Michel Zévaco - Les Pardaillan – Livre VIII- Le Fils De Pardaillan – Volume II

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Nous sommes à Paris en 1609. Henri IV règne, sous la menace permanente des attentats. Le chevalier de Pardaillan, qui n'a pas retrouvé son fils, rencontre un jeune truand, Jehan-le-Brave, en qui il ne tarde pas à reconnaître l'enfant de Fausta. Or, Jehan-le-Brave, qui ignore tout de ses origines, est amoureux de Bertille de Saugis, fille naturelle d'Henri IV. Pour protéger sa bien-aimée et le père de celle-ci, c'est-à-dire le roi, il entre en conflit avec tous ceux qui complotent sa mort: Concini et son épouse, Léonora Galigaï, Aquaviva, le supérieur des jésuites qui a recruté un agent pour ses intentions criminelles, le pauvre Ravaillac. Le chevalier de Pardaillan s'engage dans la lutte aux côtés de son fils, aussi bien pour l'observer que pour protéger le roi. Or, Fausta jadis avait caché à Montmartre un fabuleux trésor que tout le monde convoite, les jésuites, les Concini, et même le ministre du roi Sully. Seule Bertille connaît par hasard le secret de cette cachette, ainsi que le chevalier de Pardaillan…
Suite du volume I…

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Ménagés avec une économie sordide, quoique un peu tardive, les quelques écus qu’ils tirèrent de cette vente durèrent une semaine. Jehan, qui les vit toujours très propres, insouciants à leur habitude, ne soupçonna pas leur détresse. Ils se gardèrent bien de l’avouer.

Au moment où nous les retrouvons, il était quatre heures de l’après-midi. On était aux premiers jours de juin. Le temps était radieux et le soleil versait à flots son éclatante lumière. C’était un de ces étincelants après-midi où tout respire la joie de vivre.

Ce jour-là, Gringaille, Escargasse et Carcagne avaient serré leur ceinture d’un cran. Déjeuner peu substantiel, on en conviendra. Et ils allaient, par les rues de la grand’ville, le nez au vent, l’œil au guet, à l’affût de l’occasion propice qui leur permettrait de dîner autrement que d’un nouveau cran à la ceinture.

Mélancoliques, mais non résignés, ils erraient sans but précis. Ils comptaient sur le hasard qui, jusque-là, ne se montrait guère favorable. Ils étaient parvenus au carrefour du Trahoir. Machinalement, ils s’engagèrent dans la rue de l’Arbre-Sec, se dirigeant vers la rivière.

Tout à coup, Carcagne s’administra sur le crâne un coup de poing à assommer un bœuf, et il beugla:

– J’ai trouvé!

– Quoi? firent les autres, palpitants.

– Le moyen de dîner sans avoir rien à débourser et peut-être… qui sait?… la pitance assurée pendant quelque temps. Vite, compères, la voici, entrez dans le cul-de-sac et n’en bougez pas jusqu’à ce que je vous appelle.

Ceci se passait devant la maison de dame Colline Colle. En la reconnaissant à travers les vitraux de sa fenêtre, Carcagne venait brusquement de se rappeler les avances qu’elle lui avait faites.

La matrone, depuis l’enlèvement de Bertille, passait la majeure partie de son temps à cette fenêtre. Elle était extraordinairement tenace et n’avait pas renoncé à son idée de tirer profit de cet enlèvement.

Elle avait cherché La Varenne. Mais le confident du roi se cachait chez lui. Il ne pouvait se résigner à montrer son visage avec sa balafre qui ressemblait par trop à un coup de cravache. Colline Colle n’avait pu le rencontrer. Elle avait concentré ses espoirs sur Carcagne.

Mais le bon jeune homme, comme elle disait, ne paraissait pas se décider à venir la voir, comme elle l’en avait prié. Et voici que, au moment où elle commençait à désespérer, elle l’apercevait, arrêté devant sa maison. Elle n’avait pas hésité à ouvrir sa fenêtre et l’avait appelé sans vergogne. C’est ce qui avait fait dire à Carcagne: «la voici!»

Gringaille et Escargasse avaient reconnu la vieille, eux aussi. Ils avaient compris la pensée de Carcagne et l’espoir avait pénétré en eux. Ils étaient allés se poster sous l’œil-de-bœuf de l’impasse, bien résolus à n’en pas bouger tant que Carcagne ne leur ferait pas signe.

Colline Colle ouvrit la porte juste comme Carcagne montait majestueusement les marches du perron. Il pénétra dans le sanctuaire – nous entendons la cuisine, qui servait de salle à manger. Lorsqu’ils se trouvèrent, seuls, face à face, la matrone crut devoir prendre un air confus et baissa pudiquement les yeux. Carcagne comprit qu’il lui fallait dire quelque chose de galant, qui lui conquît d’emblée les bonnes grâces de la femme. Il trouva ceci:

– Belle dame, depuis que je vous ai vue, je me suis aperçu que j’avais oublié mon cœur ici. Je ne viens pas vous le réclamer. Si vous l’avez trouvé, gardez-le… Mais, pour Dieu, donnez-moi le vôtre en échange, ou je meurs… Voyez, je dépéris, je me dessèche, je me consume!…

Ayant dit, il retroussa sa moustache d’un air conquérant, trouvant le compliment assez bien troussé et la déclaration décisive.

Le plus fort, c’est que Colline Colle, peu habituée à un si beau langage, baya d’admiration. Elle laissa tomber sur cet amoureux qui s’exprimait si bien un regard attendri qui se chargea de compassion en le regardant de plus près.

Il est de fait que Carcagne, à jeun depuis la veille, avait un petit air dolent des plus intéressants. De plus, il était dévoré d’inquiétude au sujet de sa tentative désespérée. Toucher le cœur de la vieille mégère n’était rien… si elle n’ouvrait le garde-manger. Cette inquiétude se lisait sur son visage. Colline Colle la prit pour l’angoisse de l’amoureux qui attend que son sort soit fixé. Elle en fut touchée.

Mais elle n’était pas femme à perdre la tête pour si peu. Elle fit remarquer:

– Eh! sainte Vierge! pourquoi avez-vous tant attendu, pauvre jeune homme?… Puisque je vous avais invité à venir me voir!

Elle minaudait en parlant. Mais elle fixait sur lui ses petits yeux perçants. En tout cas, la réflexion était juste. Elle faillit désarçonner Carcagne, qui ne l’avait pas prévue. L’imminence du péril lui donna de l’esprit d’à-propos.

– Hélas! belle dame, fit-il en poussant force soupirs, je suis au service d’un puissant prince et j’ai dû suivre mon seigneur, qui a jugé à propos de s’absenter. Ah! j’ai bien maudit l’affreux contretemps et j’ai bien souffert, allez!

L’explication était des plus plausibles; elle satisfit la matrone. Elle la satisfit d’autant plus qu’elle lui apprenait que le ravisseur avait titre de prince. C’était le commencement des renseignements qu’elle espérait arracher de son prétendu amoureux. Elle fut contente et son attitude s’en ressentit:

– Pauvre jeune homme! dit-elle d’un air apitoyé.

Elle lui prit la main, qu’elle serra tendrement comme pour dire: «Vos tourments vont finir!» et baissant les yeux d’un air embarrassé:

– Je m’appelle Brigitte… Et vous?…

– Moi, je m’appelle Carcagne. Ô Brigitte! reine de mon cœur, je m’attache à vous jusqu’à la mort! Je sens que je ne peux vivre sans vous! Je sens… que nous sommes créés l’un pour l’autre. Je sens… pardieu! c’est une odeur de soupe au lard… c’est-à-dire, non… je veux dire que je sens une… je sens que… je sens…

Le pauvre Carcagne, troublé par le parfum de la soupe qui mijotait sur le feu, sentait qu’il pataugeait lamentablement. Pour se tirer d’embarras, il employa un moyen héroïque: il empoigna Colline Colle, la souleva comme une plume, la serra sur son cœur à l’étouffer et plaqua sur sa peau sèche des baisers retentissants.

Après quoi il la reposa délicatement sur ses pieds, conscient de s’être tiré à son honneur du mauvais pas dans lequel il s’était sottement fourré en voulant éblouir par des phrases ronflantes, quand les gestes sont si faciles et si éloquents.

Colline Colle, qu’il avait à moitié étouffée, soufflait péniblement, se remettait peu à peu. Elle n’était pas fâchée. Bien au contraire. Elle était émerveillée de la force et de la vigueur de cet amoureux intrépide. Et elle eut la franchise de le dire:

– Jésus! Seigneur! Quelle force!… Quelle ardeur!… Se peut-il que vous m’aimiez à ce point?… Mais c’est une vraie bénédiction!

Voyez comme vont les choses: pour une pauvre petite fois qu’elle se montrait franche, elle n’eut pas de chance. Carcagne crut qu’il avait triomphé sur toute la ligne. Il se crut le maître de la situation et il déclara avec désinvolture:

– C’est dit! je m’installe ici! Je ne vous quitte plus, Ô Brigitte! Je sens que je suis né pour mener une existence de bon bourgeois paisible.

– Ouais? songea la vieille, il va vite, le bon jeune homme! S’imagine-t-il, par hasard, que je vais l’entretenir?… Voire! que je tienne les renseignements dont j’ai besoin et puis je lui montrerai comment je sais me débarrasser des galants trop encombrants.

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