Louis Dumur - Nach Paris! Roman
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Louis Dumur
Nach Paris!
Me trouvant l'an dernier en Suisse, j'eus l'occasion de causer avec quelques officiers allemands internés. L'un d'eux me parut assez naïf et moins arrogant que les autres. Il me conta ses aventures. Mobilisé dès le début de la guerre, deux fois blessé, il avait été fait prisonnier à Verdun. Il attendait avec impatience la fin des hostilités. Il avait, en Prusse, une famille qu'il désirait retrouver et une fiancée que, bien que fort détérioré, il comptait encore épouser. Je ne donne ici que la première partie de ses souvenirs. Elle se termine à la Marne et à sa première blessure. Je n'userai point de la supercherie habituelle des romanciers qui, en pareil cas et se figurant qu'on les en croire davantage, déclarent avoir reçu ou trouvé un manuscrit, rapporter mot pour mot un récit ou l'avoir transcrit sous dictée. Je ne dirai rien ne semblable. Je ne prétends point reproduire, ni suivre pas à pas la relation de mon narrateur. Je me suis borné à prendre des notes. Après quoi, me substituant à mon Boche, je raconte à mon tour son histoire, à ma manière.
I
Qui m'eût dit, aux premiers jours de ce beau mois de juillet, alors que les bras de la Saale coulaient si mollement entre les prairies sous les ruines pittoresques du vieux château de Halle et que, tout le long de la Promenade, la bonne ville universitaire alignait ses maisons aux toits roux, ses édifices studieux, ogivait les baies somnolentes de son Dom, disposait ses parcs, ses jardins, ses quinconces, tandis que le public joyeux circulait en vêtements clairs sur le Marktplatz, s'attardait aux étalages, emplissait les boutiques, s'attablait au restaurant Grün ou au Ratskeller, que les casquettes des étudiants émaillaient de leurs couleurs bruyantes les tonnelles du Jægerberg et que les touristes et feutres verts, affluant déjà de partout, peuplaient les hôtels, animaient les salles des musées ou passaient respectueusement devant la statue de Hændel, qui m'eût dit que, peu de semaines plus tard, ce paisible séjour se bouleverserait tout à coup de rumeurs belliqueuses, retentirait d'appels aux armes et de chants de guerre, se hérisserait de baïonnettes et frémirait tout entier au roulement des tambours et sous le grondement régulier des trains militaires?
Tout fier d'avoir heureusement terminé ma première année d'université, je me disposais à jouir d'un repos bien gagné dans notre belle propriété estivale du Harz. Le nombre important des tonnelets de bière que j'avais dû ingurgiter durant ces études, non moins que les livres lus, les cahiers remplis et les cours entendus, m'en imposaient l'agréable devoir. J'avais en outre rapporté de Halle une balafre, que j'exhibais orgueilleusement et qui, me couturant du haut du menton jusqu'au bas de l'oreille, ne constituait pas un moindre témoignage de mon assiduité aux auditoires et de mon ardeur pour la culture allemande.
Je me prélassais donc sans scrupule et fort content de moi-même dans la quiétude de cet heureux début de vacances, fumant tout le jour de gros cigares de Brême à bague dorée, agaçant mes sœurs, caressant mes chiens, saccageant à coups de stick les fleurs du parc, inspectant les domaines paternels, pêchant la truite dans l'onde jaillissante de l'Ilse, paradant et faisant le beau dans la rue principale du petit bourg.
– Comme il est bien! comme il est distingué! murmurait-on sur mon passage.
– Bon matin, Herr Wilfrid! me saluaient les commerçants du lieu, ployés sur leur ventre à l'entrée de leurs boutiques.
Je les couvrais d'un petit signe protecteur et satisfait.
D'autres fois, digérant dans ma chambre, je passais un coup d'œil désœuvré sur mes livres, j'en parcourais les rangées et les titres, reconnaissant mes manuels et mes dictionnaires, mon Gœthe, mon Kœrner, mon Nietzsche et mon Gobineau, ma Bible et mon Kommersbuch , sans négliger ces ignobles romans français dont tout étudiant qui se respecte se doit de détenir quelques-uns sur le rayon secret de sa bibliothèque. J'évoquais, dans la fumée du tabac, l'honorable silhouette de mes maîtres: le Geheimrat Wirbel, professeur de philosophie, qui nous débrouillait Fichte, Schelling, Hegel et faisait remonter à l'idéalisme allemand les grandioses conceptions de Bismarck et la création de l'Empire; le Geheimrat von Trümmerhaufen, professeur d'histoire moderne, qui, de son geste décisif et de sa parole péremptoire, nous initiait aux doctrines de Treitschke ou aux travaux de Lamprecht; le Geheimrat Radschuh et sa barbe savante, qui nous enseignait l'économie politique, alignait ses statistiques victorieuses et confondait le commerce anglais; l'érudit Anton Glücken, doyen de la faculté et non moins pourvu que les autres du titre de Geheimrat, qui professait l'histoire de l'art et nous révélait les beautés de l'architecture gothique, cette pure émanation du génie allemand, comme il se faisait fort de nous le démontrer. Parvenu dans ces sereines régions, il m'arrivait alors de songer lointainement à ce que pourrait être le sujet de ma future thèse. Y traiterais-je une question de philosophie, d'histoire ou d'esthétique? Je n'en savais rien encore, mais j'entrevoyais déjà le jour où, cette laborieuse épreuve heureusement soutenue, on ne m'appellerait plus Herr Wilfrid, dans le petit bourg, mais bien Herr Doktor.
D'autres fois encore, coiffant le chapeau mou à plume de coq de bruyère et empaumant la canne à corne de chamois, j'allais excursionner dans la fraîche vallée de l'Ilse ou à travers les sites romantiques du Harz. Je longeais le torrent ou je gravissais les monts. Je me dirigeais par d'agrestes vallons pleins de cascades vers la butte rocheuse et les bonnes auberges de l'Ilsentein; ou, ployant mon jarret à de plus importants exercices, j'escaladais les escarpements abrupts du Brocken, d'où se découvraient à mes yeux enchantés, comme sous le coup de balai des sorcières de Walpurgis, le panorama grandiose des forêts et des gorges, les cimes de la Wolfswarte, du Rehberg, du Koboldskopf, de la Rosstrappe, la plateforme légendaire de l'Hexentanzplatz, puis la plaine immense bordée de l'ourlet de l'Elbe et, tout au loin, les taches brillantes d'Erfurt, de Cassel, de Brunswick, de Hanovre et l'ombre légère et bleue des tours de Magdebourg.
Mais, le plus souvent, pris de velléités plus sociables, je me dirigeais sur Goslar. Vingt minutes de bicyclette ou une heure et demie de marche ombragée m'y conduisaient. Dans le décor séculaire de ses monuments, la petite cité mélangeait avec grâce ses maisons médiévales à ses villas modernes. On y respirait la paix bourgeoise et la majesté de l'histoire. Goslar! C'est là qu'avaient séjourné Henri et Barberousse; c'est là que l'on montrait encore, dans la Maison des Empereurs, vieille de neuf cents ans, le trône impérial du XIIe siècle. Mais c'était là aussi, – et voilà principalement ce qui m'y attirait, – c'était là que résidait la belle Dorothéa von Treutlingen, fille unique du conseiller de cour Otto von Treutlingen, blonde, rose, grasse, âgée de dix-neuf ans et, par-dessus tout, ma fiancée.
Fiancée, c'était peut-être beaucoup dire: nous ne l'étions encore que secrètement. Mais les relations de nos deux familles, la tacite complaisance avec laquelle le conseiller de cour aussi bien que mon père, le conseiller de commerce Hering, et ma mère, Mme la conseillère de commerce Hering, toléraient mes assiduités, semblaient m'autoriser à considérer mon choix comme agréé et à libérer ma conscience du soin d'en dérober l'expression sous un trop prudent mystère. J'étais heureux et j'étais ardent.
Ma belle Dorothéa habitait une jolie villa située non loin de la Maison des Empereurs. J'en abordais le perron avec ivresse et un flot de chaleur inondait mon cœur. Le carillon de mon coup de timbre se mêlait au bruit de son piano, qui martelait un farouche appel de Wagner ou une assourdissante symphonie de Mahler. Elle me recevait dans son petit salon, décoré de meubles de Munich, ou au jardin, tout flambant de gros zinnias doubles et de soleils de Californie. Je mettais un long baiser sur son poignet charnu.
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