Louis-Ferdinand Céline - Nord

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Céline au milieu de l'Allemagne en flammes. Avec ses compagnons d'infortune, — sa femme Lili, l'acteur Le Vigan, et le chat Bébert —, le voici à Baden-Baden dans un étrange palace où le caviar, la bouillabaisse et le champagne comptent plus que les bombardements, puis dans Berlin en ruines, et enfin à Zornhof dans une immense propriété régie par un fou. C'est une gigantesque tragédie-bouffe, aux dimensions d'un pays qui s'effondre, vécue par celui qui se nomme lui-même « le clochard vieillard dans la merde ».

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« Je voyage, Confrère ! je voyage !… deux fois par mois à Lisbonne, pour voir un peu les gens d'en face, ce qu'ils ont à dire… échange de vues… s'ils voient des typhus ?… si nous nous n'avons rien à l'Est ?… non !… jamais !… toute la viande est vaccinée !… chez eux !… chez nous ! ooah ! »

Y avait encore là de quoi rire !

« Comment pensez-vous Confrère que les guerres maintenant peuvent finir ?

— Un nouveau virus !

— Je vois pas !… eux non plus ! ooah ! »

Je vois qu'il prenait pas mal les choses…

D'où je le connaissais cet Harras ?… il faut avouer tout !… d'une séance de film aux Champs-Élysées !… un film tout à fait technique sur le typhus en Pologne… ma petite spécialité le typhus… mais on m'avait vu à ce typhus !… dès lors ce que j'ai reçu comme cercueils !… là le fatal tort, montrer des choses un peu sérieuses aux gens du commun !… des fesses, oui ! nichons de plus en plus énormes !… et comment ! formidables festins ! super-voitures ! super-pancraces… l'idéal !… le sérieux vous condamne !

Ce que je voyais de bien dans cet Harras c'est que les autres étaient que petites bourriques, lui au moins, était important… puisque nous étions dans son « Commando » qu'il nous fasse tout voir !… pas que son cratère bain finlandais ! et son boulodrome de têtes de statues !… ça devait être sous terre son reste ?… oui !… oui !… oui !… tout ce que je voulais !

Voilà, nous suivons… un tunnel… sous les décombres… ah tout à fait une autre école que l'hamac-étage Pretorius… rien du tout à voir, extérieur… nous suivons Harras… une grotte… un peu de jour… une autre… et des bureaux dans les parois… une immense salle aménagée comme à New York, mais au moins à vingt mètres sous terre… dactylos aussi, demoiselles comme en Amérique, très gentilles, et en pantalons.

« Qu'en dites-vous, Céline ?

— Tout à fait l'Europe nouvelle ! »

Du coup il a encore d'autres bureaux ! deux étages au-dessous… on entend la ventilation… encore d'autres souriantes dactylos… il traverse tout ça en pacha, Harras, il répond par des petits heil ! … toujours en si épais peignoir, citron et bleu ciel… encore un petit escalier… la bibliothèque !… un étage entier de registres… à côté, toute une voûte, une grotte, les fiches… je me disais ça devait être pareil à la Chancellerie… vingt-cinq mètres sous terre… pour ça que nous n'avions rien vu… il devait être encore plus profond Adolf… au fait, plus grave, le flic des « visas » ?

« Harras, Confrère ! une chose !… une seconde ! voulez-vous regarder nos photos ? »

Je les lui passe…

« Vous nous reconnaissez ? »

Il les regarde… il nous regarde…

« Non, évidemment !… moi, je vous reconnais… mais un étranger, surtout un « polizei » aurait du mal…

— Alors nos permis de séjour ?

— Ah, sacré Céline ! toujours inquiet !… mais ce n'est rien ! rien du tout !… je téléphonerai… après le thé !… ils vous l'apporteront !

— Moi aussi ? »

La Vigue croyait encore moins que moi… il se ressemblait plus du tout, lui, l'homme de « nulle part ».

« Mais bien sûr, mon cher Le Vigan !… vous l'aurez ! »

Il nous voit tout de même incrédules…

« Tenez un peu ! je téléphone ! »

Une demoiselle… telefon ! Polizei ! il a appelé… un numéro… heil Hitler ! … et il commence… mi-voix, sourde… ce qu'il a à dire !… et puis nos noms… La Vigue, Lili, moi…

« Là, ça y est !… c'est fait ! »

Il raccroche…

« Vous les aurez dans un quart d'heure ! »

Le recours à l'autorité est bien agréable des moments… zut ! flûte, trahison ! quand on a les hyènes au trouf, sauter dans la gueule du loup est tout de même une petite revanche… mieux que déchiqueté par les rats, parents, amis… amantes… cette Reichsgesundt sous terre, au moins une chose, on pouvait un peu réfléchir, on n'aurait pas pu rue Lepic… oh, pas que je pensais que ça durerait !… une semaine ou deux !… maintenant, tout de suite, dormir ! mais Harras veut d'abord qu'on mange… il a de quoi… il envoie deux jeunes filles souriantes nous chercher de tout… je vois revenir les jeunes filles souriantes avec de ces plateaux de sandwichs !… pas au pain noir !… pain blanc et beurre… de tout !… de tout ! je les vois… sandwichs… sandwichs !… et puis plus rien…

* * *

Vous parlez en fait de sommeil si on s'est fait réveiller !… « attention !… attention ! achtung !» tous les haut-parleurs de ces caves, bureaux, couloirs… une résonance à tout casser, tympans et la voûte… attention à quoi ?… La Vigue commençait à dormir au fond de son fauteuil… elle avait pas fait long feu notre « sécurité » !… leur confort !…

« Ferdine, ça va mal ! »

De là-haut, de la surface, il nous venait des « huluuuu » des échos de sirènes… ah, et des rrrr !… rrrr ! précis de petites salves… ils devaient tirer… contre quoi ?…

« La Vigue !… Lili ?… tu l'as vue ? »

Elle était partie de l'autre fauteuil…

« Elle est sortie avec Bébert ! »

Nom de Dieu, il l'avait laissée !

« Tu l'as pas retenue ?

— Et toi ? »

C'est vrai j'aurais dû me méfier, fatigue, pas fatigue, la manie de Lili s'en foutre que ce soit défendu, sortir coûte que coûte… fugueuse dans un sens… elle me l'avait fait à Sartrouville, promené Bébert, onze heures du soir au bord de la Seine… les Allemands étaient en face, en reconnaissance, l'autre rive… forcément, elle et sa lampe, ils l'avaient visée… ptaf ! ptaf ! … nous partions le lendemain, avec l'ambulance et les nourrissons et la pompe à incendie et les archives municipales… sept camions… Sartrouville… Saint-Jean-d'Angély… cet incident des coups de feu allemands… la berge en face… l'avait beaucoup amusée… je lui avais dit ce que j'en pensais… au diable, ce que je pensais !… je suis sûr là qu'elle était sortie juste parce que c'était défendu, et avec Bébert… j'attrape mes cannes… La Vigue me suit… un escalier… le couloir… nous montons… le tunnel… ah, je m'en doutais !… ah, c'est du propre ! le barouf de tout ! plein l'air de sirènes ! uuuuu ! peut-être un bombardement ?… j'entends pas de bombes… mais ptaf ! et rrrrr ! bataille de rue ? peut-être des parachutistes, des vrais, pas des rigolos comme nous… ça doit tirer au fusil… tout près… j'appelle…

« Lili !… Lili !…

— Voilà !… voilà !… »

Ah, elle est vivante !

« T'es blessée ?

— Mais non !… mais Bébert sort plus ! »

Je rehurle :

« Sort plus d'où ?

— Là ! là ! du trou là ! »

Je branquille vers l'endroit… oh, mais Lili a sa « torch » !… grand allumée !… presque un projecteur ! elle illuminait tout le sous-bois… elle a attiré du monde, ils sont au moins dix autour… qui regardent aussi le trou, entre les briques, sous les ronces… dix « landsturm » barbus… Lili s'occupe pas… elle appelle Bébert… il doit être dans le creux, sous les ronces… Harras !… le voici !… heureusement !… et de très bonne humeur !… et avec un autre peignoir, orange et violet… il les collectionne !… qu'est-ce qu'il s'est rapporté de Lisbonne !… il peut se monter un magasin ! en tout cas nous le faisons bien rire !… il me montre aux nuages les badigeons ! comme tout ça s'agite ! biffe le ciel ! la grande alerte ! et que c'est Lili et la Volksturm qu'ont tout déclenché ! ah, comme c'est drôle !… et bien français !

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