Ceux-ci se hâtaient.
D'ailleurs un autre sujet de terreur vint l'assaillir.
Le duc sortit du pavillon au bruit que firent sur le sable les pas de Remy et de son compagnon.
Henri se jeta derrière le plus gros des arbres, et attendit.
Il ne put rien voir, sinon que Remy avait salué très bas, que le compagnon de Remy avait fait une révérence de femme et non un salut d'homme, et que le duc, transporté, avait offert son bras à ce dernier comme il eût fait à une femme.
Puis tous trois, se dirigeant vers le pavillon, avaient disparu sous le vestibule, dont la porte s'était refermée derrière eux.
– Il faut en finir, dit Henri, et adopter un endroit plus commode d'où je puisse voir chaque signe sans être vu.
Il se décida pour un massif situé entre le pavillon et les espaliers, massif au centre duquel jaillissait une fontaine, asile impénétrable, car ce n'était pas la nuit, par la fraîcheur et l'humidité naturellement répandues autour de cette fontaine, que le prince affronterait l'eau et les buissons.
Caché derrière la statue qui surmontait la fontaine, se grandissant de toute la hauteur du piédestal, Henri put voir ce qui se passait dans le pavillon, dont la principale fenêtre s'ouvrait tout entière devant lui.
Comme nul ne pouvait, ou plutôt ne devait pénétrer jusque-là, aucune précaution n'avait été prise.
Une table était dressée, servie avec luxe et chargée de vins précieux enfermés dans des verres de Venise.
Deux sièges seulement à cette table attendaient deux convives.
Le duc se dirigea vers l'un, et quittant le bras du compagnon de Remy, en lui indiquant l'autre siège, il sembla l'inviter à se séparer de son manteau, qui, fort commode pour une course nocturne, devenait fort incommode lorsqu'on était arrivé au but de cette course, et que ce but était un souper.
Alors, la personne à laquelle l'invitation était faite jeta son manteau sur une chaise, et la lumière des flambeaux éclaira sans aucune ombre le visage pâle et majestueusement beau d'une femme que les yeux épouvantés de Henri reconnurent tout d'abord.
C'était la dame de la maison mystérieuse de la rue des Augustins, la voyageuse de Flandre: c'était cette Diane enfin dont les regards étaient mortels comme des coups de poignard.
Cette fois elle portait les habits de son sexe, était vêtue d'une robe de brocart; des diamants brillaient à son cou, dans ses cheveux et à ses poignets.
Sous cette parure, la pâleur de son visage ressortait encore davantage, et sans la flamme qui jaillissait de ses yeux, on eût pu croire que le duc, par l'emploi de quelque moyen magique, avait évoqué l'ombre de cette femme plutôt que la femme elle-même.
Sans l'appui de la statue sur laquelle il avait croisé ses bras plus froids que le marbre lui-même, Henri fût tombé à la renverse dans le bassin de la fontaine.
Le duc semblait ivre de joie; il couvait des yeux cette merveilleuse créature qui s'était assise en face de lui, et qui touchait à peine aux objets servis devant elle. De temps en temps François s'allongeait sur la table pour baiser une des mains de sa muette et pâle convive, qui semblait aussi insensible à ses baisers que si sa main eût été sculptée dans l'albâtre dont elle avait la transparence et la blancheur.
De temps en temps, Henri tressaillait, portait la main à son front, essuyait avec cette main la sueur glacée qui en dégouttait et se demandait:
– Est-elle vivante? est-elle morte?
Le duc faisait tous ses efforts et déployait toute son éloquence pour dérider ce front austère.
Remy, seul serviteur, car le duc avait éloigné tout le monde, servait ces deux personnes, et de temps en temps, frôlant avec le coude sa maîtresse lorsqu'il passait derrière elle, semblait la ranimer par ce contact, et la rappeler à la vie ou plutôt à la situation.
Alors un flot de vermillon montait au front de la jeune femme, ses yeux lançaient un éclair, elle souriait comme si quelque magicien avait touché un ressort inconnu de cet intelligent automate et avait opéré sur le mécanisme des yeux l'éclair, sur celui des joues le coloris, sur celui des lèvres le sourire.
Puis elle retombait dans son immobilité.
Le prince cependant se rapprocha, et par ses discours passionnés commença d'échauffer sa nouvelle conquête.
Alors Diane, qui, de temps en temps, regardait l'heure à la magnifique horloge accrochée au-dessus de la tête du prince, sur le mur opposé à elle, Diane parut faire un effort sur elle-même et, gardant le sourire sur les lèvres, prit une part plus active à la conversation.
Henri, sous son abri de feuillage, se déchirait les poings et maudissait toute la création, depuis les femmes que Dieu a faites, jusqu'à Dieu qui l'avait créé lui-même.
Il lui semblait monstrueux et inique que cette femme, si pure et si sévère, s'abandonnât ainsi vulgairement au prince, parce qu'il était doré en ce palais.
Son horreur pour Remy était telle, qu'il lui eût ouvert sans pitié les entrailles, afin de voir si un tel monstre avait le sang et le cœur d'un homme.
C'est dans ce paroxysme de rage et de mépris, que se passa pour Henri le temps de ce souper si délicieux pour le duc d'Anjou.
Diane sonna. Le prince, échauffé par le vin et par les galants propos, se leva de table pour aller embrasser Diane.
Tout le sang de Henri se figea dans ses veines. Il chercha à son côté s'il avait une épée, dans sa poitrine s'il avait un poignard.
Diane, avec un sourire étrange, et qui certes n'avait eu jusque-là son équivalent sur aucun visage, Diane l'arrêta en chemin.
– Monseigneur, dit-elle, permettez qu'avant de me lever de table, je partage avec Votre Altesse ce fruit qui me tente.
À ces mots, elle allongea la main vers la corbeille de filigrane d'or, qui contenait vingt pêches magnifiques, et en prit une.
Puis, détachant de sa ceinture un charmant petit couteau dont la lame était d'argent et le manche de malachite, elle sépara la pêche en deux parties et en offrit une au prince, qui la saisit et la porta avidement à ses lèvres, comme s'il eût baisé celles de Diane.
Cette action passionnée produisit une telle impression sur lui-même, qu'un nuage obscurcit sa vue au moment où il mordait dans le fruit.
Diane le regardait avec son œil clair et son sourire immobile.
Remy, adossé à un pilier de bois sculpté, regardait aussi d'un air sombre.
Le prince passa une main sur son front, y essuya quelques gouttes de sueur qui venaient de perler sur son front, et avala le morceau qu'il avait mordu.
Cette sueur était sans doute le symptôme d'une indisposition subite; car, tandis que Diane mangeait l'autre moitié de la pêche, le prince laissa retomber ce qui restait de la sienne sur son assiette, et, se soulevant avec effort, il sembla inviter sa belle convive à prendre avec lui l'air dans le jardin.
Diane se leva, et sans prononcer une parole prit le bras que lui offrait le duc.
Remy les suivit des yeux, surtout le prince que l'air ranima tout à fait.
Tout en marchant, Diane essuyait la petite lame de son couteau à un mouchoir brodé d'or, et le remettait dans sa gaîne de chagrin.
Ils arrivèrent ainsi tout près du buisson où se cachait Henri.
Le prince serrait amoureusement sur son cœur le bras de la jeune femme.
– Je me sens mieux, dit-il, et pourtant je ne sais quelle pesanteur assiège mon cerveau; j'aime trop, je le vois, madame.
Diane arracha quelques fleurs à un jasmin, une branche à une clématite et deux belles roses qui tapissaient tout un côté du socle de la statue, derrière laquelle Henri se rapetissait effrayé.
– Que faites-vous, madame? demanda le prince.
– On m'a toujours assuré, monseigneur, dit-elle, que le parfum des fleurs était le meilleur remède aux étourdissements. Je cueille un bouquet dans l'espoir que, donné par moi, ce bouquet aura l'influence magique que je lui souhaite.
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