Dieu! quelle surprise agréable! Quel oh! joyeux s’envola de ses petites lèvres. «Trompeur! Chéri!» s’écria-t-elle en se jetant au cou de Vassia… Mais imaginez son étonnement et sa confusion à la vue d’Arkadi Ivanovitch qui se tenait derrière Vassia, timide et comme désireux de se cacher. Il faut remarquer à cette occasion qu’il manquait d’assurance en présence des femmes, qu’il en manquait beaucoup et qu’une fois même… Mais on en parlera plus tard. Mettez-vous cependant à sa place et vous verrez que sa timidité n’avait rien de ridicule. Il était là, debout dans l’antichambre, affublé de ses caoutchoucs, de sa houppelande, de son bonnet de fourrure et de son passe-montagne, qu’il s’était empressé du reste d’enlever tant bien que mal; enfin, il avait la gorge entourée d’un cache-nez jaune, tricoté, extrêmement laid et que, par-dessus le marché il avait noué dans le dos! Il fallait se débarrasser de tout cela, s’en défaire au plus vite, se présenter d’une manière avantageuse, car il n’existe pas d’être humain qui ne veuille se présenter de la façon la plus favorable. Et, cependant, il y avait Vassia! Vassia, l’insupportable, l’agaçant, bien que toujours gentil et très bon, mais quand même cruel, insupportable!
– Voici, Lisanka, voici mon Arkadi! criait-il; comment le trouves-tu? C’est mon meilleur ami; embrasse-le, Lisanka, puisque je te le dis! Quand tu le connaîtras mieux, tu l’embrasseras de ton propre gré!
Que faire dans un pareil cas, dites-moi? Comment Arkadi Ivanovitch devait-il réagir? Lui, qui n’avait encore détaché son foulard qu’à moitié! Je vous assure que parfois, l’enthousiasme débordant de Vassia me rend confus; certes, c’est une preuve de bon cœur… et cependant on se sent gêné, ennuyé même!
Enfin, tous les deux entrèrent. La vieille dame se montra extrêmement heureuse de faire la connaissance d’Arkadi Ivanovitch; elle avait tant entendu parler de lui, elle… Mais elle ne réussit pas à terminer sa phrase. Un cri joyeux qui retentit dans la chambre lui coupa la parole. Dieu, que c’était beau!
Lisanka se tenait devant le bonnet débarrassé de son papier de soie; elle joignait ses petites mains d’un air touchant, candide, et souriait aux anges… Mon Dieu, pourquoi M meLeroux n’avait-elle pas de bonnet encore plus beau à offrir à ses clients?
Allons donc! Où pourriez-vous trouver un bonnet plus beau? Cela dépasse vraiment toute mesure! Je parle très sérieusement, moi! Une pareille ingratitude de la part de ces amoureux me fâche un peu, me chagrine même! Rendez-vous compte vous-même; que peut-il y avoir de plus ravissant que cet amour de petit bonnet? Mais regardez vous-même! Non, mes reproches sont superflus. Ils sont déjà de mon avis. Ce n’était qu’une aberration passagère, un brouillard, une erreur de jugement… Je suis tout prêt à le leur pardonner». Regardez plutôt (excusez-moi, c’est toujours du bonnet que je parle): le voilà, en tulle léger, avec son ruban cerise, recouvert de dentelle et passé entre la calotte et les ruches; et derrière, encore deux rubans longs et larges, qui tombent sur la nuque et descendent jusque sur le cou… Il faut seulement mettre le bonnet un peu en arrière, en dégageant le front… Mais regardez donc!… Allons, vous ne regardez pas, à ce que je constate. Je crois que cela vous est égal… Du reste, votre attention semble être attirée d’un autre côté. Vous regardez deux grandes larmes qui, pareilles à deux perles, brillent soudain dans deux yeux noirs et veloutés; elles tremblent un instant sur les longs cils, puis tombent doucement sur ce tulle aérien qui compose l’œuvre d’art de M meLeroux… Mais, de nouveau, je suis prêt à me fâcher! Car ces deux larmes n’étaient guère pour le bonnet! Non, décidément, d’après moi, il faut offrir un pareil cadeau sans passion, à tête reposée! C’est alors seulement qu’on est capable de l’apprécier à sa juste valeur… Je confesse d’ailleurs que, pour moi, il y va surtout du bonnet!…
On s’assit Vassia prit place à côté de Lisanka, et la vieille femme à côté d’Arkadi Ivanovitch. La conversation s’engagea et Arkadi Ivanovitch fut tout à fait à la hauteur de la situation. Je lui rends justice avec plaisir. On ne se serait pas attendu à tant d’à-propos de sa part Après quelques mots sur Vassia, il se mit à parler d’une façon excellente de Julian Mastakovitch, leur bienfaiteur. Il en parla si bien et d’une manière si intelligente qu’au bout d’une heure le thème n’était pas encore épuisé.
Il fallait voir avec quel tact et quelle délicatesse Arkadi Ivanovitch expliquait certaines particularités de Julian Mastakovitch, qui se rapportaient directement ou indirectement à Vassia. Aussi la Vieille femme était-elle tout à fait enchanté; elle-même le confessa à Vassia. Elle l’appela à l’écart et lui déclara que son ami était un jeune homme excellent, des plus aimables, et surtout si solide et si sérieux! Vassia fut si content qu’il eut toutes les peines du monde à ne pas partir d’un grand éclat de rire joyeux. Il se souvint comment, une demi-heure auparavant, le «très solide» Arkacha l’avait bousculé sur son lit.
Ensuite la bonne vieille cligna de l’œil et invita Vassia à la suivre doucement dans la pièce à côté. Il faut reconnaître que, ce faisant, elle jouait un mauvais tour à sa Lisanka. Elle la trahissait, certes, par sa bonté, car elle avait résolu de montrer à Vassia, en cachette, le cadeau que Lisanka lui avait préparé pour le Nouvel An. C’était un portefeuille, cousu de perles fines et d’or, et orné d’un dessin ravissant; d’un côté, on voyait un cerf bondissant, très beau et très ressemblant de l’autre côté, il y avait le portrait d’un général illustre, également beau et très ressemblant. Je ne parle pas de l’enthousiasme de Vassia.
En attendant, ceux qui étaient restés dans le salon ne perdaient pas non plus leur temps. Lisanka s’approcha d’Arkadi Ivanovitch, saisit ses deux mains et le remercia chaleureusement. Arkadi Ivanovitch finit par comprendre qu’il s’agissait une fois de plus de son cher Vassia. Lisanka paraissait très émue. Elle avait entendu dire qu’Arkadi Ivanovitch était si dévoué à son fiancé, qu’il l’aimait tant et en prenait si bien soin, en le guidant à chaque pas par ses sages conseils, qu’elle, Lisanka, ne pouvait s’empêcher de lui exprimer toute sa gratitude. Elle espérait qu’Arkadi Ivanovitch l’aimerait elle aussi, ne fût-ce qu’en lui réservant une faible part de l’attachement qu’il avait pour Vassia. Puis elle commença à le questionner, voulant savoir si Vassia prenait soin de sa santé; elle manifesta quelques craintes quant à son caractère par trop ardent et quant à l’ignorance des hommes et de la vie dont il faisait preuve; elle déclara que, plus tard, elle avait l’intention de veiller sur lui religieusement, de le protéger et de le choyer et qu’elle espérait enfin qu’Arkadi Ivanovitch non seulement ne les quitterait pas, mais qu’il viendrait habiter avec eux.
– Nous trois ne ferons qu’un! s’écria-t-elle naïvement, au comble de l’enthousiasme.
Il fallait cependant prendre congé. Naturellement on essaya de les retenir, mais Vassia déclara d’un air décidé que c’était impossible. Arkadi Ivanovitch confirma que c’était exact. On voulut naturellement connaître la raison de leur refus, et l’on apprit ainsi sans tarder qu’il y avait une affaire, confiée à Vassia par Julian Mastakovitch, affaire pressée, terriblement importante, qu’il fallait terminer après-demain matin, et que non seulement le travail n’était pas encore achevé, mais qu’on l’avait complètement négligé. En entendant cela, la maman poussa un grand cri; quant à Lisanka, elle parut franchement effrayée. Inquiète, elle se mit à presser Vassia de partir. Du reste, le dernier baiser n’en perdit rien; bien qu’il fût plus court, son ardeur ne s’en trouva pas réduite.
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