– Mon Dieu! s’écriait-elle, toujours à genoux et se renversant en arrière, les yeux et les mains au ciel, et avec une épouvante involontaire dans le cœur, mon Dieu! ayez pitié de moi; mon Dieu! rendez-moi la paix de mon âme. Je vous ai demandé la conservation des jours de mon mari, et maintenant que vous me l’avez accordée dites-moi, mon Dieu! est-ce donc moi qui dois mourir? L’union bénie en votre nom, consacrée par votre ministre, jurée aux pieds de vos autels sera-t-elle une source de larmes? C’est Maurice que je dois aimer, me dit votre loi sainte, et c’est une femme étrangère qui possède son cœur, qui dispose à son gré de son existence, qui lui ouvre la tombe et la referme d’un mot, par la magie de son regard, par le charme de sa présence. Oh! cette puissance que vous lui avez donnée, à elle pour qui Maurice n’est rien, donnez-la moi, mon Dieu! à moi, pour qui Maurice est tout; car maintenant, je le sens, j’ai besoin d’amour. Mes facultés s’ouvrent à des sensations nouvelles; votre sainte loi et les lois humaines ne seront pas transgressées, mais sauvez-moi de ce tourment affreux que je ressens pour la première fois, la jalousie, la haine peut-être. Et pourtant, je serais bien injuste de haïr cette femme; elle m’a sauvée, elle, ma rivale! Les bons sentiments que j’ai à cette heure dans l’âme, la chaste ardeur dont je suis soutenue, c’est elle qui les a allumés en moi au récit de ses malheurs. J’ai pleuré de ses souffrances, j’ai frémi en voyant que les miennes pouvaient être pires encore. Au lieu de la haïr, ne vaut-il pas mieux que je me fie à elle, que je mette mon avenir entre ses mains? Eh bien, oui, j’irai lui demander à genoux de me rendre le cœur de Maurice; elle m’a conseillé de rester pure, elle me rendra le bonheur avec la pureté qu’elle m’a gardée. Oui, mon Dieu! oui, j’irai; j’en aurai la force. C’est à moi, à mon tour, de lui ouvrir mon cœur comme elle m’a ouvert le sien. Il ne s’agit point de dormir; le sommeil n’habite pas avec les larmes. Eh bien, quand ceux qui n’ont aucun motif de veiller dormiront, j’irai lui parler, moi.
Cette prière prononcée avec tout l’élan d’une foi vive et pure, Clotilde se releva avec la ferme résolution d’aller trouver Fernande aussitôt que tout le bruit aurait cessé dans le château. Pendant ce temps, voyons ce que faisait la courtisane.
Quand Fernande fut seule dans la chambre qu’on lui avait destinée, et qu’elle n’eut plus devant elle que la femme qui la devait servir, elle respira plus librement.
– Mademoiselle, dit-elle, je ne me coucherai point encore; je n’ai aucune envie de dormir; j’aperçois des livres, je lirai. Vous pouvez donc vous retirer, car j’ai l’habitude de me déshabiller seule.
– Si madame le veut, répondit la femme de chambre, j’attendrai qu’elle soit prête dans le cabinet de toilette attenant à cet appartement.
– Non, merci, c’est inutile; je ne veux point vous priver du sommeil dont vous devez avoir besoin; je vous remercie, mais, je vous le répète, je puis me passer de vos soins. Seulement, informez-vous près des gens de la maison si par hasard mon valet de chambre serait resté.
– Oui, madame; le cocher seul est parti avec la voiture, sur l’ordre que lui a transmis de votre part madame de Neuilly, mais le valet de chambre est resté; il doit même demeurer à l’office jusqu’à ce que madame lui fasse dire qu’elle n’a plus besoin de lui ce soir.
– Veuillez me l’envoyer, je vous prie, mademoiselle, j’ai des ordres à lui donner.
La femme de chambre sortit; Fernande s’appuya à la cheminée et attendit.
Un instant après, le valet de chambre entra.
– Oh! mon Dieu! s’écria-t-il, est-ce que madame est indisposée?
– Pourquoi cela, Germain?
– C’est que madame est bien pâle.
Fernande se regarda dans la glace, et en effet seulement alors elle s’aperçut de l’altération de ses traits. Ses muscles, tendus toute la journée pour lui composer une physionomie, s’étaient relâchés enfin, et son visage portait la trace d’un profond abattement.
– Non, ce n’est rien, dit-elle en souriant; merci, un peu de fatigue, voilà tout. Écoutez-moi: ce que j’exige de vous dans ce moment-ci est d’une grande importance pour moi; je vous demande à la fois du zèle et de la discrétion.
Elle entr’ouvrit les rideaux de la fenêtre, jeta un regard sur la campagne, et poursuivit:
– La nuit est claire, le village est à deux pas; trouvez le moyen de sortir de la maison et d’y rentrer sans déranger personne. Vous donnerez deux louis au valet qui vous aidera dans cette circonstance. Vous irez à Fontenay, vous louerez une voiture, quelle qu’elle soit et à quelque prix que ce soit; elle devra m’attendre au bout de l’avenue. Il n’y a rien là d’impossible, n’est-ce pas?
– Non, sans doute, et madame sera promptement satisfaite, mais que ferai je ensuite?
– Vous resterez en bas, dans l’antichambre, et vous m’attendrez. Il est bien entendu qu’à mon tour je pourrai sortir du château quand bon me semblera.
– Rien de plus facile, madame.
Le valet fit quelques pas pour s’éloigner, Fernande le retint.
– Pour expliquer mon départ, dit-elle, car vous ne pouvez rien entreprendre sans le secours d’un homme de la maison, vous direz que je ne suis pas bien portante, et que je pars sans bruit, ne voulant pas donner ici le moindre trouble.
– C’est à merveille, madame.
Restée seule, Fernande put alors à son tour réfléchir en toute liberté, et s’abandonner à l’élan de sa douleur, qu’elle contenait depuis si longtemps. Les émotions diverses qui s’étaient tour à tour emparées d’elle depuis le matin, et qu’elle avait combattues et vaincues tour à tour, se retrouvèrent alors vivantes dans son cœur, avec toute leur force primitive et avec toute l’âcreté des mouvements qui les y avaient fait naître. On eût dit que les espérances qui l’avaient bercée un instant, lorsque, descendue au jardin, elle s’apprêtait à aller joindre M. de Montgiroux au rendez-vous qu’il lui avait donné, lui infligeaient un juste châtiment. Le secret terrible qui s’était tout à coup dressé devant elle comme un obstacle insurmontable au moment où elle venait de concevoir la coupable pensée de prolonger un bonheur mystérieux, ouvrait sous ses pas un abîme plus effrayant que jamais. Placée entre le comte et Maurice, il ne lui était plus possible de voir l’un et de sourire à l’autre sans qu’une pensée d’inceste glaçât au fond de sa conscience le germe de toute tendre émotion. Elle avait méconnu un instant le sentiment qui la soutenait forte et fière dans la vie, et maintenant il lui fallait, par un sacrifice suprême et irrévocable, racheter ce mouvement.
– Non, non, murmurait-elle avec ce sourire triste des cœurs endoloris, non, je n’atteindrai pas à ce degré d’infamie; non, je ne m’exposerai pas davantage dans la lutte des passions. Ce jour, dans lequel se sont réunis pour moi tant de terribles enseignements, a marqué mes derniers pas dans cette existence exceptionnelle dont je n’ai jamais rougi comme à cette heure. Je ne puis maintenant aller plus loin que pour faillir davantage. Il ne faut pas exposer ce qui en moi est resté pur du contact de tout vice. Je veux expier les scandales que j’ai donnés au monde. Après avoir perdu le corps, je veux sauver l’âme.
En ce moment, la porte s’ouvrit doucement, et le valet de chambre de confiance de Maurice, qui cent fois avait été messager de leurs anciennes paroles d’amour, entra, une lettre à la main.
Cette lettre était ainsi conçue:
«Je revenais à la vie par vous, mais aussi pour vous, Fernande. N’éprouvez-vous donc pas, comme moi, le besoin de nous retrouver ensemble un moment, un seul, pour nous ranimer tous deux par l’espérance de l’avenir? Venez donc au chevet du lit du malade pour achever l’œuvre de sa guérison. Je vous avais juré cent fois que mon amour ne finirait qu’avec ma vie; je veux qu’une fois vous soyez convaincue que ma vie ne peut se prolonger que par mon amour. Venez donc; tout le monde dort à cette heure. Dans la maison, moi seul je veille, je souffre et j’attends.
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