En disant ces mots, il se leva et se tint debout devant elle, rayonnant d’audace.
Et, comme s’ils eussent entendu son ordre, au même moment les assassins se ruèrent dans la salle avec des cris de morts.
Fausta s’était levée aussi.
Elle ne répondit pas un mot. Sans se presser, elle se retourna, s’éloigna majestueusement et alla se placer à l’autre extrémité de la salle, désireuse d’assister à la lutte.
Si Pardaillan avait voulu, il n’aurait eu qu’à étendre le bras, abattre sa main sur l’épaule de Fausta, et le combat eût été terminé avant que d’être engagé. C’eût été là une merveilleuse égide. Aucun des assistants n’eût osé ébaucher un geste en voyant leur maîtresse aux mains de celui qu’ils avaient pour mission de tuer sans pitié.
Mais Pardaillan n’était pas homme à employer de tels moyens. Il la regarda s’éloigner sans faire un geste.
Centurion avait bien fait les choses. Il avait été un peu long, mais il savait qu’il pouvait compter sur Fausta pour garder le chevalier autant de temps qu’il serait nécessaire. Il amenait avec lui une quinzaine de sacripants, ses séides ordinaires, qui le suivaient dans toutes ses expéditions avec Barba-Roja et lui obéissaient avec une précision toute militaire, assurés qu’ils étaient de l’impunité et de recevoir en outre une gratification raisonnable.
En plus de cette troupe, le familier amenait avec lui les trois ordinaires de Fausta: Sainte-Maline, Montsery et Chalabre, lesquels avaient bien consenti à suivre Centurion parlant au nom de la princesse, mais étaient bien résolus à agir à leur guise, peu soucieux qu’ils étaient de se placer sous les ordres d’un personnage qui ne leur inspirait nulle sympathie.
Les deux troupes, car les ordinaires ne se quittaient pas et s’écartaient ostensiblement de leurs compagnons de rencontre, les deux troupes réunies formaient un total d’une vingtaine d’hommes – juste le chiffre annoncé par Fausta – armés de solides et longues rapières et de bonnes et courtes dagues.
Les assaillants, avons-nous dit, s’étaient rués avec des cris de mort. Mais si la précaution qu’avait eue Fausta de placer Pardaillan au fond de la salle était bonne en ce sens qu’elle l’acculait dans un coin et le mettait dans la nécessité d’enjamber un nombre considérable d’obstacles et de passer sur le ventre de toute la troupe pour atteindre la sortie, cette précaution devenait mauvaise en ce sens que, pour atteindre leur victime, les hommes de Centurion devaient d’abord, eux aussi, enjamber ces mêmes obstacles, ce qui ralentissait considérablement leur élan.
Pardaillan les regardait venir à lui avec ce sourire railleur qu’il avait dans ces moments.
Il avait dédaigné de tirer sa dague, seule arme qu’il eût à sa disposition. Seulement, il s’était placé derrière la banquette, sur laquelle il était assis l’instant d’avant. Cette banquette était la dernière de la rangée. Pardaillan avait placé son genou gauche sur cette banquette, et ainsi placé, les bras croisés, le sourire aux lèvres, l’œil aux aguets et pétillant de malice, il attendait qu’ils fussent à sa portée.
Que méditait-il? Quel coup d’audace, foudroyant et imprévu, leur réservait-il? C’est ce que se demandait Fausta, qui le surveillait de sa place, et qui, devant cette froide intrépidité, sentait le doute l’envahir de plus en plus, et se disait:
«Il va les battre tous! c’est certain! c’est fatal! Et il sortira d’ici sans une égratignure.»
Cependant, Pardaillan avait reconnu les ordinaires, et de sa voix railleuse:
– Bonsoir, messieurs!
– Bonsoir, monsieur de Pardaillan, répondirent poliment les trois.
– C’est la deuxième fois aujourd’hui que vous me chargez, messieurs. Je vois que vous gagnez honnêtement l’argent que vous donne M meFausta. Seulement je suis confus de vous donner tant de mal.
– Quittez ce souci, monsieur. Pourvu que nous vous ayons au bout du compte, c’est tout ce que nous demandons, dit Sainte-Maline.
– J’espère que nous serons plus heureux cette fois-ci, ajouta Chalabre.
– C’est possible! fit paisiblement Pardaillan, d’autant que, vous le voyez, je suis sans arme.
– C’est vrai! dit Montsery, en s’arrêtant, M. de Pardaillan est désarmé!
– Ah! diable! firent les deux autres, en s’arrêtant aussi.
– Nous ne pouvons pourtant pas le charger, s’il ne peut se défendre, dit tout bas Montsery.
– Très juste, opina Chalabre.
– D’autant qu’ils sont assez nombreux pour mener à bien la besogne, ajouta Sainte-Maline en désignant du coin de l’œil les hommes de Centurion.
Et tout haut à Pardaillan:
– Puisque vous n’avez pas d’arme pour vous défendre, nous nous abstenons, monsieur. Que diable! nous ne sommes pas des assassins!
Pardaillan sourit, et comme les trois, avant de rengainer, le saluaient de l’épée d’un même geste qui ne manquait pas de noblesse, il s’inclina gracieusement, et dit, toujours calme:
– En ce cas, messieurs, écartez-vous et regardez… si cela vous intéresse.
À ce moment, sept ou huit des plus vifs parmi les assaillants n’avaient plus que deux rangées de banquettes à franchir pour être sur lui.
Posément, avec des gestes mesurés, Pardaillan se courba et saisit à pleins bras la banquette sur laquelle il appuyait son genou.
C’était une banquette longue de plus d’une toise, en chêne massif et dont le poids devait être énorme.
Pardaillan la souleva sans effort apparent et, quand les premiers assaillants se trouvèrent à sa portée, il balaya l’espace de sa banquette tendue à bout de bras, en un geste large, foudroyant de force et de rapidité, le geste du faucheur qui fauche.
Un homme resta sur le carreau, trois se retirèrent en gémissant, les autres s’arrêtèrent interdits.
Pardaillan se mit à rire doucement et souffla un moment.
Mais le reste de la bande arrivait et poussait les premiers rangs, qui durent avancer malgré eux.
Pardaillan, froidement, méthodiquement, recommença le geste de la mort. Trois nouveaux éclopés durent se retirer.
Ils n’étaient plus que treize, en omettant les trois ordinaires qui assistaient, béats d’admiration, à cette lutte épique d’un homme contre vingt.
Les hommes de Centurion s’arrêtèrent, quelques-uns même s’empressèrent de reculer, de mettre la plus grande distance possible entre eux et la terrible banquette.
Pardaillan souffla encore un moment et, profitant de ce qu’ils se tenaient en groupe compact, il souleva de nouveau l’arme formidable que lui seul peut-être était capable de manier avec cette aisance: il la balança un instant et la jeta à toute volée sur le groupe pétrifié.
Alors ce fut la débandade. Les hommes de Centurion s’enfuirent en désordre et ne s’arrêtèrent que dans l’espace libre devant l’estrade.
Avec Centurion, qui avait eu la chance de s’en tirer avec quelques contusions sans importance, bien qu’il ne se fût pas ménagé, ils n’étaient plus que six hommes valides.
Cinq étaient restés sur le carreau, morts ou trop grièvement endommagés pour avoir la force de se relever. Les autres, plus ou moins éclopés, geignant et gémissant, étaient hors d’état de reprendre la lutte.
Pardaillan passa sa main sur son front ruisselant de l’effort soutenu, et en riant, du bout des lèvres:
– Eh bien, mes braves, qu’attendez-vous? Chargez donc, morbleu! Vous savez bien que je suis seul et sans arme!
Mais comme en disant ces mots il plaçait son pied sur la banquette qui se trouvait à sa portée, les autres, malgré les objurgations de Centurion, restèrent cois.
Alors Pardaillan se mit à rire plus fort, et s’apercevant que plusieurs rapières s’étalaient à ses pieds, il se baissa tranquillement, ramassa celle qui lui parut la plus longue et la plus solide, et, la faisant siffler, de son air railleur, il leur lança:
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