Michel Zévaco - Les Pardaillan – Livre VIII- Le Fils De Pardaillan – Volume II

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Nous sommes à Paris en 1609. Henri IV règne, sous la menace permanente des attentats. Le chevalier de Pardaillan, qui n'a pas retrouvé son fils, rencontre un jeune truand, Jehan-le-Brave, en qui il ne tarde pas à reconnaître l'enfant de Fausta. Or, Jehan-le-Brave, qui ignore tout de ses origines, est amoureux de Bertille de Saugis, fille naturelle d'Henri IV. Pour protéger sa bien-aimée et le père de celle-ci, c'est-à-dire le roi, il entre en conflit avec tous ceux qui complotent sa mort: Concini et son épouse, Léonora Galigaï, Aquaviva, le supérieur des jésuites qui a recruté un agent pour ses intentions criminelles, le pauvre Ravaillac. Le chevalier de Pardaillan s'engage dans la lutte aux côtés de son fils, aussi bien pour l'observer que pour protéger le roi. Or, Fausta jadis avait caché à Montmartre un fabuleux trésor que tout le monde convoite, les jésuites, les Concini, et même le ministre du roi Sully. Seule Bertille connaît par hasard le secret de cette cachette, ainsi que le chevalier de Pardaillan…
Suite du volume I…

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Pendant ce temps, Jehan s’était placé à côté de l’inconnu. Il reprit son épée par la poignée et chargea avec son impétuosité accoutumée.

La vigueur et la décision de ce nouvel adversaire donnèrent-elles à réfléchir aux malandrins? Reconnurent-ils Jehan le Brave qui, parmi eux, avait la réputation d’un diable à quatre? Toujours est-il qu’ils battirent précipitamment en retraite et, tels des fantômes, s’évanouirent dans la nuit, emportant les éclopés.

Jehan rengaina avec un éclat de rire sonore et se tourna vers cet inconnu, au secours duquel il était venu si fort à propos. Et il demeura muet de saisissement, le rire soudain figé sur les lèvres.

Car cet inconnu, c’était Saêtta.

La femme qui avait appelé à l’aide s’avança vers Jehan qui lui tournait le dos. Elle était si bien enveloppée dans une ample mante brune qu’il devenait impossible de distinguer ses formes. La tête était si bien enfouie au fond du capuchon qu’on n’apercevait même pas le bout du nez. Excès de précaution assez surprenant, car la nuit était profonde.

Saêtta, en la voyant approcher, lui adressa vivement quelques signes mystérieux. Elle ne les comprit ou ne les vit pas. De cette même voix où ne perçait nulle émotion, elle dit doucement:

– Vous venez de nous sauver la vie, au Révérend Père et à moi, monsieur. Nous sommes de trop pauvres gens pour reconnaître ainsi qu’il le mériterait un aussi signalé service. Du moins, notre reconnaissance éternelle vous est-elle acquise. Oserai-je vous demander de nous faire connaître le nom du vaillant gentilhomme qui expose si généreusement sa vie pour secourir le faible?

Le Révérend Père désigné s’avança à son tour. Comme sa compagne, il avait la tête perdue au fond du capuchon. Comme elle, il ne fit pas un geste pour découvrir son visage. Comme elle, enfin, il dit d’une voix douce, extraordinairement calme:

– Votre nom, mon digne gentilhomme, s’il vous plaît? À seule fin que nous le répétions dans nos prières.

Saêtta, dépité de n’avoir pas été compris, grommela d’inintelligibles paroles.

Jehan se retourna vers la femme, et d’une voix où perçait une sourde colère, malgré les efforts qu’il faisait pour se contenir:

– Mon nom, madame? Ne voyez-vous pas Saêtta qui s’évertue à vous faire toutes sortes de signaux? Se peut-il vraiment que vous ne me reconnaissiez pas?

– Jehan le Brave! s’exclama la mystérieuse inconnue.

Chose remarquable, cette femme, qui s’était montrée intrépidement calme pendant l’attaque des truands, manifestait devant son sauveur une appréhension qui ressemblait presque à de la terreur. Le moine lui même se départit de cette froide impassibilité qu’il avait montrée jusque-là. Ils avaient fait deux pas en avant. Ils en firent précipitamment quatre en arrière.

On eût dit, à les voir, que quelque danger se dressait devant eux, en la personne de leur sauveur. Et il fallait vraiment que ce danger leur parût effroyable pour marquer une si visible émotion, alors qu’ils étaient demeurés intrépides devant la mort qui les menaçait l’instant d’avant.

Cette impression était si manifeste que Saêtta se campa résolument entre eux et Jehan, la main crispée sur la poignée de la rapière.

Jehan remarqua tout cela et il se mit à rire doucement, et d’une voix mordante, il railla:

– Allons, vous me reconnaissez… je le vois. Ôte-toi de là, Saêtta… il faut que je parle à la signora et au digne révérend… Ôte-toi de là, te dis-je, et laisse ta rapière tranquille. Sache que je suis homme à te tuer net… avec ton propre coup. Tu sais, ce fameux coup de la «saêtta» que tu as inventé… et que tu as toujours négligé de m’apprendre. Ce fameux coup, je le connais maintenant… et quelques autres aussi que tu ignores, toi. Notamment comment on peut désarmer un maître des maîtres, tel que toi. Et je n’ai pas besoin de te dire qui m’a indiqué ces coups… Tu le devines.

Saêtta étouffa un rugissement de honte et de rage à cette allusion transparente à son duel avec Pardaillan. Saêtta se dit que Jehan savait tout maintenant. Et qu’il était le fils de Pardaillan et qu’il avait été désarmé comme un mauvais écolier, lui, Saêtta! Nous savons, nous, qu’il se trompait. Jehan ne savait rien encore. Il parlait des coups que Pardaillan lui avait indiqués, mais il ignorait que Saêtta en avait déjà tâté à ses dépens.

Quoi qu’il en soit, Saêtta eut peur. Non pas d’être tué. Il ne tenait guère à la vie et, au surplus, il était brave. Saêtta eut peur de subir cette humiliation de se voir désarmer devant ceux qu’il avait mission de protéger de son épée réputée invincible. Saêtta n’eut peur que de cela. Et il s’écarta comme on le lui ordonnait.

Jehan avança sur Léonora Galigaï et Claude Acquaviva. (On a deviné que c’étaient eux.) Et ils reculèrent jusqu’à ce que le mur d’une maison les arrêtât.

– Moi, madame, continua Jehan, je vous ai reconnue tout de suite, ainsi que monsieur. Voulez-vous que je dise votre nom tout haut? Voulez-vous que je vous dise le vôtre? monsieur, mon révérend ou monseigneur.

Si maîtres d’eux qu’ils fussent, Acquaviva et Léonora ne purent retenir un geste de terreur. Et Jehan se mit à rire encore.

– Vous voyez bien qu’il est inutile de me cacher votre visage, reprit-il.

D’un même mouvement, le moine et la dame d’atours firent tomber les capuchons. Ils avaient retrouvé tous les deux ce calme déconcertant qui faisait leur force. Acquaviva, maintenant, étudiait passionnément de son œil scrutateur le visage étincelant de loyauté du jeune homme, et à mesure qu’il poursuivait cet examen, un mince sourire, à peine visible, se dessinait sur ses lèvres. Et dans l’ombre, il pressa le bras de sa compagne pour lui faire comprendre qu’elle eût à le laisser discuter seul.

Cependant Jehan reprenait d’une voix calmée, un peu railleuse:

– Rassurez-vous, puisque le hasard veut que je vous aie sauvé la vie, je ne déferai pas volontairement ce qu’il a fait. Je ne vous dénoncerai pas… Je ne suis pas pourvoyeur de bourreau, moi!

Et s’animant peu à peu, la voix grondante:

– Et cependant!… Vous, madame, vous avez tenté de faire de moi un régicide. Et parce que vous n’y avez pas réussi, vous et votre époux avez essayé de me faire assassiner je ne sais combien de fois. Si je suis encore vivant, ce n’est vraiment pas de votre faute. Vous, digne révérend, vous avez voulu me faire arquebuser. Vous n’avez pas réussi. Vous avez tenté de m’empoisonner. Vous n’avez pas réussi. Vous avez fait crouler le plafond de ma mansarde dans l’espoir qu’il m’ensevelirait sous ses décombres. Vous avez tenté de me faire écraser par un bloc de pierre. Enfin, vous avez fait mettre le feu à la masure où je m’étais réfugié… Vous n’avez pas réussi!… Est-ce vrai?…

– C’est exact, avoua froidement Acquaviva sans hésiter.

– Pour tout le mal que vous avez voulu me faire, ne serais-je pas en droit de vous écraser tous les deux, puisque, aussi bien, je vous tiens à ma merci?

– Oui, déclara nettement Acquaviva.

Et il ajouta aussitôt avec cette extraordinaire douceur qu’il employait quelquefois:

– Mais vous ne le ferez pas.

– Pourquoi? gronda Jehan, hérissé. Qui pourrait m’en empêcher?

– Vous-même! répondit Acquaviva.

Et comme le fils de Pardaillan demeurait interdit, il expliqua:

– Vous ne frapperez pas cette femme… parce qu’elle est femme, c’est-à-dire faible et sans défense. Vous ne me frapperez pas, moi, parce que je suis un vieillard débile, déjà courbé sur la tombe. Un homme comme vous, monsieur, met son point d’honneur à défendre des êtres faibles comme nous. Il est tout à fait incapable de les maltraiter. À mon tour, monsieur, est-ce vrai? Vous ai-je bien jugé?

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