Ce manchot avait mauvais esprit, certes, mais il nous faisait bien marrer, et il ne déconnait pas du tout !… les autres qu'avaient la berlue, la ferme et le manoir, se croyaient encore sous Guillaume II !… le Diesel et la scie et le phono ils devaient entendre tout au manoir ! ils avaient encore deux disques les bibel , mais des non religieux, le « Wacht am Rhein » don de l'armée… et « l'Horst Wessel », don du Parti… le sergent cuistot était ravi que l'autre lui annonce plein de catastrophes, lui « objecteur » depuis des payes !… d'avant l'avènement d'Hitler… n'importe quel Déluge le bottait !… mais très prudemment ! il avait été à l'école, il savait que Dachau possédait des sections spéciales dites « de silence »… pour les trop bavards… bavards tous poils ! philosophes, politiques, militaires, évangélistes !… des héros même ! et de tous les fronts !… et d'air, terre, mer !… ce que le manchot savait pas assez, lui et son rouge-gorge !… qui se croyait paré, avec son amputation ! salut ! j'aurais pu le renseigner un peu… tous les pays de même !… la boucherie finie ?… trompettes, oriflammes, et rideau !… les pas-morts par quatre ! et silence !… et à la niche ! dans notre état je voyais qu'une chose, qu'écouter ce sergent si ardent pouvait nous coûter très cher ! bien repérés déjà « affreux piafs » nous faire expédier « au silence »… anti-von Leiden, anti-manoir, anti-Zornhof, anti-Reich… déjà les bolcheviks en somme ! je pense : sauvons-nous !… La Vigue une gamelle moi l'autre… deux paquets de Lucky à ces braves !… chaleureux adieux !… on s'en va sur le Wacht am Rhein … on a besoin de nous au manoir… nous ne rencontrons personne… je connais de plus en plus d'impasses, j'ai dit, à voltes et détours… ces ruelles qui font mine d'aller à la route et se perdent aux champs… astuces de sioux de l'une à l'autre jusqu'aux arbres… que personne vous ait vraiment vu, ni les oies, ni les ménagères, ni l'épicière, ni les « résistants » de la Wirtschaft … ça valait mieux… nos Mauser dans nos poches faisaient plus que drôle… entre les chaumières ça allait mais à découvert !… surtout les mains prises, portant les gamelles… enfin nous voici, nous y sommes !… le péristyle, l'escalier… Lili est là, elle se demandait ce que nous devenions… on est pas long lui raconter tout, le Tanzhalle , le manchot, le cuisinier, les psaumes… que nous étions partis pour pas en entendre davantage, que sûrement d'autres entendaient !… malgré le Diesel et la scie ! boum ! broum ! et les canons !… le Simmer avait des oreilles partout !… et comment chez les Bibel ! le plus méchant de tous Simmer, qui voulait supprimer Bébert…
« Votre Landrat ! »
l'appelait Lili… pas du tout le nôtre ! zut !… maintenant aux détails !… que le sergent manchot avait dû quitter son bunker , qu'il pouvait plus tenir, inondé !…
« Et son rouge-gorge ? »
Tout ce que voulait savoir Lili…
« La même cage ?
— Oui… oui… la même ! »
Voilà qui l'intéressait ! cette barbarie !… une si petite cage !… je crois Lili, les tragédies d'hommes elle en voyait tellement autour, que c'était entendu, tout voulu, pas à s'en mêler… tandis que les malheurs des bêtes, personne y faisait attention, alors pour elle y avait que les bêtes qui existaient… le temps a passé, et bien des choses… à réfléchir je crois qu'elle avait assez raison…
En tout cas, maintenant, nos poches !… planquer nos engins… j'étais moi plutôt d'avis d'aller les noyer, mais où ?… comme j'avais fait à Berlin, avec les grenades… dans le trou d'eau des bains finlandais… certes, ils les avaient repêchées, et pas longs !… mais ici y avait moins de chances, on regarde pas souvent dans le purin… La Vigue trouvait que j'avais raison… n'importe quoi n'importe où mais qu'on se débarrasse… Lili elle voyait pas ainsi… du tout !… méfiante, même certaine que nos deux affreux, Léonard, Joseph, allaient guetter nos moindres gestes… et qu'ils la trifouilleraient la mare !… eux !… que tout était prévu, convenu !… soit !… La Vigue, moi, irions au petit jour ! question d'urgence c'était urgent… exact !… tout de même il fallait attendre l'aube… des heures encore… on pouvait un peu s'allonger, la paille manquait pas… Bébert dans son sac, Lili, moi, La Vigue côte à côte… je peux pas dire que j'étais tranquille… non !… y avait pas de quoi… je commençais à plus savoir… un peu le droit d'être fatigué !… non !… pas le droit !… du luxe, la fatigue… les gens miteux surtout nous autres avions que le droit de faire attention… réfléchir… réfléchir encore… je vous parle plus des bruits de Berlin, des écrasements, des rafales… des « aller et retour » plein les nuages… vous savez je vous ai assez dit… le fastidieux manège… tout de même Hjalmar, je pensais à lui, ses appels au bugle… où il pouvait être celui-là ?… et le pasteur donc ? bien des questions à se poser… bien une heure que je me demandais… je ne dormais pas… j'entends un bruit dans l'escalier… oui !… un pas… quelqu'un à notre porte… et toc ! toc ! pas du tout imaginaire… on a frappé !… à cette heure-ci ?… je me secoue de la paille, je me lève, j'y vais… j'ouvre… trois marches plus bas, une voix !… c'est Kracht !… il me chuchote, il veut pas me parler dans notre chambre… il demande que je descende avec lui jusqu'au péristyle… bien !… tel quel !… je le suis… il m'emmène pas loin, il me dit tout de suite de quoi il s'agit… il me le dit en allemand bien simple… je le comprends… oh je me doutais ! que Léonard et Joseph nous ont dénoncés le matin même, comme « saboteurs et détenteurs d'armes »… oui ! oui !… que le Landrat a donné l'ordre de fouiller notre tour, et nos vêtements et nos paillasses, et de tout saisir… Kracht me chuchote ces bonnes nouvelles… on fait théâtre ! de quoi rire !… avec fond de lueurs d'incendie, jusqu'aux nuages, Berlin qui brûle… fond très sonore !… boum ! brang ! petites bombes et les grosses ! ils ont pas ça à « l'Ambigu » ni dans aucun cinéma… alors ? alors ?… au fait !… la suite !… là, il m'épate… que je lui donne les deux Mauser , le mien et celui de La Vigue… que j'aille pas les jeter !… qu'il les garderait pour lui !… rien au Landrat !… nichts ! nichts ! rien !… est-ce que je comprenais ?… parfaitement !… très bien ! c'était un peu fort mais bon !… bon !… pourquoi il voulait les Mauser ? … ça le regardait !… j'ai jamais su !… en tout cas j'étais de son avis !… il s'organisait une défense ?… privée ?… contre la Wehrmacht ? contre les Anglais ? contre les prisonniers ?… plus tard en prison au Danemark j'ai entendu bien des récits de mutineries S.S… S.A… kriegsmarine … j'étais avec eux… tellement de conjurations à bombes, à poisons, à couteaux, que c'est vraiment extraordinaire que ce régime ait tenu dix années… vous me direz : Poléon, César, Alexandre, Pétain ont tenu aussi une… deux décades !… sitôt que vous êtes oint, couronné, porté, installé sur le trône, maître de tout… le bacchanal commence… vous échappez plus !… baisers, nœuds coulants, bouquets, dinamiteros … votre peuple chéri, attendait que ce haut moment pour vous montrer ce qu'il attend de vous, vos boyaux hors et plein l'arène… vos hominiens…
Là, je vois Roger et ses comics ! … Achille à son deuxième milliard !… passons ! avec Kracht je riais pas, j'allais pas lui poser de questions… il me débarrassait, c'était tout !… si il complotait ?… son affaire !… résistait ?… que je grimpe vite chercher les objets !… je monte à tâtons… je veux pas me tromper de porte… je suis comploteur bien malgré moi… je rigolerai plus tard ! d'abord que je me casse pas la gueule ! je faille… je titube beaucoup sans mes cannes… La Vigue est très étonné…
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