Thilliez,Franck - La chambre des morts
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Dans l’ombre, elle s’empara de son scalpel encore maculé de vie. L’instrument tranchant lui échappa des mains lorsque son chien se mit à aboyer à n’en plus finir. Elle fut prise d’une panique qui, instantanément, résorba les effets de la drogue et la plongea dans la cruauté de la réalité.
On l’avait déjà retrouvée. Comment était-il possible que…
Elle se glissa nue dans une longue veste de fourrure, s’empara d’un pulvérisateur au réservoir rempli d’acide formique et se plaqua derrière la porte d’une des caves. Prête à dissoudre les démons de l’enfer qui oseraient entrer chez elle.
Dans une obscurité plus tenace encore, au fond, des plaintes grimpèrent.
La Bête jura de les faire taire à la première occasion venue…
28.
Pierre Norman roula le bord de son bonnet pour libérer ses oreilles de l’étreinte de laine. Avant chaque intervention, son corps tout entier grimpait en température. Dans les montagnes russes de l’enquête criminelle, le lieutenant à la chevelure de feu vibrait pour cet ultime moment, cette dernière chute à la pente vertigineuse.
Il se tenait plaqué contre la façade d’un plain-pied contemporain bâti au détour d’une route, à l’orée d’une forêt de pins. Une habitation isolée, aux volets fermés, l’endroit idéal pour se livrer à des activités occultes. De l’autre côté de la porte, un chien aboyait à tout rompre.
— Tu es prêt ? fit-il au lieutenant Colin dans un nuage de condensation.
— Pas de problèmes. On peut foncer…
— Et vous, ne manquez pas le chien…
Norman agita la main. Un bélier avala la porte et dévoila les perspectives intérieures dans un craquement de bois. Une flèche anesthésiante se logea dans le poitrail d’un doberman, lui laissant à peine le temps de planter ses crocs dans la combinaison en polymole d’un maître-chien. Six hommes pénétrèrent par groupe de deux, les Beretta contre les joues, les pointes des canons dévorant l’espace sous l’appui des lampes torches. Une fois la lumière allumée, les volumes se tendirent, exhalant leurs bouffées d’inconnu. Les policiers s’approprièrent les pièces avec méthode, gorges serrées et fronts luisants.
— Rien dans les chambres ! souffla une voix.
— Cuisine vide ! poussa une autre.
Norman s’intéressa aux éléments qui composaient l’espace du salon. Le décor, le style, l’architecture. Rien de particulier. Des bibelots inutiles, une cheminée aux bûches consommées, des murs peints en blanc parsemés de fresques aux motifs géométriques. Des cadres, des posters, aucune photo. Le policier s’attendait à découvrir un musée de l’horreur, une fosse à animaux empaillés, un cimetière de gueules pétrifiées… Au téléphone, le capitaine Raviez lui avait parlé du penchant taxidermiste de l’assassin. Où la vétérinaire dissimulait-elle ses trophées ? Et surtout, dans quel recoin retenait-elle la petite diabétique ? H moins combien déjà ?
Elle se trouve là ! Sous mes pieds !
Norman s’approcha d’une porte au fond du salon, l’ouvrit avec prudence. Il perçut une excitation sur le palais lorsque jaillirent les ténèbres. Il s’adressa à Colin :
— Une cave ! Je descends !
Colin l’agrippa par l’épaule alors que l’obscurité l’engloutissait déjà.
— Une cave ? C’est peut-être là-dessous qu’elle retient la petite… Je t’accompagne…
— Pas la peine, l’endroit semble étroit, on risque de se marcher dessus… Va chercher l’architecte dans la voiture.
La tignasse rousse du policier se laissa avaler par le dévers de béton qui dévalait dans les entrailles de l’habitation. Une ampoule timide nuançait les parois en esquisses floues. Norman s’appuya sur le faisceau de sa lampe, l’arme tendue, la main alourdie par la tension nerveuse. Son index s’enroulait sur la gâchette, sa langue courait sur ses lèvres en ellipses humides. En contrebas, l’escalier vrillait sur la gauche ; l’obscurité reprenait peu à peu ses droits.
Calme-toi… Respire… Tu contrôles la situation…
Des bruits de pas, au-dessus de sa tête. Ses collègues, probablement… Les marches l’abandonnèrent dans une espèce de sas oblong qui débouchait sur une porte entrouverte.
Le cœur de la machinerie meurtrière.
Le cavalier solitaire cala ses pas sur le rythme lent de sa respiration. Il contourna des bocaux poussiéreux, pleins d’une substance noirâtre, s’approcha de l’entrebâillement en se plaquant contre les murs. Sa jugulaire avait triplé de volume, oxygénant son cerveau et décuplant sa lucidité. Ses pupilles dilatées dans le lac bleu de son œil lui conféraient des allures de félin à l’affût, un genre de chat sauvage aux griffes rétractées mais prêtes à lacérer.
— Sortez ! Police !
Pas un bruit. Monochromie auditive…
Et si elle était là, juste derrière, prête à te trouer le crâne ? Tu évolues sur son territoire. Remonte chercher une lampe plus puissante et des équipiers !
Ses instincts de prédateur eurent raison des avertissements. Le souffle bloqué, il roula le long du mur et pénétra accroupi dans la cave, son arme et sa lampe éventrant l’espace en diagonales tranchantes. Des masses immobiles s’accrochèrent au rai doré. Des scintillements de métaux, des reflets de cuirs lustrés. Norman plissa les yeux, comme si sa conscience refusait d’assimiler les bribes d’informations qui surgissaient.
Il promena une main à tâtons contre les parois et dénicha un interrupteur. L’espace flamba, flashant le policier d’une lumière aveuglante. Quand les deux grands cercles blancs se dissipèrent au-devant de ses rétines, il n’en crut pas ses yeux.
L’enfer… Il avait mis les pieds en enfer…
L’endroit était peuplé de matériel sadomasochiste, d’instruments de torture suggérant l’antre secret d’un bourreau moyenâgeux. Des croix à supplices, des tables de contention, des espèces de cages pour oiseaux géants. Fouets, cravaches, masques de cuir étaient étalés sur des présentoirs tapissés de vinyle noir. Des menottes, toutes sortes de chaînes et de colliers décochaient des reflets bleutés, aux côtés d’étaux, de boîtes de clous et d’une batterie douze volts dont on devinait l’utilité.
Norman s’élança dans la pièce, bascula les établis, les cages, arracha les draperies de nylon, hélant à s’égosiller le prénom d’Eléonore.
— Éléonore ! C’est la police ! Nous sommes là pour t’aider ! Réponds ! Réponds !
Il s’adressait aux murs, à cette imperméabilité sans âme, cognait du poing à s’écorcher les jointures sur les parois muettes. H moins combien ?
Colin et l’architecte le rejoignirent.
— Nom de Dieu ! s’exclama Colin en roulant des yeux hagards. Pas de traces d’Éléonore ?
Norman répondit par la négative.
— Elle doit bien être quelque part ! Il… Il est encore temps de la sauver ! Ils ont parlé de cinquante heures d’autonomie ! Il reste quoi ? Aidez-moi à chercher ! Pas une seconde à perdre !
L’architecte lui posa une main sur l’épaule.
— Laissez-moi faire mon métier. Je vous garantis que s’il existe une pièce secrète dans ce capharnaüm, je la dénicherai…
L’homme commença son travail d’inspection, caressant les parois avec un détecteur qui affichait des nuées de chiffres incompréhensibles.
— La maison est vide, assura Colin en s’adressant à Norman. Pas de voiture dans le garage. Ses armoires à vêtements sont encore pleines et parfaitement rangées, ce qui exclut a priori le départ précipité.
Norman ferma les poings, les lèvres serrées en une cicatrice charnelle.
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