Marquis de Sade - Aline et Valcour, tome 2

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Aline et Valcour, tome 2: краткое содержание, описание и аннотация

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Il faut aimer, pour connaître l'ivresse de ces situations; mon coeur suffit pour les sentir, mais mon esprit ne peut les rendre.

Je ne vis point Léonore le premier jour, trop d'empressement fût devenu suspect. Nous avions de grands ménagemens à garder; mais le lendemain, cette charmante fille, invitée à venir prendre du chocolat chez ma tante, se trouva à côté de moi, sans me reconnaître; déjeuna avec plusieurs autres de ses compagnes, sans se douter de rien, et ne revint enfin de son erreur, que lorsqu'après le repas, ma tante l'ayant retenue la dernière, lui dit, en riant, et me présentant à elle:—Voilà une parente, ma belle cousine, avec laquelle je veux vous faire faire connaissance: examinez-la bien, je vous prie, et dites-moi s'il est vrai, comme elle le prétend, que vous vous êtes déjà vues ailleurs.... Léonore me fixe, elle se trouble; je me jette à ses pieds, j'exige mon pardon, et nous nous livrons un instant au doux plaisir d'être sûrs de passer au moins quelques jours ensemble.

Ma tante crut d'abord devoir être un peu plus sévère; elle refusa de nous laisser seuls; mais je la cajolai si bien, je lui dis un si grand nombre de ces choses douces, qui plaisent tant aux femmes, et sur-tout aux religieuses, qu'elle m'accorda bientôt de pouvoir entretenir tête-à-tête le divin objet de mon coeur.

Léonore, dis-je à ma chère maîtresse, dès qu'il me fut possible de l'approcher: ô Léonore, me voilà en état de vous presser d'exécuter nos sermens; j'ai de quoi vivre, et pour vous, et pour moi, le reste de nos jours. Ne perdons pas un instant, éloignons-nous.—Franchir les murs, me dit Léonore effrayée; nous ne le pourrons jamais.—Rien n'est impossible à l'amour, m'écriai-je; laissez-vous diriger par lui, nous serons réunis demain. Cette aimable fille m'oppose encore quelques scrupules, me fait entrevoir des difficultés; mais je la conjure de ne se rendre, comme moi, qu'au sentiment qui nous enflamme.... Elle frémit.... Elle promet, et nous convenons de nous éviter, et de ne plus nous revoir, qu'au moment de l'exécution. Je vais y réfléchir, lui dis-je, ma tante vous remettra un billet; vous exécuterez ce qu'il contiendra; nous nous verrons encore une fois, pour disposer tout, et nous partirons.

Je ne voulais point mettre ma tante dans une telle confidence. Accepterait-elle de nous servir; ne nous trahirait-elle pas? Ces considérations m'arrêtaient; cependant il fallait agir. Seul, déguisé, dans une maison vaste dont je connoissais à peine les détours et les environs; tout cela était fort difficile; rien ne m'arrêta cependant, et vous allez voir les moyens que je pris.

Après avoir profondément étudié pendant vingt-quatre heures, tout ce que la situation pouvait me permettre, je m'aperçus qu'un sculpteur venait tous les jours dans une chapelle intérieure du couvent, réparer une grande statue de Sainte Ultrogote , patrone de la maison, en laquelle les religieuses avaient une foi profonde; on lui avait vu faire des miracles; elle accordait tout ce qu'on lui demandait. Avec quelques patenôtres, dévotement récitées au bas de son autel, on était sûr de la béatitude céleste. Résolu de tout hasarder, je m'approchai de l'artiste, et après quelques génuflexions préliminaires, je demandai à cet homme, s'il avait autant de foi que ces dames au crédit de la sainte qu'il rajustait. Je suis étrangère dans cette maison, ajoutai-je, et je serais bien aise d'entendre raconter par vous quelques hauts faits de cette bienheureuse.—Bon, dit le sculpteur, en riant, et croyant pouvoir parler avec plus de franchise, d'après le ton qu'il me voyait prendre avec lui.—Ne voyez-vous pas bien que ce sont des béguines, qui croyent tout ce qu'on leur dit. Comment voulez-vous qu'un morceau de bois fasse des choses extraordinaires? Le premier de tous les miracles devrait être de se conserver, et vous voyez bien qu'elle n'en a pas là puissance, puisqu'il faut que je la raccommode. Vous ne croyez pas à toutes ces momeries là, vous, mademoiselle.—Ma foi, pas trop, répondis-je; mais il faut bien faire comme les autres. Et m'imaginant que cette ouverture devait suffir pour le premier jour, je m'en tins là. Le lendemain, la conversation reprit, et continua sur le même ton. Je fus plus loin; je lui donnai beau jeu et il s'enflamma, et je crois que si j'eusse continué de l'émouvoir, l'autel même de la miraculeuse statue, fût devenu le trône de nos plaisirs.... Quand je le vis là, je lui saisis la main. Brave homme, lui dis-je, voyez en moi, au lieu d'une fille, un malheureux amant, dont vous pouvez faire le bonheur.—Oh ciel! monsieur, vous allez nous perdre tous deux.—Non, écoutez-moi; servez-moi, secourez-moi, et votre fortune est faite; et en disant cela, pour donner plus de force à mes discours, je lui glissai un rouleau de vingt-cinq louis, l'assurant que je n'en resterais pas là, s'il voulait m'être utile.—Eh bien, qu'exigez-vous?—Il y a ici une jeune pensionnaire que j'adore, elle m'aime, elle consent à tout, je veux l'enlever, et l'épouser; mais je ne le puis, sans votre secours.—Et comment puis-je vous être utile?—Rien de plus simple; brisons les deux bras de cette statue, dites qu'elle est en mauvais état, que quand vous avez voulu la réparer, elle s'est démantibulée toute seule, qu'il vous est impossible de la rajuster ici; qu'il est indispensable qu'elle soit emportée chez vous.... On y consentira, on y est trop attaché, pour ne pas accepter tout ce qui peut la conserver.... Je viendrai seul la nuit, achever de la rompre; j'en absorberai les morceaux, ma maîtresse, enveloppée sous les attirails qui parent cette statue, viendra se mettre à sa place, vous la couvrirez d'un grand drap, et aidé d'un de vos garçons, vous l'emporterez de bon matin dans votre atelier; une femme à nous s'y trouvera; vous lui remettrez l'objet de mes voeux; je serai chez vous deux heures après; vous accepterez de nouvelles marques de ma reconnaissance, vous direz ensuite à vos religieuses, que la statue est tombée en poussière, quand vous avez voulu y mettre le ciseau, et que vous allez leur en faire une neuve. Mille difficultés s'offrirent aux yeux d'un homme qui, moins épris que moi, voyait sans-doute infiniment mieux. Je n'écoutai rien, je ne cherchai qu'à vaincre; deux nouveaux rouleaux y réussirent, et nous nous mîmes dès l'instant à l'ouvrage. Les deux bras furent impitoyablement cassés. Les religieuses appelées, le projet du transport de la sainte approuvé, il ne fut plus question que d'agir.

Ce fut alors que j'écrivis le billet convenu à Léonore; je lui recommandai de se trouver le soir même à l'entrée de la chapelle de Sainte Ultrogote avec le moins de vêtemens possible, parce que j'en avois de sanctifiés à lui fournir, dont la vertu magique seroit de la faire aussitôt disparoître du couvent.

Léonore ne me comprenant point, vint aussitôt me trouver chez ma tante. Comme nous avions ménagé nos rendez-vous, ils n'étonnèrent personne. On nous laissa seuls un instant, et j'expliquai tout le mystère.

Le premier mouvement de Léonore fut de rire. L'esprit qu'elle avait ne s'arrangeant pas avec le bigotisme, elle ne vit d'abord rien que de très-plaisant au projet de lui faire prendre la place d'une statue miraculeuse; mais la réflexion refroidit bientôt sa gaîté.... Il fallait passer la nuit là.... Quelque chose pouvait s'entendre; les Nones.... Celles, au moins, qui couchaient près de cette chapelle, n'avaient qu'à s'imaginer que le bruit qui en venait, était occasionné par la Sainte, furieuse de son changement; elles n'avaient qu'à venir examiner, découvrir.... Nous étions perdus; dans le transport, pouvait-elle répondre d'un mouvement?… Et si on levait le drap, dont elle serait couverte.... Si enfin.... Et mille objections, toutes plus raisonnables les unes que les autres, et que je détruisis d'un seul mot, en assurant Léonore qu'il y avait un Dieu pour les amans, et que ce Dieu imploré par nous, accomplirait infailliblement nos voeux, sans que nul obstacle vint en troubler l'effet.

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