– Que faites-vous, madame? s’écria Guise.
– C’est un privilège royal que d’être éclairé par le maître de la maison, répondit Fausta. Vous êtes le roi: je vous montre le chemin, sire!
Guise enivré se mit à suivre en silence, admirant la dignité, la grâce et la majesté de cette sirène, et il convint en lui-même que jamais le trône de France n’aurait été occupé par une créature plus vraiment reine par la beauté, l’attitude et la pensée.
Mais en accompagnant le duc de Guise, Fausta avait une autre idée que celle de lui rendre un royal hommage. En arrivant dans le vestibule, elle posa son flambeau sur un meuble, fit signe à un laquais d’ouvrir la porte, et se tourna alors vers Guise comme pour prendre congé. Guise tressaillit… il comprit qu’il allait apprendre quelque nouvelle…
– Adieu, monsieur le duc, dit Fausta. Mais avant votre départ, je serais heureuse de savoir ce qu’est devenu l’homme qui a été poursuivi aujourd’hui…
– Pardaillan!…
– Oui!… Pardaillan!…
– Il est mort, dit Guise.
Fausta ne pâlit pas. Aucun signe extérieur ne témoigna chez elle d’une émotion quelconque.
– Cet homme a mérité son châtiment, dit-elle.
Guise franchissait la porte, et déjà faisait signe à ses gens de lui approcher son cheval. Alors Fausta, avec la même simplicité, ajouta:
– Il a d’autant plus mérité la mort qu’aujourd’hui même, sous mes yeux, il a tué d’un coup de dague au cœur une pauvre jeune fille innocente… une chanteuse… une bohémienne nommée Violetta…
Et la porte, à cet instant, se referma!… La porte de fer séparait maintenant ces deux êtres: Fausta et Guise. Mais s’ils avaient pu se voir, peut-être eussent-ils eu pitié l’un de l’autre.
– Pardaillan est mort!
– Morte!… Violetta morte!…
Ces deux pensées de douleur palpitèrent ensemble. Et tandis que Fausta, accablée par cette mort qu’elle avait pourtant voulue, regagnait en chancelant sa chambre à coucher, le duc demeurait devant la maison comme frappé d’un coup de foudre.
– Monseigneur, fit quelqu’un en le touchant au bras.
Un sanglot déchira la gorge du Balafré. Il releva la tête et vit que son escorte s’était approchée. Sans prononcer un mot, il se mit en selle, et prenant la tête de la petite troupe, se dirigea vers l’hôtel de Guise.
À t-on retrouvé le corps de Pardaillan? demanda-t-il à Maineville lorsqu’il eut regagné son appartement.
– Non, monseigneur…
– Tant pis! dit le duc d’une voix étrange.
Et il s’enferma dans son cabinet, pour y travailler, dit-il. Mais lorsque son valet de chambre pénétra chez lui le lendemain, il constata que Monseigneur ne s’était pas couché, qu’il était fort pâle et qu’il avait les yeux rouges.
Le duc avait passé la nuit, les coudes sur la table devant laquelle il s’était assis, la tête dans les deux mains. Au bruit que fit le serviteur, il se réveilla de cette longue torpeur et vit qu’il faisait grand jour. Alors il se leva, et les yeux fixés sur une image qui flottait sans doute devant lui:
– Adieu, murmura-t-il, adieu, Violetta, jeunesse, amour!… Tout cela est mort!… Pensées d’amour et de jeunesse, éteignez-vous comme ces flambeaux, évanouissez-vous, et laissez la place aux rêves d’ambition!… Le duc de Guise amoureux de la petite bohémienne n’est plus… Guise le conquérant, Guise roi de France et empereur, à l’œuvre! Et puisqu’il faut commencer par marcher sur un cadavre pour marcher à la gloire et à la puissance, allons préparer la mort de Valois!…
Il fit ouvrir les portes de son cabinet, et la foule de ses gentilshommes y entra.
– Messieurs, dit le Balafré d’une voix forte, Sa Majesté le roi a convoqué les états généraux. Le clergé, la noblesse et la bourgeoisie ont envoyé à Blois leurs députés qui déjà ont commencé les conférences Il me semble donc que notre place est non pas à Paris, mais à Blois où de grands événements nous attendent peut-être. À cheval, donc, messieurs, nous partons dans une heure!…
Les courtisans se retirèrent, empressés, pour faire leurs préparatifs de départ. Le duc s’assit alors et écrivit la lettre suivante:
«Madame,
Vous m’avez si bien convaincu que je ne veux pas attendre une minute pour commencer l’exécution de l’admirable plan que vous m’avez développé. Ce n’est donc ni dans un mois ni dans huit jours que je me rendrai à Blois. J’y vais tout de ce pas. C’est donc à Blois même que j’aurai l’honneur de vous attendre, afin de hâter ces deux événements que je souhaite avec une égale ardeur: la mort de qui vous savez, et l’union des deux puissances que vous connaissez. – Henri, duc de Guise… pour le moment.»
Guise cacheta sa lettre, et regardant autour de lui, ne vit que Maurevert.
– Tiens! fit-il avec une rude ironie, vous êtes là, vous?
– Monseigneur, dit Maurevert en s’inclinant, vous m’avez ordonné qu’en dehors des missions qu’il vous plairait de me confier, je me tienne constamment près de vous…
Guise baissa la tête.
«Oui, oui, gronda-t-il en lui-même, j’étais jaloux…»
– Il n’y a plus de motif, reprit-il tout haut et en dardant son regard sur Maurevert. Vous êtes libre, mon cher. Et savez-vous pourquoi?…
– J’attends que monseigneur me l’apprenne.
– Maurevert, je vous ai envoyé à Blois. Savez-vous pourquoi?
– Je m’en doute. Blois est loin de l’abbaye de Montmartre, n’est-ce pas, monseigneur?
– C’est vrai! dit Guise en pâlissant.
– Plus de soupçons! dit Guise avec un dernier soupir à l’adresse de celle qu’il croyait morte. Et je vous le répète, Maurevert, vous reprenez votre service ordinaire. Vous êtes libre d’aller, de venir…
– Vous me voyez tout heureux d’avoir reconquis la confiance de mon maître…
– Oui, mais je ne vous ai pas dit pourquoi!… Maurevert, si je n’ai plus de soupçons, si vous êtes libre d’aller à Montmartre à votre convenance… c’est que… elle n’est plus!…
Le visage de Maurevert n’exprima que de l’étonnement et non cette douleur que le duc attendait.
– Monseigneur veut parler de la petite chanteuse? fit Maurevert.
– Elle est morte, te dis-je!…
– Ah! ah!… s’écria Maurevert de plus en plus étonné, mais sans donner le moindre signe de regret.
Guise alla à lui, et lui mettant la main sur l’épaule:
– Allons, allons, je te fais réparation, Maurevert! Je vois que j’avais été injuste…
– Monseigneur me comble!… Ainsi, cette bohémienne…
– Morte!… fit Guise en étouffant un sanglot. Morte, mon bon ami… assassinée par l’infernal Pardaillan…
– Ah! ah! répéta Maurevert stupéfait.
– Heureusement, le sacripant est puni… son corps servira de pâture aux poissons… mais ce n’est pas ainsi que j’eusse voulu le frapper… la mort est trop douce pour lui…
– Hum!… grogna Maurevert.
– Que dis-tu?…
– Je dis, monseigneur, que malgré toutes les recherches, le corps de Pardaillan n’a pas été retrouvé. Or, tant que je ne l’aurai pas vu mort de mes yeux, tant que je ne l’aurai pas enterré de mes mains, je m’attendrai toujours à voir le truand reparaître au moment où on l’attendra le moins…
– Je donnerais cent mille livres pour que tu ne te trompes pas!
– Et moi j’en donnerais deux cents, si je les avais… mais je ne les ai pas, bien que monseigneur me les ait promises…
– Tu les auras avant peu!
– Eh bien, je les donnerais volontiers pour être sûr de me tromper.
– La peur que cet homme t’inspirait te fait radoter, mon pauvre ami. Mais n’y pensons plus. Prends cette missive.
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