Paul Arene - La Chèvre d'Or

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Paul Arène

La Chèvre d'Or

I

LETTRE D'ENVOI

Ris, ne te gêne point, ami très cher, ô philosophe!

Je te vois d'ici lisant ces lignes au fond du fastueux cabinet encombré de la dépouille des âges où, parmi les tableaux anciens, les émaux, les tapisseries, pareil à un Faust qui serait bibelotier, tu passes au creuset de la science moderne ce que l'humanité gardait encore de mystères, et uses tes jours, poussé par je ne sais quel contradictoire et douloureux besoin de vérité, à réduire en vaine fumée les illusions de ce passé dont le reflet pourtant reste ta seule joie; je te vois d'ici, et je devine la compatissante ironie qui, durant une minute, va éclairer ton numismatique profil.

Tel que tu me connais, devenu douteur par raison, guéri des beaux enthousiasmes et déshabitué de l'espérance, je suis très sérieusement occupé à la recherche d'un trésor.

Oui! ici, en Provence, dans un pays tout de lumière et de belle réalité, aux horizons jamais voilés, aux nuits claires et sans fantômes, je rêve ainsi, éveillé, le plus merveilleux des rêves.

Folie! vas-tu dire. Rassure-toi. Bientôt ta sagesse reconnaîtra qu'il me faudrait être fou pour renoncer à ma folie. Car le trésor en question est un trésor réel, palpable, depuis plus de mille ans enfoui, un vrai trésor en or et qui n'a rien de chimérique. Bien que comparable aux amoncellements de joyaux précieux et de frissonnantes pierreries dont l'imagination populaire s'éblouissait au temps des Mille et Une Nuits , aucun génie, aucun monstre ne le garde et bientôt il m'appartiendra.

Comment?.. Laisse-m'en le secret une semaine encore.

Du reste j'avais, à ton intention, jeté sur le papier, d'abord pour occuper mes loisirs, plus tard pour amuser mon impatience, le détail exactement noté de mes sensations et de mes aventures depuis le jour de nos adieux.

Tu recevras le paquet en même temps que cette lettre. Tout un petit roman dont les circonstances ont seules tissé la trame et où ma volonté ne fut pour rien. Il n'y est question de trésor qu'assez tard. Je t'enverrai bientôt la suite et tu pourras ainsi t'associer aux émotions que je traverse. En attendant, montre-toi indulgent à ma chimère.

Pour te prouver que je suis lucide et que la manie des grandeurs ne m'a pas troublé le cerveau, je te jure qu'avant un mois, à Paris, je rirai avec toi et plus fort que toi de mes déconvenues si, au réveil, sous le dernier coup de pioche, je ne trouve, comme dans les contes, à la place du Colchos et de la Golconde espérés qu'un coffre vermoulu, des cailloux et des feuilles sèches.

II

EN VOYAGE

Me voici loin, résumons-nous!

Le bilan est simple: des amours ou soi-disant tels qui ne m'ont pas donné le bonheur; des travaux impatients qui ne m'ont pas donné la gloire; des amitiés, la tienne exceptée, qui m'ont toutes, en s'évaporant, laissé ce froid au cœur mêlé de sourde colère que provoque l'humiliation de se savoir dupe.

Bref! je me retrouve de même qu'au début, avec en moins la foi dans l'avenir et ce don précieux d'être trompé qui, seul, fait la vie supportable. Je ne rappelle que pour mémoire une fortune fort ébréchée sans même que je puisse me donner l'excuse de quelque honorable folie.

J'avais très distinct le sentiment de cela, il y a un instant, dans l'éternelle chambre d'hôtel banale et triste, en écoutant l'horloge de la ville sonner.

Par une rencontre qui n'a rien de singulier, cette horloge, au milieu de la nuit, sonnait l'heure de ma naissance, cependant qu'à défaut de calendrier, un bouquet d'anniversaire, envoi d'une trop peu oublieuse amie, me disait avec une cruelle douceur le chiffre de mes quarante ans… Ne serait-ce point la cloche d'argent du palais d'Avignon, au même tintement grêle et clair, qui ne sonnait qu'à la mort des papes?

Il me semble qu'en moi quelque chose vient de mourir.

A quoi me résoudre? M'établir pessimiste? Non pas, certes! J'aurais trop peur de ta bien portante raillerie.

Après tout, je ne suis plus riche: mais il me reste de quoi vivre libre. Je ne suis plus jeune: mais il y a encore une dizaine de belles années entre l'homme qui m'apparaît dans cette glace et un vieillard. Il est trop tard pour songer à la gloire: mais le travail, même sans gloire, a ses nobles joies.

Et, puisque je n'eus pas le génie d'être créateur, peut-être qu'un effort dans l'ordre scientifique, une série de recherches, établies nettement et courageusement poursuivies, me débarrasseront des désespérantes hésitations qui, si souvent, m'ont laissé tomber l'outil des mains à mi-tâche devant des entreprises trop purement imaginatives pour ne pas, à certains moments douloureux, apparaître creuses et vaines au raisonneur et au timide que le hasard a fait de moi.

Après avoir cherché, réfléchi, je me suis donc fixé une besogne selon mon courage et mes goûts.

Tu sais, s'il m'est permis d'employer une expression que tu affectionnes et que as même, je crois, un peu inventée, quel enragé traditioniste je suis.

En exil au milieu du monde moderne, j'ai cette infirmité qu'aucune chose ne m'intéresse si je n'y retrouve le fil d'or qui la rattache au passé. Mon sentiment, d'ailleurs, peut se défendre; l'avenir nous étant fermé, revivre le passé reste encore le seul moyen qui s'offre à nous d'allonger intelligemment nos quelques années d'existence.

Tu sais aussi, pour m'avoir souvent plaisanté sur un vague atavisme barbaresque que ton érudition moqueuse me prêtait, tu sais quel faible j'eus toujours pour les souvenirs de la civilisation arabe.

Dans ce beau pays où, par la langue et par la race, au-dessus du vieux tuf ligure, tant de peuples, Phéniciens, Phocéens, Latins, ont laissé leur marque, les derniers venus, les Arabes seuls m'intéressent.

Plus que la Grecque qui, avec ses yeux gris-bleu s'encadrant de longs sourcils noirs, évoque la vision de quelque Cypris paysanne, plus que la Romaine dont souvent tu admiras les fières pâleurs patriciennes, me plaît, rencontrée au détour d'un sentier, la souple et fine Sarrasine, aux lèvres rouges, au teint d'ambre. Et tandis que d'autres sentent leur cœur battre à la trouvaille d'un fragment d'urne antique ou d'une main de déesse que le soleil a dorée, je ne fus jamais tant ému qu'un jour, dans Nîmes, près des bains de Diane, dont les vieilles pierres disparaissaient sous un écroulement de rose, en foulant, parmi les débris, le plafond de marbre fouillé et gaufré que les envahisseurs venus d'Afrique par l'Espagne ajoutèrent ingénument aux ornements ioniens du temple des nymphes.

On accueillit en amis, chez nous, ces chevaleresques aventuriers qui, au milieu du dur moyen-âge, nous apportaient, vêtus de soie, la grâce et les arts d'Orient. Quand les Arabes vaincus se réembarquèrent, la Provence entière pleura comme pleurait Blanche de Simiane au départ de son bel émir.

J'avais entrepris autrefois sur ce sujet un travail, hélas! interrompu trop vite, et retrouve même fort à propos un carnet jauni dont bien des pages sont restées blanches. Je ferai revivre, en les complétant, ces notes longtemps oubliées. Je recommencerai mes longues courses sous ce ciel pareil au ciel d'Orient, à travers ces rocs mi-africains qui portent le palmier et la figue de Barbarie, le long de ces calanques bleues propices au débarquement, de ces plages où, dans le sable blond, s'enfonçait la proue des tartanes.

Heureux le soir et n'ayant pas perdu ma journée, si je découvre quelque nom de famille ou de lieu dont la consonance dise l'origine, si j'aperçois au soleil couchant, près de la mer, sur une cime, quelque village blanc, avec une vieille tour sarrasine gardant encore ses créneaux et l'amorce de ses moucharabis.

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