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Fédor Dostoïevski: Roman En Neuf Lettres

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Fédor Dostoïevski Roman En Neuf Lettres

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Dans cette nouvelle – tout à fait mineure dans l'oeuvre de l'auteur, et même d'une qualité assez «moyenne»… – deux joueurs de cartes s'unissent pour extorquer de l'argent à un jeune homme riche, Eugène. Le premier, Pierre Ivanovitch, a emprunté trois cent cinquante roubles au second pour monter cette supercherie et il évite de le rencontrer. Le second lui écrit de longues lettres en l'accusant de mauvaise foi. Enfin, complètement brouillés, chacun d'eux envoie à l'autre un billet doux écrit par la femme de l'autre…

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Roman En Neuf Lettres - изображение 1

Fédor Mikhaïlovitch Dostoïevski

Roman En Neuf Lettres

Traduction Ely Halpérine-Kaminski

Roman en Neuf Lettres (Romane v deviati pismah), écrit en une nuit au cours du mois d’octobre 1845, a paru dans «Le Contemporain» (Sovremennik) de janvier 1847.

I. PETRE IVANOVITCH À IVAN PETROVITCH

Honoré Monsieur et très cher ami, Ivan Petrovitch!

Voilà déjà trois jours que je vous poursuis, pourrais-je dire, mon très cher ami, ayant besoin de vous parler pour une importante affaire, et je ne vous trouve nulle part. Hier, ma femme, en visite chez Semion Alexeïtch, faisait à votre sujet une plaisanterie assez spirituelle: elle a dit que vous et votre femme Tatiana Petrovna, vous faites un ménage de Juifs errants. Il n’y a pas trois mois que vous êtes mariés, et vous négligez déjà vos pénates. Nous avons beaucoup ri – très sympathiquement pour vous, d’ailleurs. Mais sérieusement, mon très cher, vous m’avez donné bien du souci. Semion Alexeïtch me demandait si vous n’étiez pas au bal du club de la Société Unie. Je laisse ma femme chez Semion Alexeïtch, et je vole au club. Il y a de quoi rire et pleurer. Imaginez-vous ma situation: je vais au bal, seul, sans ma femme! Ivan Andreïtch me rencontre dans le vestibule, et, me voyant seul, en conclut aussitôt, le misérable, que j’ai pour le bal un goût passionné. Il me prend sous le bras, et veut m’entraîner chez un maître à danser, me disant qu’à la Société Unie on n’avait pas la place de danser, et qu’il avait la tête fatiguée par le patchouli et le réséda. Je ne trouve ni vous, ni Tatiana Petrovna. Ivan Andreïtch me jure que vous êtes allé au Malheur d’avoir trop d’esprit , au théâtre Alexandrinski.

J’y vole. Là pas plus qu’ailleurs je ne vous trouve. Ce matin je pensais vous rencontrer chez Tchistoganov. Pas du tout. Tchistoganov m’envoie chez Perepalkine. Là, la même chose. En un mot, je me suis exténué. Je vous écris, pas d’autre parti à prendre. Il ne s’agit pourtant pas de littérature dans mon affaire (vous me comprenez!). Il vaudrait mieux nous expliquer de vive voix et le plus vite possible. Je vous prie donc de venir chez moi avec Tatiana Petrovna prendre le thé. Mon Anna Mihaïlovna sera ravie de votre visite. À propos, mon très cher ami, puisque je vous écris, je vais aussi vous rappeler certaine chose. Je suis forcé de vous faire un reproche, mon honorable ami. Vous m’avez fait une plaisanterie un peu légère… Brigand! Vers le 15 du mois passé vous m’avez amené un de vos amis, Eugène Nikolaïtch, que vous me recommandiez chaudement – ce qui est à mes yeux le plus sacré des passeports. – Je me réjouis de cette occasion de vous être agréable, j’ouvre mes bras et ma maison à votre ami. Mais je ne savais pas que ce fût une manière de me mettre la corde au cou. Une jolie affaire! Je n’ai pas le temps de vous expliquer tout cela, et d’ailleurs ce ne sont pas des choses à écrire. Mais je vous prie, mon méchant ami, d’insinuer à votre jeune homme, délicatement, comme entre parenthèses, à l’oreille, en douceur, qu’il y a dans la capitale beaucoup d’autres maisons que la mienne. Je suis excédé, mon petit père! Je tombe à vos pieds, comme dit mon ami Simoniewicz. Quand nous nous verrons, je vous conterai tout. Non pas que ce jeune homme ait de mauvaises manières, ou des vices, non pas! C’est un garçon charmant et aimable. Mais attendez un peu que nous puissions nous parler. En attendant, si vous le voyez, insinuez-lui donc, mon très honoré, que… Vous savez quoi, mon très honoré ami. Je l’aurais fait moi-même, mais vous connaissez mon caractère: je ne puis m’y décider, voilà! D’ailleurs, c’est vous qui me l’avez présenté. En tout cas, ce soir nous nous expliquerons ces détails, et maintenant au revoir. Je reste, etc.

P. S. - Mon petit est malade depuis huit jours, et cela va de mal en pis. Il fait ses dents. Ma femme ne le quitte pas, elle est triste. Venez donc, vous nous ferez plaisir, mon très cher ami.

II. IVAN PETROVITCH À PETRE IVANOVITCH

Honoré Monsieur Petre Ivanovitch!

J’ai reçu hier votre lettre, je l’ai lue et suis resté très surpris. Vous m’avez cherché Dieu sait où, quand j’étais tout simplement chez moi. Jusqu’à dix heures j’ai attendu Ivan Ivanitch Tolokonov. Nous montons aussitôt en voiture, ma femme et moi; je dépense de l’argent, je viens chez vous vers six heures et demie. Vous êtes absent! Votre femme me reçoit. Je vous attends jusqu’à dix heures et demie. Je prends ma femme, je dépense encore de l’argent, je loue une voiture, je ramène ma femme à la maison et je vais chez les Perepalkine, espérant vous trouver là. Mes calculs sont encore déçus. Je rentre, je ne puis fermer l’œil de la nuit, tant je suis inquiet. Le lendemain matin, je frappe trois fois chez vous, à neuf heures, dix heures et onze heures. Je dépense trois fois de l’argent pour des voitures, et j’en suis pour une veste.

En lisant votre lettre, j’ai donc eu lieu de m’étonner. Vous parlez de Eugène Nikolaïtch, vous me demandez de lui insinuer… et vous ne me dites pas pourquoi. J’approuve votre prudence, mais il y a papier et papier, et moi, je ne suis pas homme à donner les papiers d’importance à ma femme pour faire des papillotes. Enfin je ne comprends pas le sens de votre lettre. Du reste, pourquoi me mettre dans cette affaire? Je ne fourre pas mon nez partout. Vous auriez pu lui interdire vous-même votre porte. Il faut nous expliquer d’une manière décisive, je n’ai pas de temps à perdre. D’ailleurs, je suis gêné, et je ne sais ce que je serai obligé de faire si vous négligez de vous conformer aux conditions établies entre nous. Le voyage n’est pas long, mais il coûte. Or, ma femme se lamente elle veut une capote en velours à la mode.

Quant à Eugène Nikolaïtch, je m’empresse de vous dire que j’ai pris des renseignements sur lui chez Pavel Semenytch Perepalkine. Il a cinq cents âmes dans le gouvernement d’Yaroslav, et de sa grand-mère il en héritera trois cents de plus. Le chiffre exact de sa fortune, je l’ignore. Je pense que vous devez le connaître. Je vous prie de me donner un rendez-vous ferme. Vous avez rencontré hier Ivan Andreïtch qui vous a dit que j’étais avec ma femme au théâtre Alexandrinski? Il en a menti.

J’ai l’honneur d’être…

P. S. - Ma femme est enceinte. Elle est nerveuse et parfois mélancolique. Il arrive que, dans le théâtre, on tire des coups de fusil et l’on fait entendre des tonnerres artificiels. Vous sentez bien que je me garde de l’y conduire, pour ne pas l’effrayer. Quant à moi, je ne suis pas très amateur de spectacles.

III. PETRE IVANOVITCH À IVAN PETROVITCH

Mon très estimable ami, Ivan Petrovitch!

Je m’excuse, je m’excuse, je m’excuse mille fois, mais je me hâte de me justifier. Hier, vers six heures, nous étions en train de parler de vous (avec sympathie), quand un exprès de mon oncle Stepan Alexeïtch est venu nous apporter la nouvelle que ma tante est au plus mal. De peur d’effrayer ma femme, sans lui dire un mot de cela et prétextant une tout autre affaire, je me suis rendu chez ma tante. Je la trouve soufflant à peine. Juste à cinq heures, elle avait eu une attaque d’apoplexie, la troisième en deux ans. Karl Fedorytch, le médecin de la maison, déclare qu’elle ne passera peut-être pas la nuit. Jugez de ma position, très cher ami. J’ai passé toute la nuit debout, inquiet, abreuvé de chagrin. Au matin seulement, complètement épuisé, brisé physiquement et moralement, je me suis couché sur un divan, sans penser à dire qu’on me réveillât de bonne heure, et je n’ai rouvert les yeux qu’à onze heures et demie. Ma tante va mieux. Je me rends chez ma femme. La pauvre! elle désespérait de me revoir! Je mange un morceau à la hâte, j’embrasse mon enfant, je rassure ma femme et je viens chez vous: personne! que Eugène Nikolaïtch. Je rentre chez moi, je prends la plume et je vous écris cette présente. Ne soyez pas fâché contre moi, cher ami. Prenez ma tête coupable, mais ne me gardez pas rancune. Votre épouse m’a appris que vous deviez être ce soir chez les Slavianov. J’y serai absolument, je vous attends avec impatience et je reste, etc.

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