À ces mots, elle s’éloigna de son pas majestueux. Hors de lui, haletant, le duc d’Angoulême s’élança en criant:
– Léonore!
Elle se retourna, leva un doigt vers le ciel, et dit:
– Pourquoi appelez-vous la morte? Si vous cherchez Léonore, allez au pied du gibet.
– Le gibet! balbutia Charles éperdu, cloué sur place. Pourquoi la mère de Violetta parle-t-elle du gibet?
À ce moment, Saïzuma disparut derrière les roches éboulées. Le duc d’Angoulême revint à Pardaillan, lui saisit la main et murmura:
– Chevalier, il faut la suivre… l’emmener avec nous… la guérir…
Pardaillan secoua la tête. Mais voyant combien cette scène saisissante en son imprévu avait frappé l’esprit de son compagnon:
– Venez, dit-il.
Tous les deux s’élancèrent sur le sentier qu’avait pris Saïzuma pour s’éloigner. Mais lorsqu’ils eurent contourné les roches, ils ne la virent plus. Charles d’Angoulême et Pardaillan battirent en vain les environs. Saïzuma demeura introuvable, et après deux heures de recherches, ils reprirent le chemin de Paris où ils rentrèrent par la porte Montmartre.
Ils passèrent à la Devinière une nuit exempte de toute alerte, et le lendemain, à la première heure, se rendirent au rendez-vous que Maurevert avait accepté, mais ils s’arrêtèrent à mi-chemin de la Ville-l ’Évêque. Pardaillan était persuadé que Maurevert, enfin vaincu dans son esprit de trahison, tiendrait parole. Mais bien que Maurevert eût accumulé les serments, il pouvait bien, en une nuit, les avoir oubliés.
C’est en faisant cette réflexion que le chevalier résolut de se tenir sur ses gardes. C’est pourquoi, sans aller jusqu’à la Ville-l ’Évêque, il prit position avec le jeune duc dans un épais bosquet de chênes. De là, ils pouvaient surveiller tout ce qui venait de Paris. Vers neuf heures et demie, ils aperçurent un cavalier qui s’avançait rapidement.
– C’est lui! dit tranquillement Pardaillan.
C’était Maurevert, en effet. Le chevalier l’avait reconnu, bien qu’il fût encore à longue distance.
– C’est ma foi vrai! dit Charles lorsque Maurevert fut pleinement visible. Comment avez-vous pu le reconnaître?
– Maurevert et moi, nous nous reconnaissons toujours quelle que soit la distance, dit Pardaillan avec la même tranquillité.
Il frémissait pourtant. Et si le duc l’eût regardé, il eût vu sur son visage cette même expression livide que la veille lorsqu’ils suivaient Maurevert… mais cette fois avec une sorte de désespoir. Mais le jeune homme ne regardait que Maurevert… Et il tremblait de joie… car Maurevert, c’était la certitude de revoir Violetta!… sans quoi pourquoi cet homme serait-il venu?
– C’est lui! reprit Charles. Le voici bien seul… sans armes… Ah! Pardaillan! le bonheur m’étouffe!…
– Avançons, dit Pardaillan.
Ils sortirent alors du bosquet et rejoignirent le sentier. Bientôt, Maurevert fut sur eux. Il sauta à terre, se découvrit et dit:
– Me voici, messieurs…
IX LA PAROLE DE MAUREVERT
Après être rentré dans Paris, la veille, à la suite de sa rencontre avec Pardaillan, Maurevert s’était mis à parcourir la ville, au hasard, pour le besoin de marcher. Il allait d’un pas rapide et souple, d’une démarche de tigre, et les passants le regardaient avec effarement, mais lui n’y prenait pas garde.
Parfois, une sorte de rugissement grondait dans sa gorge, et il se mordait les lèvres jusqu’au sang pour ne pas hurler la joie effroyable qui le soulevait. D’autres fois, au contraire, venant à reconstituer cette minute horrible où, s’étant retourné sur Paris, il s’était vu en face de Pardaillan, il éprouvait le choc en retour de l’épouvante, et se sentait défaillir. Alors il entrait dans le premier cabaret, buvait d’un trait un verre de vin, jetait sur la table une pièce de monnaie, puis reprenait sa marche…
Il tenait Pardaillan!… Enfin! Enfin! Enfin!…
Oh! il le tenait bien, cette fois! Le démon ne pouvait lui échapper. Pas une seconde il ne douta que Pardaillan viendrait au rendez-vous… Le tout, l’essentiel, était de bien combiner cette fois le coup, la trahison suprême…
Pardaillan viendrait!… Il le tenait!… Le long, le terrible cauchemar de terreur enfin effacé!… La revanche! Une revanche infaillible!… Car lui, lui Maurevert! lui ne se fierait ni à la Bastille, ni à Bussi, ni à rien!… Il tenait Pardaillan!… Enfin!… Il allait l’écraser!… En formulant ce cri dans sa pensée, Maurevert frappait violemment du pied, comme si, du talon, il eût écrasé une tête…
Où allait-il? Où se trouvait-il?… Maurevert ne se le demandait pas. Il allait, allait toujours, affolé par cet irrésistible besoin d’aller, de dépenser le trop plein, qui pousse l’homme à qui vient d’arriver bonheur imprévu, un bonheur si grand, qu’il en est terrible et ressemble à une catastrophe…
Il ne méditait pas encore comment il s’emparerait de Pardaillan. Il le tenait!… Et cela, pour le moment, suffisait à cette joie indicible, insensée, qui le soulevait.
Le soir tomba sur Paris… bientôt il fit nuit… Maurevert allait toujours, passant et repassant vingt fois par les mêmes rues sans s’en apercevoir, poussant d’un coup d’épaule les bourgeois qui ne se rangeaient pas assez vite… Et ce fut ainsi que, vers les neuf heures, il heurta tout à coup un passant attardé…
– Insolent! hurla Maurevert, non pour insulter le bourgeois mais pour le besoin de crier.
Et il continua sa route.
– Holà! cria le bourgeois. C’est moi que vous appelez insolent?… Halte! ou je frappe par derrière!…
Maurevert se retourna en grinçant: ce bourgeois était un gentilhomme – un gentilhomme de Guise… un de ses amis…
– Lartigues! gronda Maurevert.
– Maurevert! s’écria le gentilhomme. Quoi! c’est toi?…
Maurevert, les yeux sanglants, considérait cet homme qui était son ami. Cette pensée, comme un éclair, traversa son cerveau:
«Guise me croit à sa mission. Si Guise sait que je suis à Paris, tout est perdu… Lartigues, demain, racontera qu’il m’a vu…»
– C’est toi! reprenait le gentilhomme en riant. J’allais, ma foi, te faire un mauvais parti!… heureusement, je t’ai reconnu à temps…
– Je crois, dit Maurevert froidement, que vous m’avez bousculé et appelé insolent?
– Ah ça!… es-tu fou?…
– Monsieur de Lartigues, quand on m’appelle insolent, il me faut du sang!…
– Hé! par la mordiable, monsieur de Maurevert, puisqu’il vous faut du sang, je vous attendrai demain à huit heures avec deux de mes amis, sur le Pré aux Clercs!
– Ce n’est pas demain, c’est tout de suite! grinça Maurevert.
Ce Lartigues, que nous notons ici en passant, était un noble et brave gentilhomme, bon escrimeur comme tous ceux de son temps; la provocation insensée de Maurevert lui fit monter le rouge à la figure…
– Monsieur, dit-il, je crois que vous avez perdu la tête. En tout cas, vous n’êtes pas poli. Dégainez donc à l’instant!
Dans la même seconde, les deux épées sortirent des fourreaux et les deux adversaires tombèrent en garde.
Il y eut quelques battements brefs, puis Maurevert, avec un juron se fendit à fond. Lartigues lâcha son épée, tournoya sur lui-même, sans un cri s’abattit, rendant le sang par la bouche… Il était mort.
L’épée de Maurevert l’avait atteint au sein droit et avait traversé le poumon de part en part.
Maurevert essuya sa rapière et la remit au fourreau. Alors il regarda autour de lui, et s’aperçut qu’il était dans la Cité, sur les bords du fleuve. Il se baissa, constata que Lartigues ne respirait plus, et le traînant par les jambes jusqu’à la berge, il le poussa dans l’eau.
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