Жорж Санд - Consuelo

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promenade avec des femmes, il se demanda de quel droit ce petit drôle

d'Anzoleto accaparait la blonde Clorinda, et, se rapprochant d'elle, il

essaya de faire comprendre au jeune ténor que son rôle serait plutôt de

prendre la rame que de courtiser la donzelle. Anzoleto n'était pas assez

bien élevé, malgré sa pénétration merveilleuse, pour comprendre au

premier mot. D'ailleurs il était d'un orgueil voisin de l'insolence avec

les patriciens. Il les détestait cordialement, et sa souplesse avec eux

n'était qu'une fourberie pleine de mépris intérieur. Barberigo, voyant

qu'il se faisait un plaisir de le contrarier, s'avisa d'une vengeance

cruelle.

«Parbleu, dit-il bien haut à la Clorinda, voyez donc le succès de votre

amie Consuelo! Où s'arrêtera-t-elle aujourd'hui? Non contente de faire

fureur dans toute la ville par la beauté de son chant, la voilà qui fait

tourner la tête à notre pauvre comte, par le feu de ses oeillades. Il en

deviendra fou, s'il ne l'est déjà, et voilà les affaires de madame

Corilla tout à fait gâtées.

--Oh! il n'y a rien à craindre! répliqua la Clorinda d'un air sournois.

Consuelo est éprise d'Anzoleto, que voici; elle est sa fiancée, ils

brûlent l'un pour l'autre depuis je ne sais combien d'années.

--Je ne sais combien d'années d'amour peuvent être oubliées en un clin

d'oeil, reprit Barberigo, surtout quand les yeux de Zustiniani se mêlent

de décocher le trait mortel. Ne le pensez-vous pas aussi, belle

Clorinda?»

Anzoleto ne supporta pas longtemps ce persiflage. Mille serpents se

glissaient déjà dans son coeur. Jusque là il n'avait eu ni soupçon ni

souci de rien de pareil: il s'était livré en aveugle à la joie de voir

triompher son amie; et c'était autant pour donner à son transport une

contenance, que pour goûter un raffinement de vanité, qu'il s'amusait

depuis deux heures à railler la victime de cette journée enivrante.

Après quelques quolibets échangés avec Barberigo, il feignit de prendre

intérêt à la discussion musicale que le Porpora soutenait sur le milieu

de la barque avec les autres promeneurs; et, s'éloignant peu à peu d'une

place qu'il n'avait plus envie de disputer, il se glissa dans l'ombre

jusqu'à la proue. Dès le premier essai qu'il fit pour rompre le

tête-à-tête du comte avec sa fiancée, il vit bien que Zustiniani goûtait

peu cette diversion; car il lui répondit avec froideur et même avec

sécheresse. Enfin, après plusieurs questions oiseuses mal accueillies,

il lui fut conseillé d'aller écouter les choses profondes et savantes

que le grand Porpora disait sur le contre-point.

«Le grand Porpora n'est pas mon maître, répondit Anzoleto d'un ton badin

qui dissimulait sa rage intérieure aussi bien que possible; il est celui

de Consuelo; et s'il plaisait à votre chère et bien-aimée seigneurie,

ajouta-t-il tout bas en se courbant auprès du comte d'un air insinuant

et caressant, que ma pauvre Consuelo ne prît pas d'autres leçons que

celles de son vieux professeur ...

--Cher et bien-aimé Zoto, répondit le comte d'un ton caressant, plein

d'une malice profonde, j'ai un mot à vous dire à l'oreille;» et, se

penchant vers lui, il ajouta: «Votre fiancée a dû recevoir de vous des

leçons de vertu qui la rendront invulnérable! Mais si j'avais quelque

prétention à lui en donner d'autres, j'aurais le droit de l'essayer au

moins pendant une soirée.»

Anzoleto se sentit froid de la tête aux pieds.

«Votre gracieuse seigneurie daignera-t-elle s'expliquer? dit-il d'une

voix étouffée.

--Ce sera bientôt fait, mon gracieux ami, répondit le comte d'une voix

claire: _gondole pour gondole_.»

Anzoleto fut terrifié en voyant que le comte avait découvert son

tête-à-tête avec la Corilla. Cette folle et audacieuse fille s'en était

vantée à Zustiniani dans une terrible querelle fort violente qu'ils

avaient eue ensemble. Le coupable essaya vainement de faire l'étonné.

«Allez donc écouter ce que dit le Porpora sur les principes de l'école

napolitaine, reprit le comte. Vous viendrez me le répéter, cela

m'intéresse beaucoup.

--Je m'en aperçois, excellence, répondit Anzoleto furieux et prêt à se

perdre.

--Eh bien! tu n'y vas pas? dit l'innocente Consuelo, étonnée de son

hésitation. J'y vais, moi, seigneur comte. Vous verrez que je suis votre

servante.» Et avant que le comte pût la retenir, elle avait franchi d'un

bond léger la banquette qui la séparait de son vieux maître, et s'était

assise sur ses talons à côté de lui.

Le comte, voyant que ses affaires n'étaient pas fort avancées auprès

d'elle, jugea nécessaire de dissimuler.

«Anzoleto, dit-il en souriant et en tirant l'oreille de son protégé un

peu fort, ici se bornera ma vengeance. Elle n'a pas été aussi loin à

beaucoup près que votre délit. Mais aussi je ne fais pas de comparaison

entre le plaisir d'entretenir honnêtement votre maîtresse un quart

d'heure en présence de dix personnes, et celui que vous avez goûté tête

à tête avec la mienne dans une gondole bien fermée.

--Seigneur comte, s'écria Anzoleto, violemment agité, je proteste sur

mon honneur....

--Où est-il, votre honneur? reprit le comte, est-il dans votre oreille

gauche?» Et en même temps il menaçait cette malheureuse oreille d'une

leçon pareille à celle que l'autre venait de recevoir.

«Accordez-vous donc assez peu de finesse à votre protégé, dit Anzoleto,

reprenant sa présence d'esprit, pour ne pas savoir qu'il n'aurait jamais

commis une pareille balourdise?

--Commise ou non, répondit sèchement le comte, c'est la chose du monde

la plus indifférente pour moi en ce moment.» Et il alla s'asseoir auprès

de Consuelo.

XII.

La dissertation musicale se prolongea jusque dans le salon du palais

Zustiniani, où l'on rentra vers minuit pour prendre le chocolat et les

sorbets. Du technique de l'art on était passé au style, aux idées, aux

formes anciennes et modernes, enfin à l'expression, et de là aux

artistes, et à leurs différentes manières de sentir et d'exprimer. Le

Porpora parlait avec admiration de son maître Scarlatti, le premier qui

eût imprimé un caractère pathétique aux compositions religieuses. Mais

il s'arrêtait là, et ne voulait pas que la musique sacrée empiétât sur

le domaine du profane en se permettant les ornements, les traits et les

roulades.

«Est-ce donc, lui dit Anzoleto, que votre seigneurie réprouve ces traits

et ces ornements difficiles qui ont cependant fait le succès et la

célébrité de son illustre élève Farinelli?

--Je ne les réprouve qu'à l'église, répondit le maestro. Je les approuve

au théâtre; mais je les veux à leur place, et surtout j'en proscris

l'abus. Je les veux d'un goût pur, sobres, ingénieux, élégants, et, dans

leurs modulations, appropriés non-seulement au sujet qu'on traite, mais

encore au personnage qu'on représente, à la passion qu'on exprime, et à

la situation où se trouve le personnage. Les nymphes et les bergères

peuvent roucouler comme les oiseaux, ou cadencer leurs accents comme le

murmure des fontaines; mais Médée ou Didon ne peuvent que sangloter ou

rugir comme la lionne blessée. La coquette peut charger d'ornements

capricieux et recherchés ses folles cavatines. La Corilla excelle en ce

genre: mais qu'elle veuille exprimer les émotions profondes, les grandes

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