« Tu viens pas alors ? T'aimes mieux aller au bagne ? Bon !… Tu t'en fous que je te dénonce ?… De ce que je t'aime ?… Tu t'en fous aussi hein ?… Et tu t'en fous de mon avenir ?… Tu te fous de tout toi d'abord n'est-ce pas ? Dis-le ?
— Oui, dans un sens, qu'il a répondu… T'as raison… Mais c'est pas plus de toi que d'une autre, que je m'en fous… Va pas prendre ça pour une insulte surtout !… T'es gentille au fond toi… Mais j'ai plus envie qu'on m'aime… Ça me dégoûte !… »
Elle s'attendait pas à ce qu'on lui dise une chose comme ça, bien en face, là, et tellement qu'elle en fut surprise qu'elle savait plus très bien par où la reprendre l'engueulade qu'elle avait commencée. Elle était assez déconcertée, mais elle s'y est remise quand même. « Ah ! ça te dégoûte !… Comment que ça te dégoûte que tu veux dire ?… Explique-toi donc sale ingrat…
— Non ! c'est pas toi, c'est tout qui me dégoûte ! qu'il lui a répondu. J'ai pas envie… Faut pas m'en vouloir pour ça…
— Comment, que tu dis ? Répète-le un peu ?… Moi et tout ? » Elle cherchait à comprendre. « Moi et tout ? Explique donc ça ? Qu'est-ce que ça veut dire ?… Moi et tout ?… Parle pas chinois !… Dis-le-moi là en français, devant eux, pourquoi que je te dégoûte à présent ? Tu bandes pas donc comme les autres, dis gros salaud quand tu fais l'amour ? Tu bandes pas alors hein ?… Ose le dire là ici ?… Devant tout le monde que tu bandes pas ?… »
Malgré sa fureur ça portait un peu à rire la manière dont elle se défendait avec ses remarques. Mais j'ai pas eu le temps de rigoler longtemps, parce qu'elle est revenue à la charge. « Et lui, donc là, qu'elle a fait, il en jouit pas chaque fois qu'il peut m'attraper dans un coin ! Ce dégueulasse ! Ce peloteur, qu'il ose donc venir me dire le contraire ?… Mais dites-le donc tous que vous voulez changer !… Avouez-le !… Que c'est du nouveau qu'il vous faut !… De la partouze !… Pourquoi pas de la pucelle ? Bande de dépravés ! Bande de cochons ! Pourquoi que vous cherchez des prétextes ?… Vous êtes des blasés et voilà tout ! Vous avez plus seulement le courage de vos vices ! Ils vous font peur vos vices ! »
Et alors c'est Robinson, qui a pris sur lui de lui répondre. Il était monté aussi à la fin, et il gueulait à présent aussi fort qu'elle.
« Mais si ! qu'il lui a répondu. Que j'en ai du courage ! et sûrement bien autant que toi !… Seulement moi si tu veux tout savoir… Tout absolument… Eh bien, c'est tout, qui me répugne et qui me dégoûte à présent ! Pas seulement toi !… Tout !… L'amour surtout !… Le tien aussi bien que celui des autres… Les trucs aux sentiments que tu veux faire, veux-tu que je te dise à quoi ça ressemble moi ? Ça ressemble à faire l'amour dans des chiottes ! Tu me comprends-t-y à présent ?… Et tous les sentiments que tu vas chercher pour que je reste avec toi collé, ça me fait l'effet d'insultes si tu veux savoir… Et tu t'en doutes même pas en plus parce que c'est toi qui es une dégueulasse parce que tu t'en rends pas compte… Et tu t'en doutes même pas non plus que tu es une dégoûtante !… Ça te suffit de répéter tout ce que bavent les autres… Tu trouves ça régulier… Ça te suffit parce qu'ils t'ont raconté les autres qu'il y avait pas mieux que l'amour et que ça prendrait avec tout le monde et toujours… Eh bien moi je l'emmerde leur amour à tout le monde !… Tu m'entends ? Plus avec moi que ça prend ma fille… leur dégueulasse d'amour !… Tu tombes de travers !… T'arrives trop tard ! Ça prend plus, voilà tout !… Et c'est pour ça que tu te mets dans les colères !… T'y tiens quand même toi à faire l'amour au milieu de tout ce qui se passe ?… De tout ce qu'on voit ?… Ou bien c'est-y que tu vois rien ?… Je crois plutôt que tu t'en fous !… Tu fais la sentimentale pendant que t'es une brute comme pas une… Tu veux en bouffer de la viande pourrie ? Avec ta sauce à la tendresse ?… Ça passe alors ?… Pas à moi !… Si tu sens rien tant mieux pour toi ! C'est que t'as le nez bouché ! Faut être abrutis comme vous l'êtes tous pour pas que ça vous dégoûte… Tu cherches à savoir ce qu'il y a entre toi et moi ?… Eh bien entre toi et moi, y a toute la vie… Ça te suffit pas des fois ?
— Mais c'est propre chez moi, qu'elle s'est rebiffée elle… On peut être pauvre et être propre quand même dis donc ! Quand est-ce que t'as vu que c'était pas propre chez moi ? C'est ça que tu veux dire en m'insultant ?… J'ai le derrière propre moi, Monsieur !… Tu peux peut-être pas en dire autant !… Ni tes pieds non plus !
— Mais j'ai jamais dit ça Madelon ! J'ai rien dit comme ça du tout !… Que c'est pas propre chez toi ?… Tu vois bien que tu ne comprends rien ! » C'est tout ce qu'il avait trouvé à lui répondre pour la calmer.
« Tu dis que t'as rien dit alors ? T'as rien dit ? Écoutez-le à présent qui m'insulte plus bas que terre et qui prétend encore qu'il a rien dit ! Mais il faudra le tuer pour qu'il puisse plus mentir davantage ! C'est pas assez de la taule pour un cochon pareil ! Un sale maquereau pourri !… Ça suffit pas !… C'est l'échafaud qu'il lui faudrait ! »
Elle voulait plus être calmée. On ne comprenait plus rien à leur dispute dans le taxi. On entendait que des gros mots dans le boucan que faisait l'auto, le battement des roues dans la pluie et dans le vent qui se jetait contre notre portière par bourrasques. Des menaces, il en restait plein entre nous. « C'est ignoble… » qu'elle a répété à plusieurs reprises. Elle pouvait plus parler d'autre chose… « C'est ignoble ! » Et puis elle a essayé le grand jeu : « Tu viens ? qu'elle lui a fait. Tu viens Léon ? Un ?… Tu viens-t-y ? Deux ?… » Elle a attendu. « Trois ?… Tu viens pas alors ?… — Non ! qu'il lui a répondu, sans bouger d'un pouce. Fais comme tu veux ! » qu'il a même ajouté. C'était une réponse.
Elle a dû se reculer un peu sur la banquette, tout au fond. Elle devait tenir le revolver à deux mains parce que quand le feu lui est parti c'était comme tout droit de son ventre et puis presque ensemble encore deux coups, deux fois de suite… De la fumée poivrée alors qu'on a eue plein le taxi.
On roulait encore quand même. C'est sur moi qu'il est retombé Robinson, sur le côté, par saccades, en bafouillant. « Hop ! et Hop ! » Il arrêtait pas de gémir « Hop ! et Hop ! » Le chauffeur avait sûrement entendu.
Il a ralenti qu'un peu d'abord, pour se rendre compte. Enfin il s'est arrêté tout à fait devant un bec de gaz.
Dès qu'il a eu ouvert la portière, Madelon l'a repoussé violemment, elle s'est jetée en dehors. Elle a dégringolé le remblai à pic. Elle a filé dans la nuit du champ en plein par la boue. J'avais beau la rappeler, elle était déjà loin.
Je ne savais plus trop quoi décider moi avec le blessé. Le ramener à Paris ça aurait été dans un sens plus pratique… Mais nous n'étions plus loin de notre maison… Les gens du pays auraient pas compris la manœuvre… On l'a donc casé avec Sophie entre des pardessus et tassé dans le coin même où Madelon s'était mise pour tirer. « Doucement ! » que j'ai recommandé au chauffeur. Seulement il allait encore bien trop vite, il était pressé. Ça faisait gémir Robinson davantage les cahots.
Une fois qu'on a été arrivés devant la maison, il voulait même pas nous donner son nom le chauffeur, il était inquiet à cause des histoires que ça allait lui attirer avec la police, les témoignages…
Il prétendait aussi qu'il y avait sûrement des taches de sang sur les coussins. Il voulait tout de suite repartir sans attendre. Mais j'avais pris son numéro.
Dans le ventre qu'il avait reçu les deux balles Robinson, peut-être les trois je ne savais pas encore au juste combien.
Читать дальше