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Albert Сamus: L’etranger

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Albert Сamus L’etranger

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Etranger sur la terre, etranger a lui-meme, Meursault le bien nomme pose les questions qui deviendront un leitmotiv dans l'oeuvre de Camus. De La Peste a La Chute, mais aussi dans ses pieces et dans ses essais, celui qui allait devenir Prix Nobel de litterature en 1957 ne cessera de s'interroger sur le sens de l'existence. Sa mort violente en 1960 contribua quelque peu a rendre mythique ce maitre a penser de toute une generation. --Karla Manuele

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En me reveillant, j'ai compris pourquoi mon patron avait l'air mecontent quand je lui ai demande mes deux jours de conge : c'est aujourd'hui samedi. Je l'avais pour ainsi dire oublie, mais en me levant, cette idee m'est venue. Mon patron, tout naturellement, a pense que j'aurais ainsi quatre jours de vacances avec mon dimanche et cela ne pouvait pas lui faire plaisir. Mais d'une part, ce n'est pas de ma faute si on a enterre maman hier au lieu d'aujourd'hui et d'autre part, j'aurais eu mon samedi et mon dimanche de toute facon. Bien entendu, cela ne m'empeche pas de comprendre tout de meme mon patron.

J'ai eu de la peine a me lever parce que j'etais fatigue de ma journee d'hier. Pendant que je me rasais, je me suis demande ce que j'allais faire et j'ai decide d'aller me baigner. J'ai pris le tram pour aller a l'etablissement de bains du port. La, j'ai plonge dans la passe. Il y avait beaucoup de jeunes gens. J'ai retrouve dans l'eau Marie Gardona, une ancienne dactylo de mon bureau dont j'avais eu envie a l'epoque. Elle aussi, je crois. Mais elle est partie peu apres et nous n'avons pas eu le temps. Je l'ai aidee a monter sur une bouee et, dans ce mouvement, j'ai effleure ses seins. J'etais encore dans l'eau quand elle etait deja a plat ventre sur la bouee. Elle s'est retournee vers moi. Elle avait les cheveux dans les yeux et elle riait. Je me suis hisse a cote d'elle sur la bouee. Il faisait bon et, comme en plaisantant, j'ai laisse aller ma tete en arriere et je l'ai posee sur son ventre. Elle n'a rien dit et je suis reste ainsi. J'avais tout le ciel dans les yeux et il etait bleu et dore. Sous ma nuque, je sentais le ventre de Marie battre doucement. Nous sommes restes longtemps sur la bouee, a moitie endormis. Quand le soleil est devenu trop fort, elle a plonge et je l'ai suivie. Je l'ai rattrapee, j'ai passe ma main autour de sa taille et nous avons nage ensemble. Elle riait toujours. Sur le quai, pendant que nous nous sechions, elle m'a dit: «Je suis plus brune que vous.» Je lui ai demande si elle voulait venir au cinema, le soir. Elle a encore ri et m'a dit qu'elle avait envie de voir un film avec Fernandel. Quand nous nous sommes rhabilles, elle a eu l'air tres surprise de me voir avec une cravate noire et elle m'a demande si j'etais en deuil. Je lui ai dit que maman etait morte. Comme elle voulait savoir depuis quand, j'ai repondu: «Depuis hier.» Elle a eu un petit recul, mais n'a fait aucune remarque. J'ai eu envie de lui dire que ce n'etait pas de ma faute, mais je me suis arrete parce que j'ai pense que je l'avais deja dit a mon patron. Cela ne signifiait rien. De toute facon on est toujours un peu fautif.

Le soir, Marie avait tout oublie. Le film etait drole par moments et puis vraiment trop bete. Elle avait sa jambe contre la mienne. Je lui caressais les seins. Vers la fin de la seance, je l'ai embrassee, mais mal. En sortant, elle est venue chez moi.

Quand je me suis reveille, Marie etait partie. Elle m'avait explique qu'elle devait aller chez sa tante. J'ai pense que c'etait dimanche et cela m'a ennuye: je n'aime pas le dimanche. Alors, je me suis retourne dans mon lit, j'ai cherche dans le traversin l'odeur de sel que les cheveux de Marie y avaient laissee et j'ai dormi jusqu'a dix heures. J'ai fume ensuite des cigarettes, toujours couche, jusqu'a midi. Je ne voulais pas dejeuner chez Celeste comme d'habitude parce que, certainement, ils m'auraient pose des questions et je n'aime pas cela. Je me suis fait cuire des ?ufs et je les ai manges a meme le plat, sans pain parce que je n'en avais plus et que je ne voulais pas descendre pour en acheter.

Apres le dejeuner, je me suis ennuye un peu et j'ai erre dans l'appartement. Il etait commode quand maman etait la. Maintenant il est trop grand pour moi et j'ai du transporter dans ma chambre la table de la salle a manger. Je ne vis plus que dans cette piece, entre les chaises de paille un peu creusees, l'armoire dont la glace est jaunie, la table de toilette et le lit de cuivre. Le reste est a l'abandon. Un peu plus tard, pour faire quelque chose, j'ai pris un vieux journal et je l'ai lu. J'y ai decoupe une reclame des sels Kruschen et je l'ai collee dans un vieux cahier ou je mets les choses qui m'amusent dans les journaux. Je me suis aussi lave les mains et, pour finir, je me suis mis au balcon.

Ma chambre donne sur la rue principale du faubourg. L'apres-midi etait beau. Cependant, le pave etait gras, les gens rares et presses encore. C'etaient d'abord des familles allant en promenade, deux petits garcons en costume marin, la culotte au-dessous du genou, un peu empetres dans leurs vetements raides, et une petite fille avec un gros n?ud rose et des souliers noirs vernis. Derriere eux, une mere enorme, en robe de soie marron, et le pere, un petit homme assez frele que je connais de vue. Il avait un canotier, un n?ud papillon et une canne a la main. En le voyant avec sa femme, j'ai compris pourquoi dans le quartier on disait de lui qu'il etait distingue. Un peu plus tard passerent les jeunes gens du faubourg, cheveux laques et cravate rouge, le veston tres cintre, avec une pochette brodee et des souliers a bouts carres. J'ai pense qu'ils allaient aux cinemas du centre. C'etait pourquoi ils partaient si tot et se depechaient vers le tram en riant tres fort.

Apres eux, la rue peu a peu est devenue deserte. Les spectacles etaient partout commences, je crois. Il n'y avait plus dans la rue que les boutiquiers et les chats. Le ciel etait pur mais sans eclat au-dessus des ficus qui bordent la rue. Sur le trottoir d'en face, le marchand de tabac a sorti une chaise, l'a installee devant sa porte et l'a enfourchee en s'appuyant des deux bras sur le dossier. Les trams tout a l'heure bondes etaient presque vides. Dans le petit cafe «Chez Pierrot», a cote du marchand de tabac, le garcon balayait de la sciure dans la salle deserte. C'etait vraiment dimanche.

J'ai retourne ma chaise et je l'ai placee comme celle du marchand de tabac parce que j'ai trouve que c'etait plus commode. J'ai fume deux cigarettes, je suis rentre pour prendre un morceau de chocolat et je suis revenu le manger a la fenetre. Peu apres, le ciel s'est assombri et j'ai cru que nous allions avoir un orage d'ete. Il s'est decouvert peu a peu cependant. Mais le passage des nuees avait laisse sur la rue comme une promesse de pluie qui l'a rendue plus sombre. Je suis reste longtemps a regarder le ciel.

A cinq heures, des tramways sont arrives dans le bruit. Ils ramenaient du stade de banlieue des grappes de spectateurs perches sur les marchepieds et les rambardes. Les tramways suivants ont ramene les joueurs que j'ai reconnus a leurs petites valises. Ils hurlaient et chantaient a pleins poumons que leur club ne perirait pas. Plusieurs m'ont fait des signes. L'un m'a meme crie: «On les a eus.» Et j'ai fait: «Oui», en secouant la tete. A partir de ce moment, les autos ont commence a affluer.

La journee a tourne encore un peu. Au-dessus des toits, le ciel est devenu rougeatre et, avec le soir naissant, les rues se sont animees. Les promeneurs revenaient peu a peu. J'ai reconnu le monsieur distingue au milieu d'autres. Les enfants pleuraient ou se laissaient tramer. Presque aussitot, les cinemas du quartier ont deverse dans la rue un flot de spectateurs. Parmi eux, les jeunes gens avaient des gestes plus decides que d'habitude et j'ai pense qu'ils avaient vu un film d'aventures. Ceux qui revenaient des cinemas de la ville arriverent un peu plus tard. Ils semblaient plus graves. Ils riaient encore, mais de temps en temps, ils paraissaient fatigues et songeurs. Ils sont restes dans la rue, allant et venant sur le trottoir d'en face. Les jeunes filles du quartier, en cheveux, se tenaient par le bras. Les jeunes gens s'etaient arranges pour les croiser et ils lancaient des plaisanteries dont elles riaient en detournant la tete. Plusieurs d'entre elles, que je connaissais, m'ont fait des signes.

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