Adolphe Ennery - Michel Strogoff
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LE GOUVERNEUR.
Tiens, es-tu content? Regarde. (Il remet le passeport à Ivan.)
IVAN, après avoir lu. Ah! Excellence, avec un pareil permis, on passe partout! Il n'y manque plus…
LE GOUVERNEUR. Que ma signature, et je vais à l'instant même… (Il s'approche de la table, s'assied et prend la plume. Un aide de camp entre.)
L'AIDE DE CAMP. Un pli pour Son Excellence! (Il remet un pli cacheté. Le gouverneur le lit.)
SANGARRE, à Ivan.
Mais il ne signera donc pas!
IVAN, bas.
Patience!
LE GOUVERNEUR, au général qu'il emmène à gauche.
Général, nous parlions tout à l'heure du colonel Ivan Ogareff.
SANGARRE, à part.
Ton nom!
IVAN, bas.
Tais-toi!
LE GOUVERNEUR. Ce traître qui fut cassé de son grade et condamné à mort pour avoir fomenté, une fois déjà, le soulèvement des Tartares…
LE GENERAL. Oui, Ogareff, dont l'empereur a commué la peine en une perpétuelle détention dans la forteresse de Polstock.
LE GOUVERNEUR. Il s'est échappé récemment de sa prison. Voilà ce qu'on m'écrit du cabinet de Pétersbourg: Ivan Ogareff s'est enfui! … Il faut mettre toute notre police sur sa trace.
LE GENERAL. Nous ferons très sévèrement garder la frontière que, sans passeport, il ne pourra franchir.
LE GOUVERNEUR, s'asseyant à la table et écrivant. Que les ordres soient transmis sans retard. Il importe que le Grand-Duc soit prévenu au plus tôt, car cette lettre du ministre me marque que, d'après une correspondance, saisie depuis l'évasion d'Ivan Ogareff, le plan de ce traître serait de pénétrer dans Irkoutsk, et s'il y parvient, c'est la mort du Grand-Duc, objet de sa haine personnelle!
IVAN, à Sangarre.
Mais ils savent donc tout?.. Allons… (S'approchant.)
Excellence!
LE GOUVERNEUR.
Que me veut-on?.. Qui ose se permettre?..
IVAN.
Pardon, monseigneur…
LE GOUVERNEUR. Ah! c'est toi!.. Eh bien!.. Eh bien!..attends! (Il continue d'écrire.)
IVAN, bas.
Que va-t-il décider?
LE GOUVERNEUR, se levant. Au général. Faites partir cette dépêche. Grâce à elle ce misérable ne passera pas la frontière, et toi… (Ivan s'incline.) tiens, voici ton permis… Personne n'entravera ta route!
IVAN, avec ironie. Monseigneur, vous ne saurez jamais tout ce que je vous dois de reconnaissance!
LE GOUVERNEUR.
C'est bon, c'est bon!.. Va!
IVAN, à part. Viens, Sangarre… Libre maintenant, et bientôt vengé! (Ivan, Sangarre et les Tsiganes sortent par la porte de gauche, en même temps que Jollivet et Blount entrent par la droite.)
SCENE VII
LE GOUVERNEUR, LE GENERAL, JOLLIVET, BLOUNT, INVITES.
LE GOUVERNEUR, aux invités. Eh bien, messieurs, n'entendez-vous pas l'orchestre qui vous appelle? Voulez-vous autoriser les journaux étrangers à dire qu'une fête donner en l'honneur de Sa Majesté n'a pas duré jusqu'au jour? Nous avons là des correspondants qui, j'en suis sûr, notent nos moindres impressions!
JOLLIVET. Monsieur le gouverneur, les reporters sont curieux, mais non des indiscrets.
BLOUNT. Curiousses toujours, indiscrètes jamais… les reporters anglais… jamais!
JOLLIVET. D'ailleurs, en ce qui me concerne, je compte quitter Moscou après le bal, et je prie Votre Excellence de recevoir mes sincères remerciements.
BLOUNT.
Je priai de recevoir aussi les miennes… avant…
JOLLIVET, riant. Oui, ceux de monsieur… avant, pour votre bienveillant accueil…
LE GOUVERNEUR.
Et de quel côté dirigez-vous vos pas, messieurs?
BLOUNT.
Moi… côté de Sibérie.
JOLLIVET.
Moi, de même!.. Nous allons voyager ensemble, cher collègue!
BLOUNT.
Dans le même temps, oui… ensemblement… non!
JOLLIVET.
Toujours charmant, M. Blount!
LE GOUVERNEUR.
Bon, je comprends!.. On a parlé d'un mouvement en Tartarie…
Mais cela ne vaut pas la peine que vous vous dérangiez!
JOLLIVET.
Pardon, Excellence, mon métier est de tout voir…
BLOUNT.
Le mienne, de tout voir et de tout entendre… avant!
JOLLIVET. Et mon journal… je veux dire… ma cousine, est très friande de ces nouvelles, dont elle recevra la primeur.
BLOUNT.
Le Morning-Post recevra…
JOLLIVET. Avant?.. Impossible, cher confrère… Les dames sont toujours servies les premières!
LE GOUVERNEUR. En tout cas, messieurs, vous m'appartenez jusqu'au jour, et je veux qu'après avoir assisté à la fête officielle, vous assistiez, du haut de ce balcon, à la fête populaire qui va commencer à minuit.
JOLLIVET. Soit, nous partirons demain!.. Si vous me le permettez, je vous ferai une proposition, monsieur Blount! Nous sommes rivaux.
BLOUNT.
Ennemis, mister!
LE GOUVERNEUR, riant.
Ennemis!
JOLLIVET. Ennemis, c'est convenu!.. Mais, attendons, pour ouvrir les hostilités, que nous soyons sur le théâtre de la guerre… et une fois là, chacun pour soi, et Dieu pour…
BLOUNT.
Et Dieu pour moi.
JOLLIVET. Et Dieu pour vous!.. Pour vous tout seul!.. Très bien. Cela va-t-il?
BLOUNT.
Non!.. cela ne allait pas!
JOLLIVET. Alors, la guerre tout de suite… mais je suis bon prince. (Lui prenant le bras et l'emmenant à l'écart.) Je vous annonce, petit père, comme disent les Russes, que les Tartares ont descendu le cours de l'Irtyche.
BLOUNT.
Ah! vous pensez que les Tertères…
JOLLIVET, riant. Et si je vous le dis, mon cher ennemi, c'est que j'en ai télégraphié la nouvelle à ma cousine, hier soir, à huit heures moins un quart! (Riant.) Ah! ah! ah!
BLOUNT. Et moi, hier, je l'avais télégraphié au Morning-Post , à sept heures et demie… Ah! ah! ah!
JOLLIVET.
L'animal!.. Je vous revaudrai ça, mon bon gros monsieur
Blount!
BLOUNT.
Vous moquez-vous encore, monsieur?..
JOLLIVET.
Eh bien, non, mon bon petit monsieur Blount!.. là!
BLOUNT.
Vous moquez toujours!
JOLLIVET.
Non…
BLOUNT, furieux. Vous moquez, je vous dis!.. Vous moquez, monsieur, vous êtes une mauvaise vilaine homme!.. une méchante personnage!.. vous êtes une… (Tranquillement) Comment vous appelez une personne qui parle sans politesse?..
JOLLIVET.
Un impertinent.
BLOUNT, tranquillement. Impertinente… Very well… merci! (Reprenant un ton furieux.) Vous êtes une impertinente, entendez-vous!..
JOLLIVET.
Très bien!
BLOUNT.
Et si vous continouyez!..
JOLLIVET.
Et si je continouye?..
BLOUNT.
Je finissais un jour par touyer vous!
JOLLIVET.
Me touyer?.. Comprends pas.
BLOUNT.
Oui!.. touyer avec une épi…
JOLLIVET.
Un épi de blé?
BLOUNT.
Non… une épi ou une pistolette…
JOLLIVET.
Epée! On dit une épée… ou un pistolet.
BLOUNT.
Epée vous dites?
JOLLIVET.
Oui.
BLOUNT.
Et pistolet?
JOLLIVET.
Oui.
BLOUNT. Oh! Very well, merci. (Avec colère.) Eh bien, je tuerai vous, avec une épi… épée ou un pistolet!
JOLLIVET.
A la bonne heure!.. Vous faites des progrès, élève Blount!..
Je suis content de vous!
BLOUNT.
Mister Jollivette.
JOLLIVET.
Jollivet, s'il vous plaît!.. Jollivette est ridicule.
BLOUNT.
Alors, j'appelai vous toujours Jollivette. (Avec force.)
Jollivette!.. Jollivette!.. Jollivette!.. Ah!..
LE GOUVERNEUR, rentrant.
Messieurs, j'entends les premiers accords de l'orchestre…
C'est notre danse nationale.
JOLLIVET.
Nous sommes à la disposition de Votre Excellence.
(Tous deux entrent dans le salon. Au moment où le gouverneur et le général vont franchir la porte, l'aide de camp rentre précipitamment par la gauche.)
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