— Et si les gardiens du Labyrinthe s’y opposaient ? demanda Kalipsos.
— Ils deviendraient des rebelles, dans ce cas ; or, tu connais la loi … répondit en souriant Ramsès.
— Toi, Tutmosis, poursuivit-il, tu enverras trois régiments à Memphis. Tu les placeras aux alentours des temples de Ptah, d’Isis et de Horus. Si le peuple voulait attaquer ces temples, faites-vous en ouvrir les portes, et occupez-les, afin d’empêcher la populace de profaner les lieux saints et de violenter les prêtres …
— Et si on nous oppose de la résistance demanda Tutmosis.
— Seuls des traîtres oseraient tenir tête au pharaon ! trancha Ramsès. Maintenant, retenez bien ceci : les temples et le Labyrinthe doivent être occupés le 23 septembre. Le peuple, tant à Memphis qu’en province, peut donc s’agiter dès le 18 … D’abord modérément, puis de plus en plus fort et de plus en plus nombreux … Ainsi donc, si dès le 20 une certaine effervescence se manifestait, laissez faire … Mais l’attaque des temples par la populace ne doit se produire que le 22 et le 23 ! Et, dès que mes troupes auront occupé les sanctuaires, le calme doit revenir !
— Ne serait-il pas plus facile d’arrêter dès maintenant Herhor et Méfrès ? demanda Tutmosis.
— Pourquoi ? C’est le Labyrinthe qui m’intéresse, et les temples … Pas eux. Or l’armée ne sera à pied d’œuvre que le 22 septembre … D’ailleurs Hiram, qui s’est emparé des lettres que Herhor adressait aux Assyriens, ne sera de retour à Memphis que vers le 20. Ce n’est donc qu’à cette date-là que nous aurons les preuves de la trahison des prêtres. Nous pourrons alors les rendre publiques !
— Dois-je partir immédiatement vers le Sud ? demanda Kalipsos.
— Non. Tu resteras ici, ainsi que Tutmosis. J’ai besoin de troupes de réserve au cas où les prêtres réussiraient à s’attacher une partie du peuple …
— Et tu ne redoutes pas la trahison, seigneur ? demanda à son tour Tutmosis, vaguement inquiet.
Le pharaon haussa les épaules.
— Je n’ai plus rien à craindre, dit-il. J’ai devancé mes ennemis dans le rassemblement des forces ; ils sont donc déjà en état d’infériorité. Ce n’est pas en quelques jours qu’ils formeront des régiments !
— Et leurs miracles ?
— Il n’y a pas de miracle qui résulte à l’épée ! s’exclama en riant Ramsès.
Sur un signe du maître, les dignitaires se retirèrent, et Tutmosis demeura seul avec le pharaon. À ce moment, le favori ouvrit une porte secrète cachée dans le mur du cabinet et fit entrer le prêtre Samentou. Le pharaon l’accueillit avec joie et lui donna sa main à baiser.
— La paix soit avec toi, fidèle serviteur, lui dit-il. Qu’as-tu de nouveau à m’apprendre ?
— Je suis allé deux fois au Labyrinthe, ces jours derniers, répondit Samentou.
— Et tu connais déjà le chemin ?
— Je le connaissais depuis longtemps, mais je viens de découvrir quelque chose que j’ignorais : le trésor peut disparaître, tuant ses gardiens et détruisant ce qu’il contient !
Ramsès fronça les sourcils.
— C’est pourquoi, poursuivit le prêtre de Sem, veuille avoir sous la main quelques hommes sûrs. Je pénétrerai dans le Labyrinthe avec eux, la nuit qui précédera l’attaque, et j’occuperai les pièces voisines de la chambre du trésor ; surtout celles du dessus … Avant cela, je me rendrai une fois encore seul, au Labyrinthe, et peut-être réussirai-je à empêcher la destruction du trésor sans l’aide de personne.
— Ne crains-tu pas d’être suivi ? demanda Ramsès.
— Il faudrait un miracle pour me surprendre ; d’ailleurs, l’aveuglement des gardiens est enfantin ! Ils savent que quelqu’un cherche à s’introduire dans le sanctuaire, mais ils ne renforcent la garde qu’aux entrées visibles. Or, j’en ai découvert trois autres, qu’ils ignorent ou qu’ils ont oubliées ! Il faudrait qu’un esprit leur indique où je me trouve, pour me découvrir dans une des trois mille pièces du Labyrinthe !
— Samentou a raison, intervint Tutmosis. Nous surestimons la vigilance des prêtres.
— Ne dis pas cela, répliqua Samentou. Leurs forces sont limitées, mais leurs ruses dépassent tout ce que tu peux imaginer ! Ils emploieront peut-être contre nous des armes que tu ne soupçonnes pas, et qui t’étonneront ; leurs temples sont pleins de secrets qui troublent même les savants et terrorisent la populace.
— Parle-nous-en ! demanda le pharaon.
— Je suis certain que nos soldats se heurteront à des murs de feu, que des mains invisibles leur lanceront des pierres, qu’ils entendront gronder le tonnerre …
— Nous aurons nos javelots et nos haches ! s’écria Tutmosis. Seul un mauvais soldat recule devant des fantômes !
— Tu as raison ! approuva Samentou. Si vous marchez courageusement de l’avant, les flammes ne brûleront plus et les pierres cesseront de pleuvoir ! Et maintenant, seigneur — il s’adressa à Ramsès — un dernier mot : si je venais à périr …
— Ne parle pas de malheur ! interrompit vivement le pharaon.
— Si je venais à périr, continua Samentou avec un sourire triste, un jeune prêtre viendra t’apporter ma bague. À ce moment-là, que l’armée occupe au plus vite le Labyrinthe et chasse les gardiens, puis qu’elle ne quitte pas le sanctuaire. Ce jeune prêtre qui t’aura apporté la bague viendra quelques jours plus tard te donner le plan du chemin qui mène au trésor. Avec les indications que je lui aurai laissées, il ne manquera pas de découvrir le chemin exact en quelques jours ou, tout au plus, quelques semaines. Mais, surtout, seigneur, je t’en supplie, si ta vaincs, venge-moi ! Surtout, ne pardonne ni à Méfrès ni à Herhor ! Tu ne peux imaginer quels terribles ennemis tu as en eux ; s’ils venaient à te vaincre, tu périrais, et avec toi ta dynastie !..
— Un vainqueur ne se doit-il pas d’être magnanime ? demanda Ramsès.
— Aucune pitié pour eux ! s’exclama Samentou. Aussi longtemps qu’ils vivront, tu seras menacé de mort, de déshonneur ; ton cadavre même ne sera pas respecté ! On peut apaiser un lion, acheter un Phénicien, s’attacher un Libyen ou un Éthiopien ; on peut à la rigueur susciter la pitié chez un prêtre chaldéen … Mais un prêtre égyptien qui a goûté au pouvoir et à l’argent est impitoyable !.. Oui, seule leur mort ou la tienne apportera la solution du conflit qui vous oppose ! Ne l’oublie jamais !
Vers le 12 septembre, des événements inquiétants se produisirent dans divers temples du pays : au sanctuaire de Horus, l’autel s’était renversé, et au temple d’Isis, la statue de la déesse avait pleuré. Au temple d’Amon, à Thèbes, les présages étaient mauvais, et les prêtres en déduisaient que des malheurs imminents allaient s’abattre sur l’Égypte. C’est pourquoi, Herhor et Méfrès ordonnèrent que des processions parcourent la ville et que des prières publiques soient dites. Mais le peuple, qui s’agitait de plus en plus, attaqua les processions, lapida les statues sacrées, et les prêtres durent se réfugier dans leurs temples. La police, quant à elle, s’abstenait d’intervenir.
Le 13 septembre au soir, se réunirent au temple de Ptah : Herhor, Mentésuphis, Méfrès, le grand juge de Thèbes et trois gouverneurs de province gagnés à la cause du clergé.
— La menace se précise, s’écria le grand juge. Je sais en toute certitude que le pharaon veut lancer le peuple contre les temples !
— Quant à moi, j’ai appris que Nitager avait reçu l’ordre de marcher sur Memphis ! ajouta le gouverneur de Sébès. Comme s’il n’y avait pas déjà assez de soldats ici !..
— Toutes les communications entre la Basse et la Haute-Égypte sont coupées depuis hier ! ajouta le gouverneur d’Aa. L’armée occupe les routes, et les galères de Sa Sainteté fouillent toutes les embarcations qui passent sur le Nil !..
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