Et avant que le capitaine fût revenu de la stupeur que lui causait cet étrange avertissement, il repoussa la porte.
Le capitaine demeura un moment rêveur devant cette porte fermée et hochant la tête, il murmura:
– C’est un brave!… C’est aussi un galant homme, mordieu!… C’est dommage!
Et, très froid, impassible, il se tourna vers ses hommes et fit un signe.
La poutre fut reprise… Au troisième coup asséné au centre de la porte, elle vola en éclats. Les soldats voulurent se ruer.
– Un instant, dit froidement le capitaine en leur barrant le passage, on risque sa peau, paraît-il, à entrer là-dedans!… J’entre seul!…
Et il pénétra seul dans le caveau.
Il n’y avait plus personne.
– Ah! ah! songea-t-il, je comprends!… il y a une issue souterraine par où ils se sont défilés!…
Comme il n’oubliait pas l’avertissement qui venait de lui être donné, il chercha des yeux autour de lui. Il vit le couvercle qui bouchait l’entrée du souterrain, il vit la planche et le coffre qui abritait les tonneaux de poudre. Tout cela, il le vit en un temps inférieur au dixième de seconde. Il se dit:
– Je gage qu’il y a un trou sous ces planches… C’est par là qu’ils ont dû fuir.
Il fit un mouvement dans cette direction. À ce moment, une pierre se détacha de la voûte et tomba avec fracas. C’étaient les hommes de Concini qui avaient fini par percer cette voûte. Un cri se fit entendre.
– Ils sont là!… cachés sous un coffre!…
Ceci acheva la seconde… La pierre, en tombant, avait déplacé la planche qui allait du trou au coffre. Le capitaine vit comme un serpent de feu qui filait rapidement, en crépitant, allant vers le coffre.
Il comprit alors. Il fit un bond prodigieux en arrière en hurlant:
– La poudre!…
Malheureusement, quatre ou cinq soldats avaient eu la curiosité de le suivre et se tenaient devant la porte. Il se heurta à cet obstacle vivant.
Au même instant, le coffre était soulevé, éventré, projeté avec une inconcevable violence, une gerbe de feu jaillit, s’élança jusqu’à la voûte… une détonation formidable se fit entendre… la voûte fut déchirée, éventrée, les murs tremblèrent.
Et puis, une colonne de feu s’élança haut dans le ciel… l’ascension vertigineuse de corps humains, de poutres, de pierres… et la pluie sinistre, horrible: pluie de sang, de pierres, de membres tordus, déchirés, calcinés…
Et une rumeur terrible… une fuite panique… cris de douleur… hurlements de terreur.
Trente secondes à peine s’étaient écoulées depuis que la porte avait été jetée bas.
Du capitaine, des quatre ou cinq soldats qui l’avaient suivi, malgré sa défense, des dix-sept estafiers de Concini massés sur la plate-forme, il ne restait que quatre ou cinq malheureux, épargnés par suite d’on ne sait quel miracle et à demi fous d’épouvante… Le reste, ce qui avait été des hommes jeunes, forts et vigoureux, s’était changé en une quantité de petits tas sanglants, n’ayant plus forme humaine, disséminés un peu partout… Dans l’enceinte de l’abbaye et jusqu’au bas de la montagne, on devait ramasser des membres épars…
Maintenant, le feu achevait de consumer ce qui avait été le gibet des Dames… Bientôt, il ne restait plus que les quatre murs, noircis, branlants, ne se maintenant debout que par un prodige d’équilibre… Et de ces quatre murs, pareils à quelque hideuse et monstrueuse chaudière où achevaient de se calciner des ossements humains, une fumée épaisse, noire, âcre, chargée de relents nauséabonds de chairs grillées, s’élevait lentement, en volutes capricieuses, sous le soleil clair et radieux.
Saêtta était resté à rôder sur la montagne. Il voulait voir ce qui se passerait. Il était hanté de sombres pressentiments. C’est que rien de ce qu’il entreprenait contre le fils de Pardaillan ne lui réussissait. Superstitieux comme il était, il en venait à se demander si quelque puissance occulte ne le protégeait pas, et si ce n’était pas lui-même et sa vengeance qui étaient maudits.
Il avait donc, caché derrière une haie, assisté à la bataille, et en voyant la vigoureuse défense du jeune homme, il avait écumé.
– Sang du Christ! grognait-il furieusement, ils ne l’auront pas! Je ne le croyais pas si fort tout de même!
Il n’avait commencé à se remonter que lorsqu’il avait vu que Jehan était enfermé dans le gibet.
– Cette fois, je crois qu’il est pris! se dit-il dans un accès de joie délirante.
Mais alors, une autre inquiétude lui était venue.
– Ils vont me le tuer! Ils ne le prendront pas vivant! O Christ maudit! tu es donc contre moi? Avoir attendu vingt ans pour aboutir à cela! Enfer et damnation!
Puis, ç’avait été l’explosion finale, le gibet croulant, incendié. Saêtta était demeuré atterré. Deux larmes brûlantes, larmes de rage, étaient tombées sur sa joue tannée. Il pleurait la faillite de sa vengeance.
Il était sorti de son coin. Les paysans du village de Montmartre, qui s’étaient prudemment tenus enfermés tant que la bataille durait, étaient accourus en foule après l’explosion. Les soldats avaient transporté les blessés dans les masures les plus proches; naturellement, les habitants avaient appris que tout était fini. Ils pouvaient maintenant se montrer sans crainte de recevoir un mauvais coup. Ils s’empressaient d’accourir voir.
Saêtta s’était mêlé à la foule. Il s’était approché, autant qu’il avait pu. Du gibet, il ne restait plus que la carcasse et un monceau de décombres. Jehan le Brave et ses trois compagnons avaient péri, victimes de leur résistance désespérée. Leurs corps hachés, déchiquetés, réduits en bouillie, étaient peut-être parmi ces tas innommables qu’on ramassait pieusement, aux quatre coins de la place.
Devant l’irréparable, il lui fallut bien se résigner. Il essaya de se consoler en disant:
– Bah! je voulais le faire périr sur l’échafaud… il sera mort dessous, voilà tout!
Le jour commençait à tomber lorsqu’il se décida à rentrer en ville. Il partit d’un pas rude, furieux. Malgré qu’il s’efforçât de se remonter, le coup qu’il venait de recevoir était trop dur. Il ne pouvait l’accepter aussi facilement. En descendant les pentes de la montagne, il grommelait:
– Malheur à qui me regardera de travers en ce moment!… J’ai une envie furieuse de tuer!… Une affaire serait la bienvenue… une bonne bataille… un bon duel… voilà qui me calmerait un peu… et me soulagerait.
Malheureusement, ou heureusement, il ne rencontrait que soldats ou paysans occupés aux funèbres recherches. Ceux-là ne le regardaient même pas. En sorte que l’affaire qu’il souhaitait pour calmer ses nerfs exaspérés ne se présentait pas.
Il était arrivé à la croix, au bas côté. Il tourna à droite, dans la direction du château des Porcherons. Il venait de dépasser la porte de Perrette la Jolie, lorsque cette porte s’ouvrit.
Pardaillan parut sur la route. En attendant que la porte fût soigneusement verrouillée et cadenassée, il demeura sur le seuil. Et, par vieille habitude de routier qui ne s’aventure pas sans étudier le terrain, il jeta un coup d’œil à droite et à gauche. Il aperçut Saêtta, qui s’éloignait d’un pas allongé.
– Pardieu! se dit-il, je voulais obliger ce sacripant à s’expliquer un peu, voici l’occasion, ce me semble.
Il rattrapa Saêtta en quelques enjambées, et d’un ton narquois, il lui cria:
– Eh, signor Guido Lupini, ne courez donc pas si vite!
À ce nom si brusquement jeté et auquel il était à mille lieues de s’attendre, Saêtta se retourna tout d’une pièce, et la moustache hérissée, l’œil fulgurant, il gronda:
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