On partait pour une excursion, tantôt en landau, dans un vieux landau de voyage à six places, trouvé chez un loueur de Riom, et tantôt à pied.
Ils aimaient surtout un petit vallon sauvage auprès de Châtel-Guyon, conduisant à l’ermitage de Sans-Souci.
Dans le chemin étroit, suivi à pas lents, sous les sapins, au bord de la petite rivière, ils s’en allaient deux par deux et causant. À tous les passages du ruisseau que la sente traversait sans cesse, Paul et Gontran, debout sur des pierres dans le courant, prenaient les femmes chacun par un bras et les enlevaient d’une secousse pour les déposer de l’autre côté. Et chacun de ces gués changeait l’ordre des promeneurs.
Christiane allait de l’un à l’autre, mais trouvait le moyen, chaque fois, de rester seule quelque temps avec Paul Brétigny, soit en avant, soit en arrière.
Il n’avait plus avec elle les mêmes manières que dans les premiers jours, il était moins rieur, moins brusque, moins camarade, mais plus respectueux et plus empressé.
Leurs conversations cependant prenaient une allure intime et les choses du cœur y tenaient une grande place. Il parlait de sentiment et d’amour en homme qui connaît ces sujets, qui a sondé la tendresse des femmes et qui leur doit autant de bonheur que de souffrance.
Elle, ravie, un peu émue, le poussait aux confidences, avec une curiosité ardente et rusée. Tout ce qu’elle savait de lui éveillait en elle un désir aigu d’en connaître davantage, de pénétrer, par la pensée, dans une de ces existences d’hommes entrevues par les livres, dans une de ces existences pleines d’orages et de mystères d’amour.
Poussé par elle il lui disait chaque jour un peu plus de sa vie, de ses aventures et de ses chagrins, avec une chaleur de parole que les brûlures de son souvenir rendaient parfois passionnée, et que le désir de plaire faisait astucieuse aussi.
Il ouvrait devant ses yeux un monde inconnu et trouvait des mots éloquents pour exprimer les subtilités du désir et de l’attente, le ravage des espérances grandissantes, la religion des fleurs et des bouts de rubans, de tous les petits objets gardés, l’énervement des doutes subits, l’angoisse des suppositions alarmantes, les tortures de la jalousie, et l’inexprimable folie du premier baiser.
Et il savait conter tout cela d’une façon très convenable, voilée, poétique et entraînante. Comme tous les hommes hantés sans cesse par le désir et la pensée de la femme, il parlait discrètement de celles qu’il avait aimées avec une fièvre encore palpitante. Il se rappelait mille détails gentils, faits pour émouvoir le cœur, mille circonstances délicates faites pour mouiller le coin des yeux, et toutes ces mignonnes futilités de la galanterie qui rendent les rapports d’amour, entre gens d’âme fine et d’esprit cultivé, ce qu’il y a de plus élégant et de plus joli par le monde.
Toutes ces causeries troublantes et familières, renouvelées chaque jour, chaque jour plus prolongées, tombaient sur le cœur de Christiane ainsi que des graines qu’on jette en terre. Et le charme du grand pays, l’air savoureux, cette Limagne bleue, et si vaste qu’elle semblait agrandir l’âme, ces cratères éteints sur la montagne, vieilles cheminées du monde qui ne servaient plus qu’à chauffer des eaux pour les malades, la fraîcheur des ombrages, le bruit léger des ruisseaux dans les pierres, tout cela aussi pénétrait le cœur et la chair de la jeune femme, les pénétrait et les amollissait comme une pluie douce et chaude sur un sol encore vierge, une pluie qui fera germer les fleurs dont il a reçu la semence.
Elle sentait bien que ce garçon lui faisait un peu la cour, qu’il la trouvait jolie, plus que jolie même ; et le désir de lui plaire lui donnait, à elle, mille inventions rusées et simples en même temps, pour le séduire et le conquérir.
Quand il avait l’air ému, elle le quittait brusquement ; quand elle pressentait dans sa bouche une allusion attendrie, elle lui jetait, avant que la phrase fût terminée, un de ces regards courts et profonds qui entrent comme du feu au cœur des hommes.
Elle avait de fines paroles, de doux mouvements de tête, des gestes distraits de la main, et des airs mélancoliques bien vite arrêtés par un sourire pour lui montrer, sans lui rien dire, qu’il ne perdait pas ses efforts.
Que voulait-elle ? Rien. Qu’attendait-elle de cela ? Rien. Elle s’amusait à ce jeu uniquement parce qu’elle était femme, parce qu’elle n’en sentait point le danger, parce que, sans rien pressentir, elle voulait voir ce qu’il ferait.
Et puis en elle s’était développée tout à coup cette coquetterie native qui couve dans les veines de toutes les créatures femelles. L’enfant endormie et naïve d’hier s’était éveillée brusquement, souple et perspicace, en face de cet homme qui lui parlait sans cesse d’amour. Elle devinait le trouble croissant de sa pensée auprès d’elle, elle voyait l’émotion naissante de son regard, et elle comprenait les intonations différentes de sa voix, avec cette intuition particulière de celles qui se sentent sollicitées d’aimer.
D’autres hommes déjà lui avaient fait la cour dans les salons sans obtenir d’elle autre chose que des moqueries de gamine égayée. La banalité de leurs compliments l’amusait ; leurs mines de soupirants tristes l’emplissaient de joie ; et elle répondait par des niches à toutes les manifestations de leur émotion.
Avec celui-là, elle s’était sentie soudain en face d’un adversaire séduisant et dangereux ; et elle était devenue cet être adroit, clairvoyant par instinct, armé d’audace et de sang-froid, qui, tant que son cœur reste libre, guette, surprend et entraîne les hommes dans l’invisible filet du sentiment.
Lui, dans les premiers temps l’avait trouvée niaise. Accoutumé aux femmes aventureuses, exercées à l’amour comme un vieux troupier l’est à la manœuvre, expertes à toutes les ruses de la galanterie et de la tendresse, il jugeait banal ce cœur simple, et le traitait avec un léger dédain.
Mais peu à peu cette candeur même l’avait amusé, et puis séduit ; et, cédant à sa nature entraînable, il avait commencé à entourer de soins attendris la jeune femme.
Il savait bien que le meilleur moyen de troubler une âme pure était de lui parler sans cesse d’amour, en ayant l’air de songer aux autres ; et, se prêtant alors avec astuce à la curiosité friande qu’il avait éveillée en elle, il s’était mis, sous prétexte de confidences, à lui faire sous l’ombre des bois un véritable cours de passion.
Il s’amusait, comme elle, à ce jeu, lui montrait par toutes les menues attentions que savent trouver les hommes, le goût grandissant qu’il avait pour elle, et se posait en amoureux sans se douter encore qu’il le deviendrait vraiment.
Ils faisaient cela, l’un et l’autre, tout le long des lentes promenades aussi naturellement qu’il est naturel de prendre un bain quand on se trouve, par un jour chaud, au bord d’une rivière.
Mais à partir du moment où la vraie coquetterie se déclara chez Christiane, à partir de l’heure où elle découvrit toutes les adresses natives de la femme pour séduire les hommes, où elle se mit en tête de jeter à ses genoux ce passionné, comme elle aurait entrepris de gagner une partie de croquet, il se laissa prendre, ce roué candide, aux mines de cette innocente, et il commença à l’aimer.
Alors il devint gauche, inquiet, nerveux ; et elle le traita comme un chat fait d’une souris.
Avec une autre il n’eût point été gêné, il eût parlé, il l’eût conquise par sa fougue entraînante ; avec elle il n’osait pas, tant elle lui semblait différente de toutes celles qu’il avait connues.
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