Edouard Fournier - Essais d'un dictionnaire universel
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Antoine Furetière
Essais d'un dictionnaire universel / contenant généralement tous les mots François tant vieux / que modernes, & les termes de toutes les Sciences & des Arts
S IRE ,
Le plus humble de vos Sujets se prosterne aux pieds de VOTRE MAJESTÉ, & lui demande justice & protection pour ce petit Ouvrage qu'il luy presente. C'est la priére ordinaire que font les Auteurs aux grands Princes dans leurs dédicaces: Mais elle n'a jamais été faite en une plus pressante nécessité. Ce n'est ici qu'un leger essay d'un prodigieux travail qui contient plusieurs gros Volumes. J'ai entrepris une Encyclopedie de la Langue Françoise pour la faire connoître aux Etrangers, & la transmettre dans toute son étenduë à la posterité. Comme son abondance consiste en l'explication des Arts & des Sciences; c'est à quoi je me suis particuliérement attaché, & je les ai compris en un même corps, ce qui n'a point encore été fait en pas une Langue. On peut dire, que jamais ce travail ne pouvoit venir plus à propos, puis que jamais les Arts & les Sciences n'ont été portées à un plus haut point de perfection, que sous le Régne heureux de VOTRE MAJESTÉ. Ses Conquêtes par terre & par mer ont rendu si célébres l'Art de la guerre & de la marine: La magnificence de ses bâtimens a rassemblé tout ce qu'il y a de plus exquis dans les beaux Arts: Ses liberalitez ont établi des Academies florissantes et pour l'avancement des Sciences: Il est donc nécessaire de mettre au jour un Ouvrage qui en puisse expliquer les termes, & en publier les merveilles. Tant de belles Ordonnances qu'a fait VOTRE MAJESTÉ pour le réglement de la Justice, des Finances, de la Marine, de la Guerre, des Eaux & Forêts & du commerce; contiennent des termes inconnus à plusieurs de vos Sujets: & elles pourroient avoir quelque jour le sort des Loix des 12. Tables qui n'étoient plus entenduës à Rome du temps de Jules Cesar. Cependant, SIRE, comme l'envie traverse tous les bons desseins; l'intérêt particulier d'un Libraire, qui a imprimé une petite partie du Dictionaire de l'Academie Françoise, s'oppose à l'impression de celui-ci, quoi qu'il soit entiérement different. Il a gagné quelques-uns de cet illustre Corps que je respecte. Je sçai qu'il a l'honneur d'être sous vôtre protection; Mais je sçai aussi que VOTRE MAJESTÉ ne donne protection à personne que dans la justice, & en connoissance de cause. Je sçai qu'elle a prononcé Elle-même contre ses propres intérêts quand il s'agissoit de plusieurs millions, & que cette action heroïque qui encherit sur celle des Césars, est le sujet du prix de Poësie qui doit être donné cet année. Je n'ay point besoin de combattre cette Compagnie; mais seulement quelques-uns qui veulent prendre avantage d'une clause extraordinaire qu'on a glissée dans un Privilege surpris de M. d'Aligre sur la fin de ses jours. Cette clause porte défenses à toutes personnes de faire aucun Dictionaire François pendant vingt ans, à compter du jour que celui de l'Academie sera imprimé. Elle en a fait à peine la moitié depuis cinquante ans, c'est à dire, que cette défense s'étendra à une grande partie du Siecle futur. D'ailleurs je suis trés-certain que jamais l'intention de VOTRE MAJESTÉ n'a été d'accorder une grace de cette nature, & qu'on ne lui en a jamais fait de remercimens: ce qui montre que ce n'est pas le Corps entier de l'Academie qui l'a demandée, puis qu'elle a fait des députations nombreuses à des personnes fort subalternes pour les remercier de moindres faveurs. On connoît la protection générale que VOTRE MAJESTÉ donne aux Sçavans, & on ne pourra pas croire qu'elle ait voulu ôter à la litterature cette honnête liberté dont elle a joüi dans tous les Siecles & chez toutes les Nations, ni donner une exclusion, qui s'accorde seulement pour des intérêts pecuniaires de Manufactures. L'accroissement des Lettres n'est venu que par l'émulation & la critique des Auteurs, dont le different genie ayant traité les mêmes sujets en differentes maniéres, les ont enfin épuisez. Cela doit avoir lieu particuliérement en matiére de Dictionaires, parce qu'ils ne peuvent jamais contenir assez de mots pour expliquer toutes les choses dont l'étenduë est infinie, de sorte que le moindre peut servir de supplément au meilleur. Enfin, SIRE, toutes les Muses auront grande obligation à VOTRE MAJESTÉ du champ libre qu'elle leur laissera pour s'exercer. Elles reconnoîtront cette faveur par une infinité de Poëmes & de Panegiriques qu'elles feront à sa gloire; moi-même je m'efforcerai de réveiller cette ardeur avec laquelle j'ai chanté autrefois vos victoires de la Franche-Comté, & quoi qu'avec un genie que les ans ont affoibli, je publierai chez tous les Peuples où parviendra nôtre Langue la grandeur de vos exploits, de vos bontez, & de vôtre justice, comme étant,
SIRE ,
AVERTISSEMENT
Je vous prie de croire, Mon cher Lecteur, que quand j'ay conçû le dessein de ce grand Ouvrage dont voici un petit essay, ce n'a point été pour entreprendre sur le travail de l'Academie Françoise; je la respecte autant qu'il est possible, & j'ay crû seulement contribuer de ma part au dessein qu'elle a de rendre service au Public. Deux considérations m'y ont obligé, l'une qu'elle n'a pas compris dans son Ouvrage les mots des Arts & des Sciences; ainsi j'ay crû qu'elle ne trouveroit point mauvais que quelqu'un en fît le Supplément. L'autre, que pour satisfaire l'impatience de plusieurs personnes, il étoit nécessaire de leur donner un Dictionaire qui n'est pour ainsi dire que provisionel, & le précurseur de celui qui viendra en Souverain dans une entiére pureté juger tous les mots vieux & nouveaux, & interposer son autorité pour les faire valoir; je lui laisse sa jurisdiction toute entiére, & ne prétens rien décider sur la Langue. Je lui offre cet Ouvrage comme de simples mémoires qui lui pourront servir pour achever la derniére partie de son travail, & pour remplir les omissions de la premiére.
Cependant j'ay appris que quelques-uns prétendent revendiquer quelques phrases communes, figurées & proverbiales qui ne sont ici employées que par nécessité pour servir de passage & de liaison, ou pour arrondir le globe de cette Encyclopedie de la langue que je me suis proposée. Je ne les employe que comme on fait le ciment pour lier les pierres d'un grand édifice, & je prétens n'avoir rien emprunté du Dictionaire de l'Academie, ni de ce qui lui peut appartenir en propre.
Le seul moyen de faire connoître cette verité, c'est la conference de ces deux Dictionaires, ou du moins d'un semblable Essay. Le Public en sera le juge, du moins on ne peut pas me reprocher d'en avoir rien pris depuis les lettres O & P qui ne sont pas encore faites. L'uniformité qui est en tout mon Ouvrage fera voir clairement que je n'ay pas eu besoin du Dictionaire de l'Academie pour faire les premiéres lettres, puisque sans son secours j'ay bien fait les derniéres; celles-ci pourront donner un beau champ pour exercer un droit de represailles, s'il y avoit lieu, puisqu'on y trouvera bien plus à prendre que ce qu'on pourroit prétendre que j'aurois pris. J'espere néanmoins que la seule vûë de ces deux Dictionaires fera paroître tant de difference entre l'un & l'autre, que ceux qui se donneront la peine d'en faire la conference trouveront que celui-ci n'a aucun rapport avec celui de l'Academie.
A
A. Premiere lettre de l'Alphabet François, & de toutes les autres Langues. Chez les Occidentaux cette lettre prend son nom de l'expression du son qu'elle fait. Chez les Grecs on la nomme Alpha : chez les Hebreux Aleph : chez les Pheniciens Alioz ; & chez les Indiens Alepha . C'est aussi le premier son articulé que la Nature pousse, & celuy qui forme le premier cri & le bégayement des enfans. D'où vient que Jeremie répondant à Dieu qui le destinoit pour son Prophete, luy dit: A, a, a, Seigneur je ne sçay pas parler, parce que je suis un enfant. Hierem. cap. 1.
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