Жорж Санд - La Daniella, Vol. II

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– Eh bien, cela ne sera pas nécessaire, pensai-je; la chose impossible pour moi, c'est d'ignorer dans quelle situation est Daniella. À tout risque, j'irai à Taverna dès que la nuit sera sombre. Je viendrai à bout de la voir; je lui laisserai tout ce que je possède, à l'exception de ce qu'il me faut pour fuir, et je fuirai. J'irai l'attendre hors des États de l'Église, pour l'épouser et l'emmener en France.

Je commençai donc par m'assurer de la solidité de ma canne à tête de plomb, car j'étais résolu à me défendre en cas de surprise. Je mis mon argent sur moi, dans une ceinture ad hoc . Je fis un petit paquet du linge le plus strictement nécessaire, et de l'album qui contient ce récit. Je pris en guise de passeport, au besoin, divers papiers pouvant constater mon identité auprès des autorités françaises. Je m'enveloppai de mon caban qui est presque à l'épreuve de la balle, et, résolu à braver toutes choses, je me dirigeai vers la porte de mon appartement qui communique avec l'intérieur du palais.

Mais au moment où je posais la main sur la serrure, on frappait à cette porte. Je m'arrêtai indécis.

– Si l'on vient me prendre, pensai-je, je sais le moyen de fuir, au moins de cette chambre.

Et je me hâtai de sortir par l'autre porte et d'attacher à un balustre de la petite terrasse, la corde à noeuds que j'ai faite avec celle qui liait ma malle, et qui peut, avec quelques chances de succès, me faire descendre jusqu'au terrazzone . Je me hâtais, pensant que l'on allait enfoncer la porte; mais on se contentait de frapper doucement et discrètement. J'entendis même, en revenant au seuil de ma chambre, la voix piteuse de Tartaglia qui me disait:

– Eh! mossiou ! c'est votre dîner qui va se refroidir . Ne vous méfiez donc pas de moi!

Ce pouvait être un piège, mais la crainte du ridicule l'emporta sur ma prudence. Si Tartaglia ne me trahissait pas, mes précautions étaient absurdes; s'il venait avec des estafiers, il y avait autant de chances de salut à me frayer résolument un passage au milieu d'eux à coups de casse-tête, qu'à me risquer le long de la corde, exposé au feu de quelque ennemi caché sous ma terrasse.

J'ouvris donc, l'arme au point, et ne pus m'empêcher d'avoir envie de rire en voyant Tartaglia assis par terre devant la porte, avec un plat couvert entre ses jambes, et attendant avec résignation mon bon plaisir.

– Je vois bien ce que c'est, dit-il en entrant courtoisement, sans oublier de jeter sous son bras son béret crasseux; vous croyez que je suis un coquin? Allons, allons, vous en reviendrez sur mon compte, mossiou l'ingrat ! Voilà du macaroni que j'ai préparé dans votre cuisine, car je connais les êtres de longue date, et je me pique de vous faire mieux dîner que jamais n'aurait su l'imaginer la Daniella. La pauvre fille! elle n'a jamais eu le moindre goût pour la cuisine, tandis que moi, mossiou , j'ai le génie du vrai cuisinier, qui consiste à faire de rien quelque chose et à trouver le moyen de bien nourrir ses maîtres au milieu d'un désert.

Le plat fumant qu'il posait sur la table donnait un tel démenti à mes suppositions, que je me trouvai tout honteux. Certes, depuis une heure qu'il était au coeur de ma forteresse, il aurait eu mieux à faire, s'il eût voulu me livrer à mes ennemis, que de s'occuper à me préparer un macaroni au parmesan.

Je suis sobre comme un Bédouin; je vivrais de dattes et d'une once de farine, et, depuis huit jours, je me nourris de pain, de viandes froides et de fruits secs, ne voulant pas souffrir que Daniella perde, à me faire des ragoûts et des soupes, le temps qu'elle peut passer à mes côtés. Pourtant la jeunesse a des instincts de voracité toujours prêts à se réveiller, et l'air vif de Mondragone aiguise terriblement l'appétit. Je ne saurais donc affirmer que, malgré mon chagrin, mes agitations et mes dangers, la vue et l'odeur de ce macaroni brûlant me fussent précisément désagréables.

– Mangez, disait Tartaglia, et ne craignez rien. La Daniella ne mourra pas pour une entorse. Quand je l'ai laissée, elle ne souffrait déjà plus que du chagrin d'être séparée de vous. La première chose qu'elle me demandera quand je la verrai, ce soir, c'est si vous avez consenti à dîner, à ne pas vous désoler et à prendre en patience son mal et votre ennui.

– Ah! mon ennui, qu'importe? Mais son mal! Et ce frère qui la menace!

Est-ce vrai, tout ce que tu m'as dit?

– C'est vrai, Excellence, vrai comme voilà un bon macaroni; mais les menaces de l'ivrogne Masolino, la Daniella y est habituée et s'en moque. Il a beau se douter de quelque chose, il ne sait rien, il ne peut rien savoir. Et, d'ailleurs, s'il voulait maltraiter la pauvrette, les gens de la villa Taverna ne le souffriraient pas. Il a beau rôder dans le parc, s'il ne vous rencontre pas, il ne peut rien prouver contre elle.

– Prouver! elle serait donc impliquée dans mes contrariantes affaires, si l'on supposait qu'elle a des rapports d'amitié avec moi?

– Eh! mais oui, Excellence. Vous faites partie d'une société secrète…

– Cela est faux.

– Je le sais bien! mais on le croit; et Daniella, si son frère la dénonçait, comme votre complice, au provincial des dominicains, ou seulement un curé de sa paroisse, comme mauvaise chrétienne, amoureuse d'un hérétique et d'un iconoclaste , pourrait bien aussi tâter de la prison.

– Ah! ciel! je serai prudent, je me soumets! mais ne me trompes-tu pas?

– Eh pourquoi vous tromperais-je, vous que je voudrais conserver comme la prunelle de mes yeux pour de meilleures destinées?

Je m'étais assis et me laissais servir par lui, lorsqu'au milieu de ses protestations de dévouement, j'entendis secouer à ma fenêtre le petit grelot de la chèvre, dont nous avons fait une espèce de sonnette, Daniella et moi, au moyen d'un système de ficelles qui longent le mur du parterre.

– Tiens! m'écriai-je en me relevant, tu es un indigne coquin! Tu as menti, grâce au ciel! Voilà la Daniella!

– Eh! non, mossiou ! dit-il en se disposant à aller ouvrir; c'est l'Olivia, ou bien c'est la Mariuccia qui vient vous donner des nouvelles de sa nièce.

J'étais si impatient d'en recevoir de vraies que, sans m'inquiéter davantage de Tartaglia, je m'élançai, je franchis comme une flèche la longueur du parterre, et ouvris la porte du dehors sans aucune précaution. Ce n'était ni Mariuccia ni Olivia, mais bien le frère Cyprien, qui se glissa rapidement par la fente de la porte avant que j'eusse eu le temps de l'ouvrir toute grande et qui la repoussa derrière lui en me faisant signe de tirer les gros verrous.

– Silence! me dit-il à voix basse; j'ai pu être suivi malgré mes précautions!

Nous avançâmes dans le parterre, et il me parla d'une manière assez embrouillée: c'est sa manière. Ce que je compris clairement, c'est que le jardin était occupé, non pas ostensiblement, mais très-certainement par des gens de la police, et que le capucin courait des risques en venant me voir.

– Allons chez vous, dit-il; je vous parlerai plus librement. Quand il fut seul avec moi dans le casino, il me confirma le récit de Tartaglia. L'entorse de Daniella n'avait rien d'inquiétant, mais exigeait le plus complet repos. Son frère, installé chez les fermiers de la villa Taverna, avait l'oeil sur la porte et sur les fenêtres de sa chambre. Je devais renoncer à la voir jusqu'à nouvel ordre. Elle exigeait de nouveau ma parole d'honneur qu'à moins d'être poursuivi jusque dans l'intérieur de Mondragone, je m'y tinsse enfermé et tranquille.

– Donnez-moi cette parole, mon cher frère, dit le capucin, car elle est capable de tout risquer et de venir ici en se traînant sur les genoux.

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