Keri s’en approcha et y regarda de plus près. Elle avait l’impression de chercher des indices là où il n’y avait rien. Malgré tout, elle déplaça la chaise sur le côté, et la pile de débris vacilla avant de tomber sur le sol.
Elle fut surprise par le son renvoyé par le béton. Au lieu des chocs sourds auxquels elle s’attendait, le son était creux. Le cœur battant plus vite, Keri poussa les débris de côté et sauta sur place, là où ils étaient tombés. Le bruit des chocs était creux. Elle passa la main sur le sol et découvrit que le sol sous la chaise pliante n’était pas du béton, mais du bois peint en gris pour se fondre dans la dalle de béton.
Keri s’efforça de contrôler sa respiration, et parcourut le bois de ses doigts jusqu’à trouver une bosse surélevée. Elle poussa dessus, entendit un déclic, et la plaque de bois s’éleva d’un côté. Elle passa le bras en-dessous pour sortir la plaque, qui faisait la taille d’une bouche d’égouts, de son emplacement.
En-dessous, il y avait un espace d’environ 25 centimètres de profondeur, vide. Aucun papier, aucun appareil. C’était trop exigu pour y cacher quelqu’un. L’espace pouvait accueillir un petit coffre-fort.
Keri chercha un autre mécanisme sur les bords du trou, mais ne trouva rien. Elle ne savait pas ce qu’il avait bien pu y avoir dans ce trou, mais à présent, il n’y avait plus rien. Elle s’assit par terre, à côté, sans trop savoir quoi faire.
Elle regarda sa montre : 13h15. Elle était censée arriver à Beverly Hills dans un quart d’heure. Même si elle partait maintenant, elle risquait d’être en retard. Énervée, elle remit la plaque en bois à sa place et la chaise au-dessus. Puis elle quitta l’entrepôt, et jeta encore un coup d’œil au panneau sur son passage.
Stockage d’objets de valeur. Est-ce que le nom de cette entreprise est un indice, ou bien est-ce que je me fais avoir par un connard cruel ? Est-ce que quelqu’un est en train de me dire ce que je dois faire pour aider Evie, la seule chose qui ait de la valeur pour moi ?
Cette pensée la fit frissonner. Elle sentit ses genoux céder, et tomba au sol. Elle s’efforça de ne pas blesser son bras gauche, qui gisait inutilement dans son écharpe, et dut amortir sa chute avec sa main gauche.
À genoux, au milieu d’un nuage de poussière, Keri ferma les yeux pour repousser les pensées sombres qui l’envahissaient. Malgré tout, une brève vision de sa petite Evie s’imposa à elle.
Evie avait toujours huit ans dans cette vision, ses couettes blondes volant autour de sa tête, le visage blanc comme un linge. Elle était jetée à l’arrière d’une fourgonnette par un homme blond avec un tatouage sur le côté gauche de son cou. Keri entendait le bruit sourd du corps d’Evie s’écrasant à l’intérieur du fourgon. Elle voyait l’homme blond poignarder un adolescent qui voulait l’arrêter. Elle voyait le fourgon démarrer en trombe dans la rue, et la laisser loin derrière, ses pieds nus ensanglantés par la course.
C’était un souvenir encore très vif. Keri ravala un sanglot en repoussant ces images, et s’obligea à revenir au moment présent. Après quelques instants, elle s’était reprise. Elle respira profondément, et sa vision s’éclaircit. Elle se releva.
C’était la première vision qu’elle avait depuis plusieurs semaines – depuis qu’elle avait retrouvé Pachanga. Elle avait espéré qu’elle n’en aurait plus jamais, mais ce n’était pas le cas.
Sa clavicule était endolorie parce qu’elle avait instinctivement avancé le bras pour se préparer à l’impact. Frustrée, elle arracha son écharpe, qui à présent était moins une aide qu’une entrave. De plus, elle ne voulait pas paraître faible lorsqu’elle serait face au docteur Burlingame.
L’entretien avec Burlingame ! Je dois y aller !
Elle parvint jusqu’à sa voiture en trébuchant, et s’inséra dans la circulation, cette fois sans sirène. Elle avait besoin de calme pour le coup de fil qu’elle allait passer.
Keri était tendue pendant qu’elle composait le numéro de la chambre d’hôpital de Ray et attendait qu’il décroche. Elle n’avait aucune raison de se sentir mal à l’aise : Ray était son ami et son coéquipier dans la service des personnes disparues, au sein de la division Pacifique du LAPD.
Le téléphone continuait de sonner, et ses pensées dérivaient vers l’époque avant qu’ils soient collègues, lorsqu’elle était professeur de criminologie à l’université Loyola Marymount. Elle travaillait aussi comme consultante pour le LAPD, et avait aidé Ray pour plusieurs dossiers. Ils s’étaient tout de suite très bien entendus et il lui avait rendu la pareille en faisant des interventions lors de ses cours de faculté.
Après l’enlèvement d’Evie, Keri était tombée dans un trou noir de chagrin. Son mariage s’était effondré, et elle avait commencé à boire et à coucher avec de nombreux étudiants de l’université. Elle avait fini par se faire licencier.
C’est peu après, alors qu’elle était presque à la rue, noyée par l’alcool, habitant une vieille péniche dans la marina, que Ray s’était de nouveau manifesté. Il l’avait convaincue de s’engager dans l’école de police, comme il l’avait fait lui-même après que sa vie avait pris un mauvais tournant.
Ray avait donné à Keri une chance de revivre, de trouver un sens à sa vie. Elle s’en était emparée.
Après sa formation, elle avait travaillé comme simple agent de police, avant d’être promue au rang d’enquêtrice. Elle avait demandé à être affectée à la division Pacifique, qui couvrait une bonne part de l’Ouest de Los Angeles. C’était là qu’elle habitait, et c’était l’endroit qu’elle connaissait le mieux. C’était aussi la division où travaillait Ray. Il avait demandé qu’ils travaillent en binôme, et ils étaient coéquipiers depuis un an lorsque leur rencontre avec Pachanga les avait envoyés tous deux à l’hôpital.
Mais ce n’était pas le rétablissement de Ray qui mettait Keri mal à l’aise. C’était leur relation. En effet, au cours de l’année écoulée, des sentiments s’étaient développés entre eux, grâce à leur grande proximité. Ils le savaient aussi bien l’un que l’autre, mais aucun n’était prêt à en parler directement. Keri ressentait des pincements de jalousie à chaque fois qu’elle appelait le domicile de Ray et qu’une femme répondait. Ray était un séducteur notoire et impénitent, et il n’y avait donc pas à s’étonner. Et pourtant, la jalousie était toujours présente, malgré ses efforts pour la contrôler.
Et Keri savait que Ray ressentait la même chose. Elle avait vu ses yeux lancer des éclairs lorsqu’ils discutaient avec un témoin et que celui-ci lui faisait du charme. Elle pouvait le sentir se raidir à côté d’elle lorsque cela se produisait.
Bien qu’il ait frôlé la mort, ils n’avaient pu se résoudre à en parler ensemble. Pour Keri, c’était en partie parce qu’elle estimait trivial de parler de telles choses alors qu’il se remettait de blessures mortelles. Mais c’était aussi, en partie, parce qu’elle était terrifiée par ce qui pouvait se passer s’ils venaient à tout se dire.
Ainsi, ils faisaient tous deux comme si de rien n’était. Et, puisqu’ils n’étaient pas habitués à se faire des cachotteries, c’était devenu gênant. En écoutant sonner le téléphone de Ray, elle espérait à moitié qu’il décroche, et à moitié qu’il ne réponde pas.
Elle devait lui parler de l’appel anonyme et de ce qu’elle avait découvert à l’entrepôt, mais elle ne savait pas par où commencer.
Finalement, elle ne fut pas confrontée à ce problème : il ne décrocha pas. Au bout de dix sonneries, Keri raccrocha. Il n’y avait pas de messagerie, ce qui signifiait que Ray était probablement sorti de sa chambre. Elle décida de ne pas tenter d’appeler son portable. Il était sans doute dans sa salle de bains ou bien à une séance de rééducation. Elle savait qu’il avait hâte de se remettre en forme, et on lui avait donné le feu vert deux jours plus tôt. Ray avait été boxeur professionnel, et Keri était sûre qu’il consacrerait chaque moment qu’on lui accordait à se remettre d’attaque.
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