l'écouvillon dans le tube…

Tout cela demandait un certain temps, et déjà l'impitoyable orchestre, ayant fini son tutti était de nouveau parvenu à son repos sur l'accord de la dominante.

«Encore! encore! recommencez! recommencez!» crie aux musiciens l' artiste en pâtiments . Et les musiciens d'obéir: «Tram, pam, pam, tire lire la ré la.» Et pour la troisième fois, après quelques instants, les voilà de retour à la mesure inexorable qui annonce l'entrée du solo. Mais la clarinette n'est pas prête: « Da capo! encore! encore!» Et l'orchestre de repartir gaiement: «Tram, pam, pam, tire lire la ré la.»

Pendant cette dernière reprise, le virtuose ayant réarticulé les diverses pièces du malencontreux instrument, l'avait remis entre… ses jambes, avait tiré de sa poche un canif et s'en servait pour gratter précipitamment l'anche de la clarinette placée comme vous savez.

Les rires, les chuchottements bruissaient dans la salle: les dames détournaient le visage, se cachaient dans le fond des loges; les hommes se levaient debout, au contraire, pour mieux voir; on entendait des exclamations, de petits cris étouffés, et le scandaleux virtuose continuait à gratter son anche.

Enfin, il la croit en état; l'orchestre est revenu pour la quatrième fois au temps d'arrêt du tutti , le soliste réembouche sa clarinette, écarte et élève de nouveau ses coudes, souffle, sue, rougit, se crispe, et rien ne sort! Quand un effort suprême fait jaillir, comme un éclair sonore, le couac le plus déchirant, le plus courroucé qu'on ait jamais entendu. On eût dit de cent pièces de satin déchirées à la fois; le cri d'un vol de vampires, d'une goule qui accouche, ne peuvent approcher de la violence de ce couac affreux!

La salle retentit d'une exclamation d'horreur joyeuse, les applaudissements éclatent, et le virtuose éperdu, s'avançant sur le bord de l'estrade, balbutie: «Mesdames et messieurs, je ne sais… un ac… cident… dans ma cla… rinette… mais je vais la faire rac… commoder… et je vous prie de vouloir bien… venir, à ma soirée musi… cale, lundi prochain, ent… en… entendre la fin de mon concerto. »

Les instruments de musique à l'Exposition universelle

Je ne m'aviserai certes pas d'écrire ici un préambule sur l'industrie et les expositions universelles. Argumenter sur certaines questions expose parfois le raisonneur à des dangers assez graves; c'est quelquefois aussi de sa part une véritable condescendance de les discuter. Je me sais si loin de posséder le calme olympien nécessaire en pareil cas, qu'au lieu de combattre les systèmes qui me choquent, je vais souvent, en désespoir furieux de cause, jusqu'à avoir l'air de les accepter, jusqu'à les approuver de la tête, sinon de la parole et de la plume… Et ceci me rappelle une question que j'adressai un jour à un amateur de chimie… (Peut-être mon amateur, semblable aux amateurs de musique, de philosophie, à bien des amateurs enfin, croyait-il à l'absurde. Cette croyance est fort répandue. Peut-être aussi, après tout, l'absurde est-il le vrai; car si l'absurde n'était pas le vrai, Dieu serait cruel d'avoir mis dans le cœur de l'homme un si grand amour de l'absurde! Mais enfin voici ce que je demandai à mon chimiste et sa réponse:)

«Si l'on pouvait placer, lui dis-je, un certain nombre de kilogrammes, cent ou mille kilogrammes de poudre à canon, au point central de l'une des plus énormes montagnes du globe, de l'Hymalaya ou du Chimborazo, par exemple, et si, par l'un des procédés dont on dispose aujourd'hui, on y mettait le feu, qu'arriverait-il? Croyez-vous que l'explosion pût avoir lieu, et que sa force fût capable de briser, de faire sauter une masse aussi extraordinairement résistante par sa densité, par sa cohésion et par son poids?»… L'amateur de chimie, embarrassé, réfléchit un instant, chose que font rarement les amateurs de musique ou de philosophie, et me répondit en hésitant: «Il est probable que la puissance de la poudre serait insuffisante, que son inflammation ayant lieu néanmoins et produisant instantanément des gaz dont l'expansion serait domptée par la résistance de la montagne, ces gaz se condenseraient en un liquide, toujours disposé à reprendre une forme gazeuse et à faire une épouvantable explosion le jour où la force supérieure cesserait de le comprimer.» Je ne sais jusqu'à quel point l'opinion de mon chimiste dilettante est fondée, mais peut-être cité-je à propos la proposition qui lui fut soumise.

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