Nicolas-Edme Rétif de la Bretonne - La Paysanne Pervertie ou Les Dangers De La Ville

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Ce roman épistolaire nous conte l'histoire classique d'une jeune fille, provinciale d'origine modeste, qui monte à Paris. Après avoir profité, sans en abuser, de la bonté d'une amie de la famille, la facilité et la vie dans la grande ville incitent notre héroïne à se faire «entretenir» par un marquis. La maîtresse sera en bons termes avec la marquise puisque son propre frère en est l'amant. Mais ces amours ne durent guère et la déchéance sera grande?

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Nicolas-Edme Rétif de la Bretonne

La Paysanne Pervertie ou Les Dangers De La Ville

L’éditeur au lecteur.

Histoire d’Ursule R**, sœur d’Edmond, le paysan, mise au jour d’après les véritables LETTRES des personnages.

L’éditeur au lecteur.

J’offre avec confiance cet ouvrage au public: que j’en sois l’auteur, ou que j’aie mis seulement en ordre les lettres qui le composent, il n’en est pas moins vrai, que les personnages y parlent comme ils le doivent, et que sans le secours de la souscription, on devinerait leur condition à leur style. Celui de Fanchon est d’un naturel frappant, et c’est des lettres de cette vertueuse belle-sœur de la Paysanne, que j’attends un succès mérité: la religion, la tendresse paternelle, maternelle, filiale, fraternelle, y brillent d’un éclat pur et sans nuage… On trouvera dans cette production, le simple, l’attendrissant, le sublime, le terrible; le vice y est peint hideux, la vertu, comme elle assiste devant le trône de Dieu; on y voit la naïveté, l’innocence, la perversion, la volupté, la débauche, le remords, la pénitence, une conduite admirable et digne d’une sainte, dans la même personne, sans qu’elle change de caractère; le vice lui était étranger, et la vertu naturelle; laissée à elle-même elle y revient.

Que les petits puristes critiquent, s’ils l’osent, et le style et les détails: tout cela part du cœur, et ils ne le connaissent pas; ils n’ont que de l’esprit.

Cet ouvrage complète le PAYSAN: les deux ont ensemble 114 estampes.

Préface de l’éditeur.

Je reprends ici un titre qui m’appartient. On a prétendu traiter ce sujet d’imagination: mais la vérité, que j’avais par-devers moi, est bien au-dessus d’une fiction mal digérée. Au reste, je ne me plains pas du faible imitateur qui, me croyant auteur des lettres du PAYSAN PERVERTI, a voulu brocher une paysanne, comme il s’est figuré que j’avais composé le Paysan perverti: loin de là! Je voudrais qu’il eût mieux réussi; on aurait eu le plaisir de comparer le vrai avec le beau vraisemblable. Je dirai plus, je lui dois de la reconnaissance, puisque la lecture de son ouvrage a tellement excité l’indignation du bon Pierre R*** mon compatriote, que c’est le principal motif qui l’a déterminé à me communiquer ses découvertes, au sujet de sa sœur Ursule. Ainsi l’on peut regarder ce nouveau recueil comme le complément du Paysan perverti; et à ce titre, il est précieux: car Ursule détaille souvent ce qui n’a été qu’indiqué dans le Paysan; elle va dévoiler les secrets de sa propre conduite, comme femme; on verra dans sa petite vanité, dans la découverte qu’elle fait des sentiments de Mme Parangon, lorsque cette dame se les cachait encore à elle-même, le principe de sa corruption future, qui se développe peu à peu, et dans chacune de ses lettres. L’intérêt, la coquetterie, le goût d’une liberté indéfinie étouffent insensiblement sa délicatesse: tandis que le corrupteur de son frère, qui a ses vues, achève de la pervertir, dans l’espoir qu’elle servira au succès de ses desseins sur Edmond.

Avis trouvé à la tête du recueil.

Mes chers enfants,

Ma femme, votre digne et bonne mère (dont Dieu ait l’âme dans son sein paternel) ayant jusqu’à la mort gardé intact le dépôt des lettres de sa belle-sœur Ursule , ce n’a été que prête à rendre l’âme, qu’elle me l’a remis. Au dernier voyage que j’ai fait à Paris, pour y voir le comte mon neveu, et lui exposer les fruits de notre administration d’ Oudun , et de ses bienfaits, je l’ai prié aussi de voir s’il ne trouverait pas dans les papiers de feue sa pauvre mère (que Dieu lui fasse paix et miséricorde), quelques lettres qui pussent me servir à vous donner d’utiles leçons, et surtout de celles de votre bonne mère. Il a eu la bonté de s’y prêter, et il en a trouvé un assez bon nombre qu’il m’a remises, et que j’ai rassemblées dans cette liasse, pour qu’elles demeurent dans notre famille, comme un livre instructif: car on y verra que le principal défaut qui a perdu notre famille, a été l’intérêt, si ordinaire aux gens de campagne, et qui est si âpre en eux, qu’encore qu’ils aient de l’honneur, ils le font passer avant tout. Et je souhaite que ce second recueil soit un préservatif pour les filles qui sortiront de moi, dans tous les temps futurs, tant que le glorieux royaume de France subsistera.

Je, soussigné, ai remis ces lettres à M. N.-E. R** de la B ***, pour qu’il les fasse imprimer comme les premières.

Signé Pi. R**.

Notre sœur Ursule…

Notre sœur Ursule était, ainsi qu’Edmond, ce qu’on peut voir de meilleur et de plus aimable; et ce fut à cause de leur excellence que notre digne père et notre digne mère les envoyèrent à la ville. Sans plus parler d’Edmond, dont les malheurs ont fait tant de bruit dans le monde, je dirai ici d’Ursule, que c’était la grâce du visage et du corps, la douceur, la naïveté, la candeur du caractère, la bonté du cœur; la générosité de l’âme, comme elle m’en a donné des preuves dans le cours de sa vie, surtout avant ses chutes si lourdes et si épouvantables, et après, pendant la rude pénitence qu’elle en a faite, comme on le verra par ces lettres. Mais il convient, qu’avant de découvrir cette pauvre sœur, tant regrettée! je montre quelle elle fut, lorsque la corruption des villes, qu’habitent ceux qui doivent lire cet ouvrage, comme ils ont lu l’autre, concernant mon pauvre frère, n’avait pas corrompu et fangé en elle l’image de Dieu, gâté les beautés de la belle nature, et qu’elle était encore telle que le Tout-Puissant l’avait créée; et que je leur fasse voir, que tout ce qui a perverti et vicié ma pauvre sœur, était non dans son cœur droit et simple, mais dans vos villes, ô lecteurs, dans ce séjour de perdition, où l’on n’a pu souffrir que cette belle créature conservât sa noblesse native et son excellence de cœur et d’esprit; parce qu’elle aurait sans doute trop humilié les difformes d’âme et de corps, dont les villes sont pleines!… Mais pardonnez ce langage à ma douleur! Et qu’il me soit seulement permis de dire que si ma pauvre sœur eût été moins belle, elle aurait été moins attaquée, moins tentée, moins violentée par les méchants, et que peut-être aurait-elle, avec la grâce du Seigneur, échappé à la perversion.

Dès son enfance, Ursule était déjà aimable, tant par sa douceur que par sa jolie figure; ce qui la rendait l’admiration de tout le monde. Et tous ceux qui venaient à la maison, chez nos chers père et mère, demandaient à la voir. Et on disait à notre mère: «C’est tout votre portrait; mais elle a en outre quelque chose d’angélique, qu’elle ne tient que de Dieu.» C’est ce qui fit qu’une Dame, qui vint à passer par le pays, et qui logea chez nous, la demanda pour l’emmener avec elle, promettant d’en avoir grand soin, et de la traiter comme sa fille. Notre bonne mère, tant qu’elle crut que la dame ne parlait pas sérieusement, y accordait de bonne grâce, en riant, et notre respectable père, lui, y allait tout de bon: mais quand elle vit que la dame faisait déjà les arrangements, et qu’elle ne badinait pas, elle se prit à pleurer, si bien qu’il fallut laisser Ursule, ce que notre père ne trouva pas bon; et pourtant il ne voulut pas lui donner le chagrin de lui ôter de force une de ses enfants, et depuis souvent il en parlait, et c’est ce qui a fait sans doute que jamais notre mère ne s’est depuis opposée au départ d’Edmond et d’Ursule, quand il a été question de les envoyer à la ville: car cette excellente femme se souvenait de ce que lui avait dit notre père; et elle regardait comme une chose très vilaine et vicieuse, qu’étant femme, elle allât contre les volontés de son mari, qu’elle regardait comme son seigneur et maître, et auquel elle faisait profession d’être soumise, non de parole seulement, mais d’effet, comme elle en a donné l’exemple toute sa vie à ses filles, mes très chères sœurs.

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