Il y eut un intervalle d'une heure environ entre l'arrivée du pape à Notre-Dame et celle de Leurs Majestés. Leur départ des Tuileries se fit à onze heures précises et fut annoncé par de nombreuses salves d'artillerie. Leurs Majestés étaient dans une voiture toute éclatante d'or et de peintures précieuses, traînée par huit chevaux de couleur isabelle, caparaçonnés avec une richesse extraordinaire. Sur l'impériale on voyait une couronne soutenue par quatre aigles, les ailes déployées. Les panneaux de cette voiture, objet de l'admiration universelle, étaient en glace, au lieu d'être en bois, de sorte que le fond ressemblait beaucoup au devant. Cette similitude fut cause que Leurs Majestés, en montant, se trompèrent de côté et s'assirent sur le devant; ce fut l'impératrice qui d'abord s'aperçut de cette méprise, dont elle rit beaucoup, ainsi que son époux.
Je n'entreprendrai point la description du cortége, quoique les souvenirs que j'en ai gardés soient encore complets et récens; mais j'aurais trop de choses à dire. Qu'on se figure dix mille hommes de cavalerie d'une superbe tenue, défilant entre deux haies d'infanterie aussi brillante, occupant chacune en longueur un espace de près d'une demi-lieue. Que l'on songe au nombre des équipages, à leur richesse, à la beauté des attelages et des uniformes, à cette multitude de musiciens jouant les marches du sacre au bruit des cloches et du canon; qu'on ajoute l'effet produit par le concours de quatre à cinq cent mille spectateurs; et l'on sera bien loin encore d'avoir une juste idée de cette étonnante magnificence.
Au mois de décembre, il est rare que le temps soit bien beau: ce jour-là pourtant, le ciel sembla favoriser l'empereur: au moment de son entrée à l'archevêché, un brouillard assez épais, qui avait duré toute la matinée, se dissipa, et permit au soleil d'ajouter l'éclat de ses rayons à la splendeur du cortége. Cette circonstance singulière fut remarquée par les spectateurs et augmenta l'enthousiasme.
Toutes les rues par lesquelles passa le cortége étaient soigneusement nettoyées et sablées; les habitans avaient décoré la façade de leurs maisons, selon leur goût et leurs moyens, en draperies, en tapisseries, en papier peint, quelques-uns avec des guirlandes de feuilles d'if. Presque toutes les boutiques du quai des Orfèvres étaient garnies de festons en fleurs artificielles.
La cérémonie religieuse dura près de quatre heures, et dut être on ne peut plus fatigante pour les principaux acteurs; le service de la chambre fut obligé de se tenir constamment dans l'appartement préparé pour l'empereur à l'archevêché. Pourtant les curieux (et nous l'étions tous) se détachaient de temps en temps, et purent ainsi voir à loisir la cérémonie.
Je n'ai peut-être jamais entendu d'aussi belle musique; elle était de la composition de MM. Paësiello, Rose et Lesueur, maîtres de chapelle de Leurs Majestés; l'orchestre et les chœurs offraient une réunion des premiers talens de Paris. Deux orchestres à quatre chœurs, composés de plus de trois cents musiciens, étaient dirigés, l'un par M. Persuis, l'autre par M. Rey, tous deux chefs de la musique de l'empereur. M. Laïs, premier chanteur de Sa Majesté, M. Kreutzer et M. Baillot, premiers violons du même titre, s'étaient adjoint tout ce que la chapelle impériale, tout ce que l'opéra et les grands théâtres lyriques possédaient de talens supérieurs en instrumentistes aussi bien qu'en chanteurs et chanteuses. La musique militaire était innombrable, et sous les ordres de M. Lesueur; elle exécutait des marches héroïques, dont une, commandée par l'empereur à M. Lesueur pour l'armée de Boulogne, est encore aujourd'hui, au jugement des connaisseurs, digne de figurer au premier rang des plus belles et des plus imposantes compositions musicales. Quant à moi, cette musique me rendait pâle et tremblant; je frissonnais par tout le corps en l'écoutant.
Sa Majesté ne voulut point que le pape mît la main à sa couronne; il la plaça lui-même sur sa tête. C'était un diadème de feuilles de chêne et de laurier en or. Sa Majesté prit ensuite la couronne destinée à l'impératrice, et, après s'en être couvert quelques instans, la posa sur le front de son auguste épouse, à genoux devant lui. Elle versait des larmes d'émotion, et, en se relevant, elle fixa sur l'empereur un regard de tendresse et de reconnaissance; l'empereur le lui rendit, mais sans rien perdre de la gravité qu'exigeait une si imposante cérémonie devant tant de témoins; et malgré cette gêne, leurs cœurs se comprirent au milieu de cette brillante et bruyante assemblée. Certainement l'idée du divorce n'était point alors dans la tête de l'empereur, et, pour ma part, je suis sûr que jamais cette cruelle séparation n'aurait eu lieu, si Sa Majesté l'impératrice eût pu avoir encore des enfans; ou même seulement sa le jeune Napoléon, fils du roi de Hollande et de la reine Hortense, ne fût pas mort dans le temps où l'empereur songeait à l'adopter. Cependant je dois avouer que la crainte ou pour mieux dire la certitude de n'avoir point de Joséphine un héritier de son trône, mettait l'empereur au désespoir; et souvent je l'ai entendu s'interrompre subitement au milieu de son travail, et s'écrier avec chagrin: «À qui laisserai-je tout cela?»
Après la messe, Son Excellence le cardinal Fesch, grand-aumônier de France, porta le livre des évangiles à l'empereur, qui, du haut de son trône, prononça le serment impérial d'une voix si ferme et si distincte que tous les assistans l'entendirent. C'est alors que, pour la vingtième fois peut-être, le cri de vive l'empereur ! sortit de toutes les bouches; on chanta le Te Deum , et Leurs Majestés sortirent de l'église avec le même appareil qu'elles y étaient entrées. Le pape resta dans l'église un quart d'heure environ après les souverains, et lorsqu'il se leva pour se retirer, des acclamations universelles le saluèrent depuis le chœur jusqu'au portail.
Leurs Majestés ne rentrèrent au château qu'à six heures et demie, et le pape à près de sept heures. Pour entrer à l'église. Leurs Majesté passèrent comme je l'ai dit, par l'archevêché, dont les bâtimens communiquaient avec Notre-Dame au moyen d'une galerie en charpente. Cette galerie couverte en ardoises et tendue de tapisseries superbes, aboutissait à un portail, aussi en charpente, établi devant la principale entrée de l'église, et d'un style en harmonie parfaite avec l'architecture gothique de cette belle métropole. Ce portail volant reposait sur quatre colonnes décorées d'inscriptions en lettres d'or qui représentaient les noms des trente-six principales villes de France, dont les maires avaient été députés au couronnement. Sur le haut de ces colonnes étaient peints en relief Clovis et Charlemagne assis sur leur trône, le sceptre à la main. Au centre du frontispice étaient figurées les armes de l'empire ombragées par les drapeaux des seize cohortes de la Légion-d'Honneur. Aux deux côtés on voyait deux tourelles surmontées d'aigles en or. Le dessous de ce portique, ainsi que de la galerie, était façonné en voûte, peint en bleu de ciel, et semé d'étoiles.
Le trône de Leurs Majestés était élevé sur une estrade demi-circulaire, couverte d'un tapis bleu parsemé d'abeilles. On y montait par vingt-deux degrés. Ce trône, drapé en velours rouge était surmonté d'un pavillon aussi en velours rouge, dont les ailes ombrageaient, à gauche, l'impératrice les princesses et leurs dames d'honneur; à droite, les deux frères de l'empereur, l'archi-chancelier et l'archi-trésorier.
Rien de plus magnifique que le coup d'œil du jardin des Tuileries, le soir de cette belle journée. Le grand parterre entouré de portiques en lampions, de chaque arcade desquelles descendait une guirlande en verres de couleur; la grande allée décorée de colonnades surmontées d'étoiles; sur les terrasses, des orangers de feu; chaque arbre des autres allées éclairé par des lampions; enfin, pour couronner l'illumination, une immense étoile suspendue sur la place de la Concorde, dominant tous les autres feux. C'était un palais de feu.
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