Justement en ce moment-là même, La Mole traduisait, avec Marguerite, une idylle de Théocrite, et Coconnas buvait, sous prétexte qu’il était Grec aussi, force vin de Syracuse avec Henriette.
La conversation scientifique et la conversation bachique furent violemment interrompues.
Commencer par éteindre les bougies, ouvrir les fenêtres, s’élancer sur le balcon, distinguer quatre hommes dans les ténèbres, leur lancer sur la tête tous les projectiles qui leur tombèrent sous la main, faire un affreux bruit de coups de plat d’épée qui n’atteignaient que le mur, tel fut l’exercice auquel se livrèrent immédiatement La Mole et Coconnas. Charles, le plus acharné des assaillants, reçut une aiguière d’argent sur l’épaule, le duc d’Anjou un bassin contenant une compote d’orange et de cédrats, et le duc de Guise un quartier de venaison.
Henri ne reçut rien. Il questionnait tout bas le portier, que M. de Guise avait attaché à la porte, et qui répondait par son éternel:
– Ich verstehe nicht.
Les femmes encourageaient les assiégés et leur passaient des projectiles qui se succédaient comme une grêle.
– Par la mort-diable! s’écria Charles IX en recevant sur la tête un tabouret qui lui fit rentrer son chapeau jusque sur le nez, qu’on m’ouvre bien vite, ou je ferai tout pendre là-haut.
– Mon frère! dit Marguerite bas à La Mole.
– Le roi! dit celui-ci tout bas à Henriette.
– Le roi! le roi! dit celle-ci à Coconnas, qui traînait un bahut vers la fenêtre, et qui tenait à exterminer le duc de Guise, auquel, sans le connaître, il avait particulièrement affaire. Le roi! je vous dis.
Coconnas lâcha le bahut, regarda d’un air étonné.
– Le roi? dit-il.
– Oui, le roi.
– Alors, en retraite.
– Eh! justement La Mole et Marguerite sont déjà partis! venez.
– Par où?
– Venez, vous dis-je. Et le prenant par la main, Henriette entraîna Coconnas par la porte secrète qui donnait dans la maison attenante; et tous quatre, après avoir refermé la porte derrière eux, s’enfuirent par l’issue qui donnait rue Tizon.
– Oh! oh! dit Charles, je crois que la garnison se rend.
On attendit quelques minutes; mais aucun bruit ne parvint jusqu’aux assiégeants.
– On prépare quelque ruse, dit le duc de Guise.
– Ou plutôt on a reconnu la voix de mon frère et l’on détale, dit le duc d’Anjou.
– Il faudra toujours bien qu’on passe par ici, dit Charles.
– Oui, reprit le duc d’Anjou, si la maison n’a pas deux issues.
– Cousin, dit le roi, reprenez votre pierre, et faites de l’autre porte comme de celle-ci.
Le duc pensa qu’il était inutile de recourir à de pareils moyens, et comme il avait remarqué que la seconde porte était moins forte que la première, il l’enfonça d’un simple coup de pied.
– Les torches, les torches! dit le roi.
Les laquais s’approchèrent. Elles étaient éteintes, mais ils avaient sur eux tout ce qu’il fallait pour les rallumer. On fit de la flamme. Charles IX en prit une et passa l’autre au duc d’Anjou.
Le duc de Guise marcha le premier, l’épée à la main.
Henri ferma la marche.
On arriva au premier étage.
Dans la salle à manger était servi ou plutôt desservi le souper, car c’était particulièrement le souper qui avait fourni les projectiles. Les candélabres étaient renversés, les meubles sens dessus dessous, et tout ce qui n’était pas vaisselle d’argent en pièces.
On passa dans le salon. Là pas plus de renseignements que dans la première chambre sur l’identité des personnages. Des livres grecs et latins, quelques instruments de musique, voilà tout ce que l’on trouva.
La chambre à coucher était plus muette encore. Une veilleuse brûlait dans un globe d’albâtre suspendu au plafond; mais on ne paraissait pas même être entré dans cette chambre.
– Il y a une seconde sortie, dit le roi.
– C’est probable, dit le duc d’Anjou.
– Mais où est-elle? demanda le duc de Guise. On chercha de tous côtés; on ne la trouva pas.
– Où est le concierge? demanda le roi.
– Je l’ai attaché à la grille, dit le duc de Guise.
– Interrogez-le, cousin.
– Il ne voudra pas répondre.
– Bah! on lui fera un petit feu bien sec autour des jambes, dit le roi en riant, et il faudra bien qu’il parle.
Henri regarda vivement par la fenêtre.
– Il n’y est plus, dit-il.
– Qui l’a détaché? demanda vivement le duc de Guise.
– Mort-diable! s’écria le roi, nous ne saurons rien encore.
– En effet, dit Henri, vous voyez bien, Sire, que rien ne prouve que ma femme et la belle-sœur de M. de Guise aient été dans cette maison.
– C’est vrai, dit Charles. L’Écriture nous apprend: il y a trois choses qui ne laissent pas de traces: l’oiseau dans l’air, le poisson dans l’eau, et la femme… non, je me trompe, l’homme chez…
– Ainsi, interrompit Henri, ce que nous avons de mieux à faire…
– Oui, dit Charles, c’est de soigner, moi ma contusion; vous, d’Anjou, d’essuyer votre sirop d’oranges, et vous, Guise, de faire disparaître votre graisse de sanglier.
Et là-dessus ils sortirent sans se donner la peine de refermer la porte. Arrivés à la rue Saint-Antoine:
– Où allez-vous, messieurs? dit le roi au duc d’Anjou et au duc de Guise.
– Sire, nous allons chez Nantouillet, qui nous attend à souper, mon cousin de Lorraine et moi. Votre Majesté veut-elle venir avec nous?
– Non, merci; nous allons du côté opposé. Voulez-vous un de mes porte-torches?
– Nous vous rendons grâce, Sire, dit vivement le duc d’Anjou.
– Bon; il a peur que je ne le fasse espionner, souffla Charles à l’oreille du roi de Navarre. Puis prenant ce dernier par-dessous le bras:
– Viens! Henriot, dit-il; je te donne à souper ce soir.
– Nous ne rentrons donc pas au Louvre? demanda Henri.
– Non, te dis-je, triple entêté! viens avec moi, puisque je te dis de venir; viens. Et il entraîna Henri par la rue Geoffroy-Lasnier.
Au milieu de la rue Geoffroy-Lasnier venait aboutir la rue Garnier-sur-l’Eau, et au bout de la rue Garnier-sur-l’Eau s’étendait à droite et à gauche la rue des Barres.
Là, en faisant quelques pas vers la rue de la Mortellerie, on trouvait à droite une petite maison isolée au milieu d’un jardin clos de hautes murailles et auquel une porte pleine donnait seule entrée.
Charles tira une clef de sa poche, ouvrit la porte, qui céda aussitôt, étant fermée seulement au pêne; puis ayant fait passer Henri et le laquais qui portait la torche, il referma la porte derrière lui.
Une seule petite fenêtre était éclairée. Charles la montra du doigt en souriant à Henri.
– Sire, je ne comprends pas, dit celui-ci.
– Tu vas comprendre, Henriot. Le roi de Navarre regarda Charles avec étonnement. Sa voix, son visage avaient pris une expression de douceur qui était si loin du caractère habituel de sa physionomie, que Henri ne le reconnaissait pas.
– Henriot, lui dit le roi, je t’ai dit que lorsque je sortais du Louvre, je sortais de l’enfer. Quand j’entre ici, j’entre dans le paradis.
– Sire, dit Henri, je suis heureux que Votre Majesté m’ait trouvé digne de me faire faire le voyage du ciel avec elle.
– Le chemin en est étroit, dit le roi en s’engageant dans un petit escalier, mais c’est pour que rien ne manque à la comparaison.
– Et quel est l’ange qui garde l’entrée de votre Éden, Sire?
– Tu vas voir, répondit Charles IX.
Et faisant signe à Henri de le suivre sans bruit, il poussa une première porte, puis une seconde, et s’arrêta sur le seuil.
Читать дальше