— Que je pourrais plus en tringler une !
— Toi qu'étais l'ardeur en personne !…
— Fini bien fini ! elles m'écœurent ! et toi ?
— Moi je les noyerais qu'elles chichitent plus !
— Dis l'Isis von Leiden ?…
— M'en parle pas !
— Il fait rose au ciel… t'as vu ?… une nouvelle couleur !
— Tu as sans doute raison La Vigue… aucune importance !… ce sont des histoires entre les nuages…
— Les murs tremblotent plus qu'hier !…
— La terre aussi ! »
Et broum ! … et braoum ! … ce sont des explosions étalées… à travers Berlin… sud… est…
« Peut-être l'armée russe ?
— Possible ! »
Je ne veux pas tellement le rassurer…
« C'est à vous, s'il vous plaît, que ce discours s'adresse ! »
Des vers, je le laisse…
Ça va mieux quand il tient un rôle…
« Bravo La Vigue !… remontons chez nous !… »
Il a encore une question…
« Le potard ? »
Ce que j'en dis ?
« Je ne sais pas encore…
— Et l'Isis ?
— Douteuse !… douteuse !
— Allez viens ! »
Ils sont tous douteux !… enfin il se décide, nous montons… Lili nous prépare un café, un faux…
« Celui-ci ne vous fera pas de mal ! »
Gentille Lili tout cœur et prévenances… La Vigue lui raconte qu'il a failli être dévoré…
« Très exact, Lili !… très exact ! réfléchis La Vigue que c'est pas fini !
— Certainement que c'est pas fini ! »
Et il est pris par le fou rire… dingue ? pas dingue ? il jouait ? avec lui on ne pouvait pas dire…
« Réfléchis Ferdine ce qu'on a vu !… von Seckt ! la von Seckt !… vieille saloperie ! Pretorius !… le “Zenith Hotel” !… la Chancellerie ! le fantôme d'Adolf ! et les fifis là-haut chez moi avenue Junot !… tu voudrais que je récapitule !
— Non La Vigue !… tu te fatigues, c'est tout… récapitule rien !…
— Ils m'ont tous donné ! dénoncé ! tous les Fédérés ! et tous les généraux de la Butte !… et Lecomte et Clément Thomas !
— Tu vas te faire du mal, laisse-les, ils sont fusillés !
— Tu crois ? tu crois ?
— Je suis certain !
— Ah tant mieux ! je vais me reposer ! »
Il est allongé dans la paille, tout de son long…
« Là tu vois y a rien à craindre… pas un rat !…
— Mais dis des fois, Simmer ?
— Des fois quoi ?
— Des trucs !
— Et l'Harras donc ? tu crois pas ? »
Rien à lui répondre… il va se calmer…
« Et les oies ?… et les orties ?… quelqu'un a mis les orties ! t'as vu cette révolte ?
— Oui ! oui ! ça s'est pas fait tout seul !…
— Ah, tu vois !… t'es de mon avis !
— Certainement La Vigue !… »
Oh il est bien mieux qu'en bas… avec nous… je le laisse somnoler… il somnole…
« La Vigue dis, maintenant le ciel est rose !… tout rose ! excellent signe !…
— Tu crois ?… tu crois ?… »
Il peut plus douter, il a plus la force… il s'endort…
* * *
Nous attendions avec La Vigue, après cette nuit tourmentée… pas par les rats, qui s'étaient tenus assez tranquilles… deux, trois trottinements sous la paille… c'est tout… Bébert avait même pas bougé… La Vigue avait dormi un peu, pas beaucoup, Lili aussi je crois, un peu… moi, je me demande… y avait assez à réfléchir… on pouvait se passer de sommeil… ce que nous allions faire, première chose ?… au petit jour je dis à Lili…
« Tu montes là-haut ? »
Elle savait pas…
« Voir Marie-Thérèse ?
— Pas avant dix heures, voyons !
— Plus tôt !… tout de suite !
— J'ai peur de la déranger…
— Non !… non !… vas-y !… je te demande ! »
Par elle on saurait un peu si les Russes étaient à Berlin… elle, elle avait des nouvelles, je ne sais pas comment… mais presque sûr… Lili monte donc… il devait être huit heures… elle avait le prétexte de sa danse… tout de même huit heures, c'était tôt…
On se demandait avec La Vigue ce que Marie-Thérèse lui dirait… sûrement pas tout… en attendant dans l'escalier ça montait poulopait dur depuis avant l'aube… et ça jacassait… sûrement des mômes… des voix de fillettes… les petites Polonaises du vieux… du péristyle à la galerie du « premier »… ça s'amusait fort… de quoi ?… pas à savoir… la jeunesse rit de tout… les Tartares seraient là à couper des têtes qu'elles trouveraient rien de plus rigolo… ceux de la roulotte sont avec, filles et garçons… bruns, cuivrés, passés dans l'huile… avec les robes des grandes sœurs… raccourcies, les tailles aux épaules… et pour se foutre de nous, plein de castagnettes !… tout l'étage ! et que ça crépite !… elle a de quoi plus jamais dormir, Marie-Thérèse !… je dis à La Vigue… « il se passe quelque chose ! »… toute cette invasion de la roulotte et des mômes d'ici, cette farandole du péristyle aux lucarnes, s'ils se permettent tant, et que ça se dispute, tous les baragouins, c'est que quelque chose est arrivé !… Kracht aurait su, il était pas là… Lili nous faisait attendre… elle dansait là-haut ?… Marie-Thérèse l'avait retenue ?… le petit déjeuner peut-être ?… le temps passait…
Ça faisait bien au moins une heure que nous l'attendions… et que les mômes caracolaient, arrêtaient pas, tout ça pieds nus, tant que ça pouvait ! plus les castagnettes… et cris j'ai dit, tous les patois !… bas en haut !…
Ah, quelqu'un enfin !… le balcon au-dessus, plutôt la passerelle vers l'autre tour… on aurait pu aussi y aller… je me dis, Lili, ça va être elle ?… oui, c'était elle… alors ?… eh bien ça valait la peine !… toute cette sarabande de mômes c'étaient les enfants de la roulotte et les petites Polonaises fouetteuses qui préparaient le départ du vieux… oui, il partait !… un coup, il s'était décidé !… puisqu'il avait plus Iago, il avait repris son cheval de guerre, et il partait au combat !… sus aux Russes !… à la bataille pour Berlin !… qu'il leur ferait mordre à des centaines, toute la boue des plaines avant qu'ils le touchent lui !… le plus drôle sa sœur, là-haut, Marie-Thérèse, tout à fait d'avis !… il était pas à contredire… un mot ?… sœur ou pas il se connaissait plus… déjà dans sa petite jeunesse quand il piquait des colères ses gouvernantes s'enfuyaient, il voulait leur crever les yeux… à la fin, elles portaient des masques, comme pour l'escrime, qu'il finisse sa soupe… maintenant à quatre-vingts ans, c'était l'armée russe… il se faisait fort d'aller au-devant, de provoquer leur général, et de lui couper les oreilles !… et à tous les autres !… oreilles et têtes !… pas de parade à son moulinet !… zzzt ! … il avait affûté son sabre, lui-même, le fil à petits crans ! ah les têtes russes !… son rasoir à crans !… imparable !… Marie-Thérèse verrait leurs têtes passer là-haut ! au-dessus de nous ! par-dessus l'église !… il nous les enverrait de Berlin ! ah, l'armée russe !… toutes les têtes !…
« Oui… oui, mon frère ! »
Comment il allait traiter les Russes !… les provoquer au corps à corps !… ce qu'ils sont : foireux puants boas d'égouts !… eux leurs généraux et leur tsar !
« Certainement, Hermann !
— Les Russes me connaissent ! pas d'hier ! la horde Rennenkampf, août 14 !… Tannenberg !… »
Eux qui venaient le défier maintenant ?… eux ! ah, ils voulaient venir à Zornhof !… ils y viendraient en cercueils !… oui !
« Certainement, Hermann, mais vous ne serez pas seul !
— Si ! si !… je serai seul !… puisque Hindenburg est parti ! moi seul contre tous !
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