— Oh ! Rémi !
Et il n’en put pas dire davantage tant il était ému.
En parlant ainsi et en marchant toujours à grands pas, nous étions arrivés au haut de la colline où commence la côte qui par plusieurs lacets conduit à Chavanon, en passant devant la maison de mère Barberin.
Encore quelques pas, et nous touchions à l’endroit où j’avais demandé à Vitalis la permission de m’asseoir sur le parapet pour regarder la maison de mère Barberin, que je pensais ne jamais revoir.
— Prends la longe, dis-je à Mattia.
Et d’un bond je sautai sur le parapet ; rien n’avait changé dans notre vallée ; elle avait toujours le même aspect ; entre ses deux bouquets d’arbres, j’aperçus le toit de la maison de mère Barberin.
— Qu’as-tu donc ? demanda Mattia.
— Là, là.
Il vint près de moi, mais sans monter sur le parapet dont notre vache se mit à brouter l’herbe.
— Suis ma main, lui dis-je ; voilà la maison de mère Barberin, voilà mon poirier, là était mon jardin.
Mattia, qui ne regardait pas avec ses souvenirs comme moi, ne voyait pas grand’chose, mais il n’en disait rien.
À ce moment, un petit flocon de fumée jaune s’éleva au-dessus de la cheminée, et, comme le vent ne soufflait pas, elle monta droit dans l’air le long du flanc de la colline.
— Mère Barberin est chez elle, dis-je.
Une légère brise passa dans les arbres, et, abattant la colonne de fumée, elle nous la jeta dans le visage : cette fumée sentait les feuilles de chêne.
Alors tout à coup je sentis les larmes m’emplir les yeux et, sautant à bas du parapet, j’embrassai Mattia. Capi se jeta sur moi, et, le prenant dans mes bras, je l’embrassai aussi.
— Descendons vite, dis-je.
— Si mère Barberin est chez elle, comment allons-nous arranger notre surprise ? demanda Mattia.
— Tu vas entrer seul, tu diras que tu lui amènes une vache de la part du prince, et quand elle te demandera de quel prince il s’agit, je paraîtrai.
— Quel malheur que nous ne puissions pas faire une entrée en musique : voilà qui serait joli !
— Mattia, pas de bêtises.
— Sois tranquille, je n’ai pas envie de recommencer, mais c’est égal, si cette sauvage-là aimait la musique, une fanfare aurait été joliment en situation.
Comme nous arrivions à l’un des coudes de la route qui se trouvait juste au-dessus de la maison de mère Barberin, nous vîmes une coiffe blanche apparaître dans la cour : c’était mère Barberin, elle ouvrit la barrière et sortant sur la route, elle se dirigea du côté du village.
Nous étions arrêtés et je l’avais montrée à Mattia.
— Elle s’en va, dit-il, et notre surprise ?
— Nous allons en inventer une autre.
— Laquelle ?
— Je ne sais pas.
— Si tu l’appelais ?
La tentation fut vive, cependant j’y résistai ; je m’étais pendant plusieurs mois fait la fête d’une surprise, je ne pouvais pas y renoncer ainsi tout à coup.
Nous ne tardâmes pas à arriver devant la barrière de mon ancienne maison, et nous entrâmes comme j’entrais autrefois.
Connaissant bien les habitudes de mère Barberin, je savais que la porte ne serait fermée qu’à la clenche et que nous pourrions entrer dans la maison ; mais avant tout il fallait mettre notre vache à l’étable. J’allai donc voir dans quel état était cette étable, et je la trouvai telle qu’elle était autrefois, encombrée seulement de fagots. J’appelai Mattia et après avoir attaché notre vache devant l’auge, nous nous occupâmes à entasser vivement ces fagots dans un coin, ce qui ne fut pas long, car elle n’était pas bien abondante la provision de bois de mère Barberin.
— Maintenant, dis-je à Mattia, nous allons entrer dans la maison, je m’installerai au coin du feu pour que mère Barberin me trouve là ; comme la barrière grincera lorsqu’elle la poussera pour rentrer, tu auras le temps de te cacher derrière le lit avec Capi, et elle ne verra que moi ; crois-tu qu’elle sera surprise !
Les choses s’arrangèrent ainsi. Nous entrâmes dans la maison, et j’allai m’asseoir dans la cheminée, à la place où j’avais passé tant de soirées d’hiver. Comme je ne pouvais pas couper mes longs cheveux, je les cachai sous le col de ma veste, et, me pelotonnant je me fis tout petit pour ressembler autant que possible au Rémi, au petit Rémi de mère Barberin.
De ma place je voyais la barrière, et il n’y avait pas à craindre que mère Barberin nous arrivât sur ledos à l’improviste.
Ainsi installé, je pus regarder autour de moi. Il me sembla que j’avais quitté la maison la veille seulement : rien n’était changé, tout était à la même place, et le papier avec lequel un carreau cassé par moi avait été raccommodé n’avait pas été remplacé, bien que terriblement enfumé et jauni.
Si j’avais osé quitter ma place j’aurais eu plaisir à voir de près chaque objet, mais comme mère Barberin pouvait survenir d’un moment à l’autre, il me fallait rester en observation.
Tout à coup j’aperçus une coiffe blanche, en même temps la hart qui soutenait la barrière craqua.
— Cache-toi vite, dis-je à Mattia.
Je me fis de plus en plus petit.
La porte s’ouvrit : du seuil mère Barberin m’a perçut.
— Qui est-là ? dit-elle.
Je la regardai sans répondre, et de son côté elle me regarda aussi.
Tout à coup ses mains furent agitées par un tremblement :
— Mon Dieu, murmura-t-elle, mon Dieu, est-ce possible, Rémi !
Je me levai et courant à elle, je la pris dans mes bras.
— Maman !
— Mon garçon, c’est mon garçon !
Il nous fallut plusieurs minutes pour nous remettre et pour nous essuyer les yeux.
— Bien sûr, dit-elle, que si je n’avais pas toujours pensé à toi je ne t’aurais pas reconnu ; es-tu changé, grandi, forci !
Un reniflement étouffé me rappela que Mattia était caché derrière le lit, je l’appelai ; il se releva.
— Celui-là c’est Mattia, dis-je, mon frère.
— Ah ! tu as donc retrouvé tes parents ? s’écria mère Barberin.
— Non, je veux dire que c’est mon camarade, mon ami, et voilà Capi, mon camarade aussi et mon ami ; salue la mère de ton maître, Capi !
Capi se dressa sur ses deux pattes de derrière et ayant mis une de ses pattes de devant sur son cœur il s’inclina gravement, ce qui fit beaucoup rire mère Barberin et sécha ses larmes.
Mattia, qui n’avait pas les mêmes raisons que moi pour s’oublier, me fit un signe pour me rappeler notre surprise.
— Si tu voulais, dis-je à mère Barberin, nous irions un peu dans la cour ; c’est pour voir le poirier crochu dont j’ai souvent parlé à Mattia.
— Nous pouvons aussi aller voir ton jardin, car je l’ai gardé tel que tu l’avais arrangé, pour que tu le retrouves quand tu reviendrais, car j’ai toujours cru et contre tous que tu reviendrais.
— Et les topinambours que j’avais plantés, les as-tu trouvés bons ?
— C’était donc toi qui m’avait fait cette surprise, je m’en suis doutée : tu as toujours aimé à faire des surprises.
Le moment était venu.
— Et l’étable à vache, dis-je, a-t-elle changé depuis le départ de la pauvre Roussette, qui était comme moi et qui ne voulait pas s’en aller ?
— Non, bien sûr, j’y mets mes fagots.
Comme nous étions justement devant l’étable mère Barberin en poussa la porte, et instantanément notre vache, qui avait faim, et qui croyait sans doute qu’on lui apportait à manger, se mit à meugler.
— Une vache, une vache dans l’étable ! s’écria mère Barberin.
Alors n’y tenant plus, Mattia et moi, nous éclatâmes de rire.
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