Hector Berlioz - Les grotesques de la musique

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Le jour de la répétition venu, je me rends au Prado; j'y trouve une soixantaine de concertants qui s'accordaient avec ce bruit agaçant particulier aux orchestres d'amateurs. Il s'agissait d'exécuter quoi?.. Une symphonie en de Gyrowetz. Je ne crois pas que jamais chaudronnier, marchand de peaux de lapins, épicier romain ou barbier napolitain ait rêvé des platitudes pareilles. Je me résigne, nous commençons. J'entends une discordance affreuse produite par les clarinettes. J'interromps l'orchestre, et m'adressant aux clarinettistes: «Vous aurez pris sans doute un morceau pour un autre, messieurs; nous jouons en et vous venez de jouer en fa ! – Non, monsieur, c'est bien la symphonie désignée! – Recommençons.» Nouvelle discordance, nouveau temps d'arrêt. «Mais c'est impossible, envoyez-moi votre partie.» On me fait passer la partie des clarinettes: «Parbleu! la cacophonie s'explique. Votre partie est écrite en fa , à la vérité, mais pour des clarinettes en la , et votre fa , en ce cas, devient l'unisson de notre . Vous vous êtes trompés d'instrument. – Monsieur, nous n'avons que des clarinettes en ut . – Eh bien, transposez à la tierce inférieure. – Nous ne savons pas transposer. – Alors, ma foi, taisez-vous. – Ah! par exemple! nous sommes membres de la société, et nous avons le droit de jouer comme tous les autres.»

A ces mots incroyables, laissant tomber mon bâton, je me sauvai comme si le diable m'emportait, et jamais depuis lors je n'entendis parler de ces philharmoniques .

Un virtuose couronné

Un roi d'Espagne, croyant aimer fort la musique, se plaisait à faire sa partie dans les quatuors de Boccherini; mais il ne pouvait jamais suivre le mouvement d'un morceau. Un jour où, plus que de coutume, il était resté en arrière des autres concertants, ceux-ci, effrayés du désordre produit par le royal archet, en retard de trois ou quatre mesures, firent mine de s'arrêter: – «Allez toujours, cria l'enthousiaste monarque, je vous rattrapera bien.»

Un nouvel instrument de musique

Un musicien que tout Paris connaissait, il y a quinze ou vingt ans, vient me trouver un matin, portant sous son bras un objet soigneusement enveloppé dans du papier: – «Je l'ai trouvé! je l'ai trouvé s'écrie-t-il comme Archimède, en entrant chez moi. J'étais depuis longtemps à la piste de cette découverte, qui ne peut manquer de produire dans l'art une immense révolution. Vois cet instrument, une simple boîte de fer-blanc percée de trous et fixée au bout d'une corde; je vais la faire tourner vivement comme une fronde, et tu entendras quelque chose de merveilleux. Tiens, écoute: Hou! hou! hou! Une telle imitation du vent enfonce cruellement les fameuses gammes chromatiques de la Pastorale de Beethoven. C'est la nature prise sur le fait! C'est beau, et c'est nouveau! Il serait de mauvais goût de faire ici de la modestie. Beethoven était dans le faux, il faut le reconnaître, et je suis dans le vrai. Oh! mon cher, quelle découverte! et quel article tu vas m'écrire là-dessus dans le Journal des Débats ! Cela te fera un honneur extraordinaire; on te traduira dans toutes les langues. Que je suis content, va, mon vieux! Et crois-le bien, c'est autant pour toi que pour moi. Cependant, je l'avouerai, je désire employer le premier mon instrument; je le réserve pour une ouverture que j'ai commencée et dont le titre sera: l' Ile d'Eole ; tu m'en diras des nouvelles. Après cela, libre à toi d'user de ma découverte pour tes symphonies. Je ne suis pas de ces gens qui sacrifieraient le présent et l'avenir de la musique à leur intérêt personnel, non; tout pour l'art , c'est ma devise.»

Le régiment de colonels

Un monsieur, riche propriétaire, daigne me présenter son fils, âgé de vingt-deux ans, et ne sachant, de son aveu, pas encore lire la musique.

– Je viens vous prier, monsieur, me dit-il, de vouloir bien donner des leçons de haute composition à ce jeune homme, qui vous fera honneur prochainement, je l'espère. Il avait eu d'abord l'idée de se faire colonel, mais malgré l'éclat de la gloire militaire, celle des arts le séduit décidément; il aime mieux se faire grand compositeur.

– Oh! monsieur, quelle faute! Si vous saviez tous les déboires de cette carrière! Les grands compositeurs se dévorent entre eux; il y en a tant!.. Je ne puis d'ailleurs me charger de le conduire au but de sa noble ambition. A mon avis, il fera bien de suivre sa première idée et de s'engager dans le régiment dont vous me parliez.

– Quel régiment?

– Parbleu! le régiment des colonels.

– Monsieur, votre plaisanterie est fort déplacée; je ne vous importunerai pas plus longtemps. Heureusement vous n'êtes pas le seul maître et mon fils pourra se faire grand compositeur sans vous. Nous avons l'honneur de vous saluer.

Une cantate

Peu de temps avant l'entrée à Paris des cendres de l'empereur Napoléon Ier, des marches funèbres furent demandées à MM. Auber, Adam et Halévy, pour le cortége qui devait conduire le mort immortel à l'église des Invalides.

J'avais, en 1840, été chargé de composer une symphonie pour la translation des restes des victimes de la révolution de Juillet et l'inauguration de la colonne de la Bastille; en conséquence, plusieurs journaux, persuadés que ce genre de musique était ma spécialité, m'annoncèrent comme le compositeur honoré une seconde fois de la confiance du ministre dans cette occasion solennelle.

Un amateur belge, induit en erreur avec beaucoup d'autres, m'adressa alors un paquet contenant une lettre, des vers et de la musique.

La lettre était ainsi conçue:

«Monsieur,

»J'apprends par la voie des journaux que vous êtes chargé de composer une symphonie pour la cérémonie de la translation des cendres impériales au Panthéon. Je vous envoie une cantate qui, fondue dans votre ouvrage, et chantée par sept ou huit cents voix, doit produire un certain effet.

»Vous remarquerez une lacune dans la poésie après le vers:

Nous vous rendons votre Empereur

»Je n'ai pu terminer complétement que la musique, car je ne suis guère poëte. Mais vous vous procurerez aisément ce qui manque; Hugo ou Lamartine vous feront ça. Je suis marié, j'ai trois populos (trois enfants); si cela rapporte quelques écus, vous me feriez plaisir de me les envoyer; je vous abandonne la gloire.»

Voici la cantate.

Il m'abandonnait la gloire!!!

Un Programme de musique grotesque

A l'époque où l'Odéon était un théâtre lyrique, on y représentait souvent des pièces de l'ancien répertoire de Feydeau. Je fus, par hasard, témoin d'une répétition générale pour la reprise de la Rosière de Salency de Grétry. Je n'oublierai jamais le spectacle offert par l'orchestre à cette occasion: son hilarité en exécutant l'ouverture, les cris des uns, les contorsions des autres, les applaudissements ironiques des violons, le premier hautbois avalant son anche, les contre-basses trépignant devant leur pupitre et demandant d'une voix étranglée la permission de sortir, assurant qu'il était encore temps . Et le chef d'orchestre, M. Bloc, ayant la force de tenir son sérieux…; et moi, m'élevant jusqu'au sublime en blâmant cette explosion irrévérencieuse, et trouvant indécente l'idée des joueurs de contre-basse. Mais ces pauvres artistes ne tardèrent pas à être bien vengés de ma sotte pruderie. Une demi-heure après l'exécution de l'étonnante ouverture, le calme s'étant rétabli, on en était revenu au sérieux et à l'attention, l'orchestre accompagnait tranquillement un morceau de chant de la troisième scène, quand je tombai subitement à la renverse au milieu du parterre, en poussant un cri de rire rétrospectif… La nature reprenait ses droits, je faisais long feu.

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