Jean Echenoz - L'Équipée malaise

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L'Équipée malaise: краткое содержание, описание и аннотация

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La Malaisie, ce serait la belle vie si le duc Pons ne risquait de s’en voir chassé. Cette idée n’est pas supportable: plutôt que renoncer au pouvoir, au grand air, à ses projets astronomiques, le duc choisit la résistance. D’Europe il va faire venir des renforts, à bord d’un cargo cypriote.
Ces renforts, à Paris, viennent d’affronter des épreuves redoublées, des amours parallèles. Ils n’en peuvent plus. Supérieurement fourbus par le décalage horaire, ils jouent aux dés en attendant d’aller se battre.
«Le récit de L'Équipée malaise s'organise sur deux axes.
Selon le premier, toutes les circonstances qui provoquent l'action se présentent de façon répétitive: “ Tout ira par deux, toujours plus ou moins par deux ” (p. 49). Par deux, les inconnus qui viennent successivement demander un service à Paul; mais aussi les grands soubresauts qui soulèvent le récit (la mutinerie en mer et celle de la plantation) comme les innombrables repères qui le ponctuent.
Dans l'autre sens, perpendiculaire dirait-on, une navette ne cesse de parcourir la trame, à l'image du cargo qui trace imperturbablement son chemin entre l'Asie du Sud-Est et l'Europe, aller et retour. Boustrophédon: “ Écriture primitive dont les lignes vont sans interruption de gauche à droite et de droite à gauche. ”
Récurrence et va-et-vient: le lecteur se retrouve bien à la dernière page du récit dans la même situation qu'à la première, où deux amis sont amoureux de la même femme.
En réalité, tout a changé: dans l'intervalle s'est glissé un roman d'aventures aux nombreuses péripéties mais où, derrière de claires références à Conrad, chaque thème est subverti. Car l'équipée est à l'aventure ce que Don Quichotte est à la chevalerie: la dérision d'un mythe et la naissance d'autre chose. Ici, les trafiquants d'armes sont amoureux, les gangsters minables et les rebelles incapables; chaque protagoniste est affecté d'un signe qui inverse la nature de son rôle. Même les dés sont pipés. Cette équipée s'appelle malaise. Cependant, grâce à la sagacité et au sang-froid du plus marginal et du plus effacé d'entre eux, seul adulte responsable dans un monde immature, cette succession d'inconséquences, de trébuchements et d'échecs impardonnables va se clore en apothéose sur le triomphe de l'amour.»

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13

Comme d'habitude, Bob est vêtu d'un blouson de cuir et de jeans pâlis. Il a chaussé des bottes noires à talons biseautés, mais aussi des lunettes noires italiennes très couvrantes, et il s'est ganté de chevreau.

Il approche à pas vifs d'une vitrine protégeant des joyaux indistincts. D'un geste sec, il baisse d'un tiers la fermeture éclair du blouson, en extrait un gros marteau qu'il abat sur la devanture par son milieu, produisant une ardente explosion de matière vitreuse, joyeux tutti de cymbaliers ivres en fin de banquet corporatif, et de gros éclats triangulaires font avalanche sur le tarmaca-dam; d'aucuns, prismatiques, décomposent fugacement la lumière du jour; l'un d'eux, trop acéré, vient entailler la croûte de cuir de sa botte gauche.

L'accès aux bijoux se trouve déjà bien dégagé, mais Bob continue de frapper furieusement sur le moindre éclat de verre, comme si c'était après leur transparence qu'il en avait. Paul considère cela sans comprendre, n'ayant jamais vu son ami clans cet état.

– Un exemple entre mille, énonce une voix d'homme grave, pour illustrer le thème du débat d'aujourd'hui.

On voit cet homme grave, ses mâchoires sont carrées, ses dents sont détartrées. Il se tourne sur sa gauche, sur sa droite; nos invités sur ce plateau, Jacques Terrasson, Gérard de Broche. A leur tour on les voit. L'un d'eux – Terrasson - mûrit sous les sunlights, son cœur bat trop vite sous le bleu roi mais il s'admire d'être là. Plus pâle, plus chiné, de Broche paraît aussi plus ennuyé, il jette un œil condescendant sur le bout de crocodile contenant son pied.

Dans le studio attenant, une jeune dame en pantalon fait signe à Bob qui cesse aussitôt de cogner. Il s'approche, son marteau à la main – elle maintient une distance entre eux. Sur un autre signe il la suit jusque dans un bureau, où la jeune dame lui tend un formulaire: Bob y porte son nom, ses numéros de compte bancaire et de Sécurité sociale. Après qu'il s'en va, les débats commencent de battre leur plein devant les ménagères, peut-on vraiment parler d'aggravation sensible? Sensible n'est pas le mot, s'étrangle Terrasson, ce n'est pas sensible qu'il faut dire. Sans insister, Paul presse un bouton sur le boîtier de la télécommande. S'il y avait encore du monde connu sur les autres chaînes? Et tant qu'à faire la fille au feutre gris? Non, c'est une histoire de clones.

Un inventeur confectionnait des hommes à son image. Ceux-ci l'aidaient dans ses travaux, qui consistaient à produire toujours d'autres doubles de lui. Quoique ce processus, très vite, s'accélérât bien sûr follement, une grande harmonie régnait dans le laboratoire, le savant s'entendait à merveille avec ses doubles. Jusqu'au jour où l'un d'eux, pris d'une légitime crise d'identité, affirma être lui-même le savant, celui-ci n'étant qu'un de ses clones usurpant son état civil. Paul se perdait bientôt dans l'abyme des trucages. Il se trouvait assis dans le fauteuil rouge, un plateau devant lui supportait un verre de vin blanc, une assiette blanche sous une viande froide avec du ketchup rouge dessus, un jet de moutarde jaune très clair, très forte, qui faisait pleurer Paul, brouillait supérieurement la trame du téléfilm.

Ensuite il tournait à nouveau dans l'appartement: même à deux, c'avait été déjà trop grand. Toutes les fenêtres de la tour d'en face étaient fermées sauf une, par quoi le retraité exposait toujours à l'air son chien marron serré contre son buste, les pattes de l'animal se détachaient nettement sur le cadre en aluminium. Plus à gauche, Paul savait que vivait une seule femme efflanquée de cinquante ans, peut-être quarante-cinq, peu attirante quoique joviale. Elle mettait fort la musique en pédalant avec ardeur, tous les dimanches matins, sur un vélo d'entraînement fixé au sol de son living, sa grande bouche fendue en sourire haleté sur ses longues incisives d'alezan, l'accordéon voltigeant en flopées nacrées par la fenêtre ouverte.

Puis à nouveau la chambre. Dunette pendant les nuits d'orage lorsque le vent faisait frémir la tour, Paul s'y tenait comme Illinois lui-même à l'époque du cap Horn, recommandant son âme, tirant des plans pour qu'on s'en sorte. Mais aujourd'hui le temps est d'huile, il coule comme une huile froide. Le téléphone dort, il n'y a rien à faire ici. En passant par la salle de bains, Paul prend dans l'armoire un sac de vêtements sales.

Plus tard il se livrait dans la cuisine à de petites interventions. Rinçait un verre, chauffait de l'eau pour une idée de thé, vérifiait la péremption gravée sur la capuche d'un yaourt divorcé. La machine à laver dévidait son programme par déclics, par vibrations diversement rythmées, du sensuel prélavage à l'essorage furieux pendant quoi l'appareil forcené gronde en tremblant, trépigne sur place en effrayant: la rotation de ses entrailles devient intenable au point qu'il désire à toute force s'échapper, fuser vers le ciel en trouant les plafonds, les planchers successifs, tournoyer à travers la cuisine en broyant tout sur son passage comme quand un bœuf viviséqué, emballé de douleur, brise ses liens en beuglant des malédictions, démolit le bloc opératoire qui s'effondre par pans sous sa charge, les pinces et les ciseaux chromés banderilles virevoltant dans sa chair balisée de gaze rouge. La fureur des machines à laver s'opposant au bourdon des réfrigérateurs, placidement alternatif, les cuisines sont ainsi des corrals pleins de machines sauvages et domestiques groupées autour des gazinières où bouillonnent les eaux du thé. Paul surveille son cheptel, solitaire vacher traversant un désert de sel.

On sonne à la porte et c'est Bob qui se frottait les mains sur le palier, son cuir toujours zippé jusqu'aux oreilles, deux sucres dans son thé, pas si chaud dehors, quoi de neuf, ça n'a pas l'air d'aller. (Il vide sa tasse.) On va sortir un peu, l'air frais. Ça va te faire du bien.

Il n'a pas ôté son blouson, il rappelle l'ascenseur. Tu as repensé à Bouc Bel-Air? Paul enfile quelque chose, laissant renâcler seul son troupeau mécanique. Ce qu'il t'a dit l'autre jour? insiste Bob. Paul se boutonne. Sa bouche va s'ouvrir, prise de vitesse par la porte de l'ascenseur qui découvre une cabine bondée de femmes enceintes. On se tait jusqu'au rez-de-chaussée.

La porte se rouvrit sur le hall au beau milieu duquel, dans la position du pied de grue, se tenait le dénommé Toon aux traits poupins sinon déjà bouffis, avec sa mauvaise tête d'ancien enfant vexé de n'avoir pas crû comme tout un chacun. Sa chrysalide restait son pardessus trop large, trop long, dont la ceinture trop serrée déversait un Niagara de plis jusqu'au bas des chevilles; un chapeau mou ombrait les butées molles de son visage comme un relevé de courbes de niveau. Il s'approcha d'eux, ses mains dans ses poches secouaient des clefs, des pièces de monnaie, ses phalanges craquaient vindicativement parmi la sonnaille des alliages.

– Il y a Lucien qui veut vous voir, fit-il d'une voix haut perchée, avec un mouvement de menton.

Il désignait le gris clair de la rue à travers les portes, au-delà des pantodons et des scalaires sinuant entre les bulles, les néons envasés, étudiant l'air derrière les vitres protectrices de l'aquarium géant. A cent mètres de là stationnait un 4 x 4 Lada brique, haut sur pneus, dont la lunette arrière s'ornait d'un autocollant vert conviant à la visite du parc paysager de Waterloo. Au volant, Van Os regardait grossir les trois hommes à la surface du rétroviseur.

Toon et Bob se glissèrent à l'arrière, Van Os ayant désigné la place du mort à Paul – dont un pan d'imperméable se prit dans la portière claquée. Il y avait beaucoup de bruit dans cette voiture pleine d'hommes, la radio étant branchée fort sur la fréquence qui relie au district de tutelle les brigades mobiles lâchées dans les arrondissements. Sereinement on se conviait sur divers lieux du crime ou simples théâtres de faits divers, on se communiquait des signalements rongés de craquements parasites, de gargouillis couvrant parfois le propos, le rendant inintelligible, les fonctionnaires le répétaient alors plus haut. Van Os posa un doigt sur ses lèvres en se tournant vers Paul: il semblait, partition en main, accueillir dans sa loge un retardataire au beau milieu du larghetto; Paul n'entendait rien à ce que se criaient les policiers.

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