Enfin ses cheveux, qui, de blonds qu’ils étaient dans sa jeunesse, étaient devenus châtains, et qu’elle portait frisés très clair et avec beaucoup de poudre, encadraient admirablement son visage, auquel le censeur le plus rigide n’eût pu souhaiter qu’un peu moins de rouge, et le statuaire le plus exigeant qu’un peu plus de finesse dans le nez.
Buckingham resta un instant ébloui ; jamais Anne d’Autriche ne lui était apparue aussi belle, au milieu des bals, des fêtes, des carrousels, qu’elle lui apparut en ce moment, vêtue d’une simple robe de satin blanc et accompagnée de doña Estefania, la seule de ses femmes espagnoles qui n’eût pas été chassée par la jalousie du roi et par les persécutions de Richelieu.
Anne d’Autriche fit deux pas en avant ; Buckingham se précipita à ses genoux, et avant que la reine eût pu l’en empêcher, il baisa le bas de sa robe.
« Duc, vous savez déjà que ce n’est pas moi qui vous ai fait écrire.
– Oh ! oui, madame, oui, Votre Majesté, s’écria le duc ; je sais que j’ai été un fou, un insensé de croire que la neige s’animerait, que le marbre s’échaufferait ; mais, que voulez-vous, quand on aime, on croit facilement à l’amour ; d’ailleurs je n’ai pas tout perdu à ce voyage, puisque je vous vois.
– Oui, répondit Anne, mais vous savez pourquoi et comment je vous vois, Milord. Je vous vois par pitié pour vous-même ; je vous vois parce qu’insensible à toutes mes peines, vous vous êtes obstiné à rester dans une ville où, en restant, vous courez risque de la vie et me faites courir risque de mon honneur ; je vous vois pour vous dire que tout nous sépare, les profondeurs de la mer, l’inimitié des royaumes, la sainteté des serments. Il est sacrilège de lutter contre tant de choses, Milord. Je vous vois enfin pour vous dire qu’il ne faut plus nous voir.
– Parlez, madame ; parlez, reine, dit Buckingham ; la douceur de votre voix couvre la dureté de vos paroles. Vous parlez de sacrilège ! mais le sacrilège est dans la séparation des coeurs que Dieu avait formés l’un pour l’autre.
– Milord, s’écria la reine, vous oubliez que je ne vous ai jamais dit que je vous aimais.
– Mais vous ne m’avez jamais dit non plus que vous ne m’aimiez point ; et vraiment, me dire de semblables paroles, ce serait de la part de Votre Majesté une trop grande ingratitude. Car, dites-moi, où trouvez-vous un amour pareil au mien, un amour que ni le temps, ni l’absence, ni le désespoir ne peuvent éteindre ; un amour qui se contente d’un ruban égaré, d’un regard perdu, d’une parole échappée ?
« Il y a trois ans, madame, que je vous ai vue pour la première fois, et depuis trois ans je vous aime ainsi.
« Voulez-vous que je vous dise comment vous étiez vêtue la première fois que je vous vis ? voulez-vous que je détaille chacun des ornements de votre toilette ? Tenez, je vous vois encore : vous étiez assise sur des carreaux, à la mode d’Espagne ; vous aviez une robe de satin vert avec des broderies d’or et d’argent ; des manches pendantes et renouées sur vos beaux bras, sur ces bras admirables, avec de gros diamants ; vous aviez une fraise fermée, un petit bonnet sur votre tête, de la couleur de votre robe, et sur ce bonnet une plume de héron.
« Oh ! tenez, tenez, je ferme les yeux, et je vous vois telle que vous étiez alors ; je les rouvre, et je vous vois telle que vous êtes maintenant, c’est-à-dire cent fois plus belle encore !
– Quelle folie ! murmura Anne d’Autriche, qui n’avait pas le courage d’en vouloir au duc d’avoir si bien conservé son portrait dans son coeur ; quelle folie de nourrir une passion inutile avec de pareils souvenirs !
– Et avec quoi voulez-vous donc que je vive ? je n’ai que des souvenirs, moi. C’est mon bonheur, mon trésor, mon espérance. Chaque fois que je vous vois, c’est un diamant de plus que je renferme dans l’écrin de mon coeur. Celui-ci est le quatrième que vous laissez tomber et que je ramasse ; car en trois ans, madame, je ne vous ai vue que quatre fois : cette première que je viens de vous dire, la seconde chez Mme de Chevreuse, la troisième dans les jardins d’Amiens.
– Duc, dit la reine en rougissant, ne parlez pas de cette soirée.
– Oh ! parlons-en, au contraire, madame, parlons-en : c’est la soirée heureuse et rayonnante de ma vie. Vous rappelez-vous la belle nuit qu’il faisait ? Comme l’air était doux et parfumé, comme le ciel était bleu et tout émaillé d’étoiles ! Ah ! cette fois, madame, j’avais pu être un instant seul avec vous ; cette fois, vous étiez prête à tout me dire, l’isolement de votre vie, les chagrins de votre coeur. Vous étiez appuyée à mon bras, tenez, à celui-ci. Je sentais, en inclinant ma tête à votre côté, vos beaux cheveux effleurer mon visage, et chaque fois qu’ils l’effleuraient je frissonnais de la tête aux pieds. Oh ! reine, reine ! oh ! vous ne savez pas tout ce qu’il y a de félicités du ciel, de joies du paradis enfermées dans un moment pareil. Tenez, mes biens, ma fortune, ma gloire, tout ce qu’il me reste de jours à vivre, pour un pareil instant et pour une semblable nuit ! car cette nuit-là, madame, cette nuit-là vous m’aimiez, je vous le jure.
– Milord, il est possible, oui, que l’influence du lieu, que le charme de cette belle soirée, que la fascination de votre regard, que ces mille circonstances enfin qui se réunissent parfois pour perdre une femme se soient groupées autour de moi dans cette fatale soirée ; mais vous l’avez vu, Milord, la reine est venue au secours de la femme qui faiblissait : au premier mot que vous avez osé dire, à la première hardiesse à laquelle j’ai eu à répondre, j’ai appelé.
– Oh ! oui, oui, cela est vrai, et un autre amour que le mien aurait succombé à cette épreuve ; mais mon amour, à moi, en est sorti plus ardent et plus éternel. Vous avez cru me fuir en revenant à Paris, vous avez cru que je n’oserais quitter le trésor sur lequel mon maître m’avait chargé de veiller. Ah ! que m’importent à moi tous les trésors du monde et tous les rois de la terre ! Huit jours après, j’étais de retour, madame. Cette fois, vous n’avez rien eu à me dire : j’avais risqué ma faveur, ma vie, pour vous voir une seconde, je n’ai pas même touché votre main, et vous m’avez pardonné en me voyant si soumis et si repentant.
– Oui, mais la calomnie s’est emparée de toutes ces folies dans lesquelles je n’étais pour rien, vous le savez bien, Milord. Le roi, excité par M. le cardinal, a fait un éclat terrible : Mme de Vernet a été chassée, Putange exilé, Mme de Chevreuse est tombée en défaveur, et lorsque vous avez voulu revenir comme ambassadeur en France, le roi lui-même, souvenez-vous-en, Milord, le roi lui-même s’y est opposé.
– Oui, et la France va payer d’une guerre le refus de son roi. Je ne puis plus vous voir, madame ; eh bien, je veux chaque jour que vous entendiez parler de moi.
« Quel but pensez-vous qu’aient eu cette expédition de Ré et cette ligue avec les protestants de La Rochelle que je projette ? Le plaisir de vous voir !
« Je n’ai pas l’espoir de pénétrer à main armée jusqu’à Paris, je le sais bien : mais cette guerre pourra amener une paix, cette paix nécessitera un négociateur, ce négociateur ce sera moi. On n’osera plus me refuser alors, et je reviendrai à Paris, et je vous reverrai, et je serai heureux un instant. Des milliers d’hommes, il est vrai, auront payé mon bonheur de leur vie ; mais que m’importera, à moi, pourvu que je vous revoie ! Tout cela est peut-être bien fou, peut-être bien insensé ; mais, dites-moi, quelle femme a un amant plus amoureux ? quelle reine a eu un serviteur plus ardent ?
– Milord, Milord, vous invoquez pour votre défense des choses qui vous accusent encore ; Milord, toutes ces preuves d’amour que vous voulez me donner sont presque des crimes.
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