Sempé-Goscinny - Le petit Nicolas et les copains
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Sempé (et Goscinny)
Le Petit Nicolas
Tome 4
Le petit Nicolas et les copains
( 1963 )
Clotaire a des lunettes !
Quand Clotaire est arrivé à l’école, ce matin, nous avons été drôlement étonnés, parce qu’il avait des lunettes sur la figure. Clotaire, c’est un bon copain, qui est le dernier de la classe, et il paraît que c’est pour ça qu’on lui a mis des lunettes.
— C’est le docteur, nous a expliqué Clotaire, qui a dit à mes parents que si j’étais dernier, c’était peut-être parce que je ne voyais pas bien en classe. Alors, on m’a emmené dans le magasin à lunettes et le monsieur des lunettes m’a regardé les yeux avec une machine qui ne fait pas mal, il m’a fait lire des tas de lettres qui ne voulaient rien dire et puis il m’a donné des lunettes, et maintenant, bing ! je ne serai plus dernier.
Moi, ça m’a un peu étonné, le coup des lunettes, parce que si Clotaire ne voit pas en classe, c’est parce qu’il dort souvent, mais peut-être que les lunettes, ça l’empêchera de dormir. Et puis c’est vrai que le premier de la classe c’est Agnan, et c’est le seul qui porte des lunettes, même que c’est pour ça qu’on ne peut pas lui taper dessus aussi souvent qu’on le voudrait.
Agnan, il n’a pas été content de voir que Clotaire avait des lunettes. Agnan, qui est le chouchou de la maîtresse, a toujours peur qu’un copain soit premier à sa place, et nous on a été bien contents de penser que le premier, maintenant, ce serait Clotaire, qui est un chouette copain.
— T’as vu mes lunettes ? a demandé Clotaire à Agnan. Maintenant, je vais être le premier en tout, et ce sera moi que la maîtresse enverra chercher les cartes et qui effacera le tableau ! La la lère !
— Non, monsieur ! Non, monsieur ! a dit Agnan. Le premier, c’est moi ! Et puis d’abord, tu n’as pas le droit de venir à l’école avec des lunettes !
— Un peu que j’ai le droit, tiens, sans blague ! a dit Clotaire. Et tu ne seras plus le seul sale chouchou de la classe ! La la lère !
— Et moi, a dit Rufus, je vais demander à mon papa de m’acheter des lunettes, et je serai premier aussi !
— On va tous demander à nos papas de nous acheter des lunettes, a crié Geoffroy. On sera tous premiers et on sera tous chouchous !
Alors, ça a été terrible, parce qu’Agnan s’est mis à crier et à pleurer ; il a dit que c’était de la triche, qu’on n’avait pas le droit d’être premiers, qu’il se plaindrait, que personne ne l’aimait, qu’il était très malheureux, qu’il allait se tuer, et le Bouillon est arrivé en courant. Le Bouillon, c’est notre surveillant, et un jour je vous raconterai pourquoi on l’appelle comme ça.
— Qu’est-ce qui se passe ici ? a crié le Bouillon. Agnan ! qu’est-ce que vous avez à pleurer comme ça ? Regardez-moi bien dans les yeux et répondez-moi !
— Ils veulent tous mettre des lunettes ! lui a dit Agnan en faisant des tas de hoquets.
Le Bouillon a regardé Agnan, il nous a regardés nous, il s’est frotté la bouche avec la main, et puis il nous a dit :
— Regardez-moi tous dans les yeux ! Je ne vais pas essayer de comprendre vos histoires : tout ce que je peux vous dire, c’est que si je vous entends encore, je sévirai ! Agnan, allez boire un verre d’eau sans respirer, les autres, à bon entendeur, salut !
Et il est parti avec Agnan, qui continuait à faire des hoquets.
— Dis, j’ai demandé à Clotaire, tu nous les prêteras, tes lunettes, quand on sera interrogés ?
— Oui, et pour les compositions ! a dit Maixent.
— Pour les compositions, je vais en avoir besoin, a dit Clotaire, parce que si je ne suis pas le premier, papa saura que je n’avais pas mes lunettes et ça va faire des histoires parce qu’il n’aime pas que je prête mes affaires ; mais pour les interrogations, on s’arrangera.
C’est vraiment un chouette copain, Clotaire, et je lui ai demandé de me prêter ses lunettes pour essayer, et vraiment je ne sais pas comment il va faire pour être premier, Clotaire, parce qu’avec ses lunettes on voit tout de travers, et quand on regarde ses pieds, ils ont l’air d’être très près de la figure. Et puis j’ai passé les lunettes à Geoffroy, qui les a prêtées à Rufus, qui les a mises à Joachim, qui les a données à Maixent, qui les a jetées à Eudes qui nous a fait bien rigoler en faisant semblant de loucher, et puis Alceste a voulu les prendre, mais là il y a eu des histoires.
— Pas toi, a dit Clotaire. Tu as les mains pleines de beurre à cause de tes tartines et tu vas salir mes lunettes, et ce n’est pas la peine d’avoir des lunettes si on ne peut pas voir à travers, et c’est un drôle de travail de les nettoyer, et papa me privera de télévision si je suis de nouveau dernier parce qu’un imbécile a sali mes lunettes avec ses grosses mains pleines de beurre !
Et Clotaire a remis ses lunettes, mais Alceste n’était pas content.
— Tu les veux sur la figure, mes grosses mains pleines de beurre ? il a demandé à Clotaire.
— Tu ne peux pas me taper dessus, a dit Clotaire. J’ai des lunettes. La la lère !
— Eh ben, a dit Alceste, enlève-les, tes lunettes !
— Non, monsieur, a dit Clotaire.
— Ah ! les premiers de la classe, a dit Alceste, vous êtes tous les mêmes ! Des lâches.
— Je suis un lâche, moi ? a crié Clotaire.
— Oui, monsieur, puisque tu portes des lunettes ! a crié Alceste.
— Eh ben, on va voir qui est un lâche ! a crié Clotaire, en enlevant ses lunettes.
Ils étaient drôlement furieux, tous les deux, mais ils n’ont pas pu se battre parce que le Bouillon est arrivé en courant.
— Quoi encore ? il a demandé.
— Il veut pas que je porte des lunettes ! a crié Alceste.
— Et moi, il veut mettre du beurre sur les miennes ! a crié Clotaire.
Le Bouillon s’est mis les mains sur la figure et il s’est allongé les joues, et quand il fait ça, c’est pas le moment de rigoler.
— Regardez-moi bien dans les yeux, vous deux ! a dit le Bouillon. Je ne sais pas ce que vous avez encore inventé, mais je ne veux plus entendre parler de lunettes ! Et pour demain, vous me conjuguerez le verbe : « Je ne dois pas dire des absurdités pendant la récréation, ni semer le désordre, obligeant de la sorte M. le Surveillant à intervenir. » A tous les temps de l’indicatif.
Et il est allé sonner la cloche pour entrer en classe.
Dans la file, Clotaire a dit que quand Alceste aurait les mains sèches, il voudrait bien les lui prêter, les lunettes. C’est vraiment un chouette copain, Clotaire.
En classe – c’était géographie – Clotaire a fait passer les lunettes à Alceste, qui s’était bien essuyé ses mains sur le veston. Alceste a mis les lunettes, et puis là il n’a pas eu de chance, parce qu’il n’a pas vu la maîtresse qui était juste devant lui.
— Cessez de faire le clown, Alceste ! a crié la maîtresse. Et ne louchez pas ! S’il vient un courant d’air, vous resterez comme ça ! En attendant, sortez !
Et Alceste est sorti avec les lunettes, il a failli se cogner dans la porte, et puis la maîtresse a appelé Clotaire au tableau.
Et là, bien sûr, sans les lunettes, ça n’a pas marché : Clotaire a eu zéro.
Le chouette bol d’air
Nous sommes invités à passer le dimanche dans la nouvelle maison de campagne de M. Bongrain. M. Bongrain fait le comptable dans le bureau où travaille Papa, et il paraît qu’il a un petit garçon qui a mon âge, qui est très gentil et qui s’appelle Corentin.
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