Michel Zévaco - Les Pardaillan – Livre VIII- Le Fils De Pardaillan – Volume II

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Nous sommes à Paris en 1609. Henri IV règne, sous la menace permanente des attentats. Le chevalier de Pardaillan, qui n'a pas retrouvé son fils, rencontre un jeune truand, Jehan-le-Brave, en qui il ne tarde pas à reconnaître l'enfant de Fausta. Or, Jehan-le-Brave, qui ignore tout de ses origines, est amoureux de Bertille de Saugis, fille naturelle d'Henri IV. Pour protéger sa bien-aimée et le père de celle-ci, c'est-à-dire le roi, il entre en conflit avec tous ceux qui complotent sa mort: Concini et son épouse, Léonora Galigaï, Aquaviva, le supérieur des jésuites qui a recruté un agent pour ses intentions criminelles, le pauvre Ravaillac. Le chevalier de Pardaillan s'engage dans la lutte aux côtés de son fils, aussi bien pour l'observer que pour protéger le roi. Or, Fausta jadis avait caché à Montmartre un fabuleux trésor que tout le monde convoite, les jésuites, les Concini, et même le ministre du roi Sully. Seule Bertille connaît par hasard le secret de cette cachette, ainsi que le chevalier de Pardaillan…
Suite du volume I…

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Ses yeux pétillaient dans l’ombre et il se disait:

– Par Pilate, comment ce moine, que j’ai vu, de mes propres yeux vu, entrer dans la prison, se trouve-t-il dans la rue de la Heaumerie?… paraissant venir de la rue des Écrivains!…

Il eut un rire de satisfaction et se répondit à lui-même:

– C’est que je me suis laissé jouer comme un niais!… C’est que la maison de la rue des Écrivains communique par une voie souterraine avec la prison!… En sorte que lorsque l’ayant vu entrer par la rue des Écrivains, je faisais d’interminables pauses devant la maison, lui, il filait par la prison et je n’y voyais que du feu!… Pardieu, les choses se précisent. Je commence à voir un peu plus clair… je brûle! Demain, il me faudra aller étudier de près la prison. En attendant, ne perdons pas de vue notre homme, quoique, maintenant que je connais sa manière de procéder, il m’apparaisse clair comme le jour que sa journée est finie et qu’il rentre bonnement se coucher. Encore faut-il que je sache où reprendre la piste demain matin.

Parfait Goulard, pendant ce temps, avançait. Par des voies détournées, il arriva à la porte Saint-Honoré quelques instants avant la fermeture.

– Bon, se dit Pardaillan, il va se coucher chez les capucins. Ce qui prouve qu’Acquaviva reste en relations secrètes avec ces dignes moines.

Il attendit cependant que la porte fût fermée, et il fit demi-tour. La nuit était tout à fait venue; il remonta la rue Saint-Honoré en se disant:

– Faisons comme le moine, allons nous coucher.

En passant devant la rue Saint-Thomas, il vit un papier grand ouvert, étalé au milieu de la chaussée. Il aurait peut-être passé sans y prendre garde. Mais, à ce moment, la lune, dans le ciel clair, se montra dans tout son éclat et ses rayons d’argent éclairèrent le papier.

Pardaillan avait la vue perçante; ses yeux tombèrent sur cette feuille et il tressaillit:

– Le cachet et les armes de l’abbesse de Montmartre! murmura-t-il. Pardieu! serait-ce le frocard qui aurait perdu ceci?… Ramassons… on ne peut pas savoir.

Il ramassa en effet et mit dans son pourpoint. Rentré chez lui, à l’auberge du Grand-Passe-Partout, il se hâta de vérifier ce que valait sa trouvaille. Il murmura:

– Ordre de M mel’abbesse de laisser pénétrer le porteur dans sa prison et d’obéir à tout ce qu’il lui plaira d’ordonner en son nom!…, Mordieu! le hasard me favorise!… Voici un papier qui sera peut-être précieux pour moi!

Et enchanté, il se coucha en se disant qu’il n’avait pas perdu sa journée.

Ce papier qu’il venait de trouver était celui que Saint-Julien avait montré au portier du Fort aux Dames. Comment se trouvait-il là? C’est ce que nous expliquerons en revenant à Saint-Julien, avec lequel nous n’en avons pas encore fini, tout mourant qu’il soit.

Lorsque Concini se fut éloigné, un homme qui les suivait depuis la rue d’Orléans pénétra dans la rue Saint-Thomas. C’était Saêtta. Il se pencha sur Saint-Julien immobile et visita la blessure d’un œil expert. Il dit froidement:

– Joli coup! Son compte est bon! Pourvu qu’il dure encore une heure et qu’il parle, c’est tout ce qu’il me faut pour convaincre la signora.

Il saisit le corps inerte dans ses bras robustes, l’enleva et partit. En route, le papier, passé dans la ceinture probablement, glissa et tomba là où devait le trouver Pardaillan.

Saêtta pénétra près de Léonora, posa doucement le blessé sur un lit de repos, et sans prononcer une parole, le montra à la Galigaï. Celle-ci en reconnaissant l’espion, avait eu un léger froncement de sourcils. Au reste, nulle émotion, pas la moindre trace de pitié ou de sympathie. À ses yeux, Saint-Julien, comme tous ceux qu’elle utilisait, était un instrument. Pas plus. L’instrument brisé, elle le remplaçait par un autre et tout était dit.

– Est-il mort? demanda-t-elle froidement.

– Pas encore, signora!

– Qui l’a mis dans cet état?

Saêtta leva les épaules et les bras en un geste qui signifiait qu’il ne savait pas.

– Il faut savoir, dit Léonora qui réfléchissait.

Dès l’instant où elle avait un intérêt personnel en jeu, le blessé ne lui était plus indifférent. Aidée de Saêtta, elle s’activa à le ranimer. Au bout d’un moment, Saint-Julien ouvrit des yeux troubles où se voyait déjà le spectre de la mort.

– Qui vous a blessé? demande Léonora d’un air apitoyé. Péniblement, dans un râle, le moribond énonça:

– Concini!…

Léonora eut une imperceptible contraction de la face. Elle fixa sur le malheureux des yeux durs, acérés comme si elle avait voulu le poignarder du regard, et gronda:

– Pourquoi?… Il savait donc?… Vous vous êtes laissé surprendre?…

Saint-Julien n’eut pas la force de répondre. Mais ses yeux, en un scintillement, dirent: «oui». Il se raidit en un spasme suprême, retomba doucement et demeura à jamais immobile, les yeux grands ouverts.

– L’imbécile! gronda Léonora.

Elle se détourna du cadavre, alla s’asseoir dans son fauteuil et la tête appuyée sur la main, les yeux perdus dans le vague, elle se plongea dans une sombre rêverie.

– Où l’as-tu trouvé? demanda-t-elle brusquement en fixant sur Saêtta l’éclat soupçonneux de son œil de feu.

Saêtta coula un furtif regard sur le corps déjà rigide, et, rassuré, très calme, l’air indifférent:

– Rue Saint-Honoré, où il s’était traîné, dit-il en soutenant avec assurance l’examen pénétrant de la terrible jouteuse.

Lentement, Léonora détourna son regard. Saêtta eut un imperceptible sourire. Il comprenait que le soupçon naissant était écarté.

La Galigaï allongea le bras et frappa sur un timbre. Au laquais accouru, elle désigna de la tête le corps raide de l’homme mort à son service. Le laquais comprit. Il ne s’étonna pas. Simplement, il appela un camarade et, à eux deux, ils enlevèrent le cadavre.

Elle se remit à songer. Au bout d’un instant, elle dit avec un calme sinistre, comme si elle continuait une conversation:

– Tu disais donc, Saêtta, qu’en conduisant cette jeune fille dans une maison isolée, il serait possible de faire d’une pierre deux coups et de nous débarrasser du roi et de ton fils?

– Enfin! rugit Saêtta, intérieurement. Je savais bien que tu y viendrais! Ce n’aura pas été sans peine.

Et tout haut, il développa, en l’amplifiant, en précisant des détails sérieusement mûris, le même plan que nous l’avons entendu esquisser la veille. Quand il eut terminé, Léonora approuva.

– Je crois décidément que ton idée est bonne. Je m’en tiendrai là. Reviens demain, vers les dix heures du matin. Je te donnerai mes instructions à ce sujet. Va!…

Saêtta se retira le cœur débordant d’une joie furieuse.

Concini, la veille, était allé rue des Écrivains. Il avait été reçu par le bras droit d’Acquaviva, frère Parfait Goulard, avec lequel il s’était entretenu.

Mieux renseignée, ou honorée d’une plus grande confiance, Léonora se rendit au Fort aux Dames. Elle pénétra dans cette petite mansarde de la maison mystérieuse, auprès du redoutable chef de la compagnie de Jésus, et c’est directement avec lui-même qu’elle eut un long entretien.

En sortant de la prison, elle se rendit au Louvre. Là elle eut un autre entretien aussi long, aussi mystérieux et sans doute aussi terrible avec Marie de Médicis, la maîtresse de son mari.

À onze heures, elle était de retour chez elle, où Saêtta l’attendait, non sans impatience.

LXXI

Revenons maintenant à Jehan le Brave. Par le rapport de Saint-Julien, nous savons qu’il ne s’était pas tué dans son effroyable chute. Nous savons que la blessure qu’il s’était faite à la tête était insignifiante. Nous savons enfin qu’il avait été transporté, évanoui, délesté de tout ce qui aurait pu à la rigueur servir d’arme offensive, à la prison des religieuses.

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