Cette idée lui fit penser à Ray. Son coéquipier depuis un an, et ami depuis six, était toujours à l’hôpital, et se remettait d’une blessure par balle. Pachanga lui avait tiré dans le ventre. Heureusement, il allait suffisamment bien pour être transféré de l’hôpital local où il avait été pris en charge à un centre médical de Beverly Hills. Ce n’était qu’à vingt minutes du commissariat, ainsi Keri pouvait lui rendre visite aussi souvent qu’elle le voulait.
Et pourtant, elle n’avait jamais eu l’occasion, durant ces visites, d’aborder le sujet des sentiments amoureux grandissants qu’elle savait qu’ils ressentaient tous les deux.
Elle inspira profondément avant d’entrer dans le commissariat – un parcours familier et pourtant éprouvant, où elle devait se forcer à ignorer les regards furtifs de ses collègues et à ne pas imaginer ce qu’ils pensaient d’elle. C’était comme son tout premier jour : elle sentait tous les regards se poser sur elle.
La considéraient-ils tous comme une personne ingérable, une sorte de chien fou ? Est-ce qu’elle avait gagné un respect réticent de leur part, pour avoir neutralisé un tueur d’enfants ? Combien de temps encore est-ce qu’elle se sentirait à l’écart, simplement parce qu’elle était la seule femme enquêtrice de leur équipe ?
Elle dépassa ses collègues dans le brouhaha de la salle du commissariat et s’affala dans sa chaise de bureau. Elle s’efforça de contrôler le ressentiment qui bouillonnait en elle et de se concentrer sur son travail. Au moins, le commissariat était plus chaotique et bondé que jamais – en ce sens, rien n’avait changé, et c’était rassurant. Le bâtiment était rempli de civils qui déposaient plainte, de délinquants qui se faisaient signaler, et d’agents de police accrochés au téléphone, en train d’enquêter sur leurs dossiers.
On avait assigné à Keri le travail administratif, depuis son retour – et son bureau était recouvert de paperasse. Il y avait des dizaines de rapports d’arrestations à relire, de mandats de perquisition à délivrer, de témoignages à recueillir, et de rapports de preuves à examiner.
Parce qu’elle n’avait pas encore le droit d’aller sur le terrain, elle soupçonnait ses collègues de lui refourguer leur paperasse. Heureusement, elle était censée être autorisée à reprendre les enquêtes dès le lendemain. Et en vérité, cela ne la dérangeait pas tant que ça d’être cantonnée au commissariat : elle pouvait revoir les documents de Pachanga.
Lorsque le domicile de Pachanga avait été perquisitionné, ils avaient trouvé un ordinateur portable. Keri et l’agent Kevin Edgerton, l’expert en technologies informatiques du commissariat, avaient réussi à trouver le mot de passe et à accéder à ses dossiers. Keri espérait que les informations qu’ils contenaient serviraient à retrouver de nombreux autres enfants disparus, et peut-être même sa propre fille.
Malheureusement, ce qui avait semblé être un filon d’informations sur de nombreux enlèvements s’était révélé inaccessible. Edgerton avait expliqué que pour lire les documents, qui étaient cryptés, il leur fallait la clé de cryptage. Or, ils ne l’avaient pas.
Keri avait passé la dernière semaine à s’informer au sujet de Pachanga, dans l’espoir de deviner le code. Mais pour le moment, elle ne trouvait pas.
En relisant des dossiers, Keri repensa à un détail qui la tracassait depuis qu’elle avait repris le travail. Lorsque Pachanga avait kidnappé la fille du sénateur Stafford Penn, Ashley, c’était à la demande du propre frère du sénateur, Payton. Payton et Pachanga étaient en contact depuis plusieurs mois, via le dark web.
Keri se demandait comment il était possible que le frère d’un sénateur parvienne à entrer en contact avec un kidnappeur professionnel – ils n’avaient rien en commun. Sauf une chose : ils étaient tous deux représentés par le même avocat : Jackson Cave.
Le cabinet de Cave se trouvait au sommet d’un gratte-ciel du centre de Los Angeles, mais nombre de ses clients étaient moins aisés. En plus de son travail pour des grandes sociétés, Cave avait consacré une partie de sa carrière à défendre des violeurs, des kidnappeurs, et des pédophiles. Keri soupçonnait, en étant objective, que ce type de clients lui rapportait beaucoup d’argent. Mais lorsqu’elle était d’humeur moins magnanime, elle se disait qu’il devait adorer ce genre de dossiers. Quoi qu’il en soit, elle le détestait.
Puisque Jackson Cave avait fait le lien entre Payton Penn et Alan Pachanga, il était raisonnable d’en déduire qu’il connaissait la clé de cryptage de leurs fichiers. Keri était persuadée que ce code se trouvait quelque part dans ce cabinet élégant, et qu’il lui donnerait des informations sur d’autres enlèvements d’enfants, et peut-être même sur celui de sa propre fille. Elle se promit que d’une façon ou d’une autre, légalement ou non, elle trouverait un moyen d’entrer dans ce cabinet.
Alors qu’elle commençait à réfléchir aux moyens d’y arriver, elle remarqua une agent de police d’une vingtaine d’années, qui s’approchait lentement de son bureau. Elle lui fit signe de venir.
« Comment vous vous appelez, déjà ? » lui demanda Keri, ne se souvenant pas d’avoir été présentée.
« Jamie Castillo, lui répondit la jeune policière aux cheveux sombres. Je viens de finir l’école de police. On m’a envoyée ici quand vous étiez à l’hôpital – à la base, je suis dans la division Ouest du LAPD.
— Donc vous ne m’en voudrez pas que je ne vous connaisse pas ?
— Non, agent Locke. »
Castillo lui avait répondu d’une voix ferme. Keri en était impressionnée ; elle devinait, au regard acéré de ses yeux sombres et à sa confiance en elle, que Castillo était d’une intelligence vive. De plus, elle avait l’air de prendre soin d’elle. D’une taille de 172 centimètres, elle avait une allure athlétique et nerveuse qui suggérait qu’elle savait se défendre.
« Bien. Et qu’est ce que je peux faire pour vous ? » lui demanda Keri, s’efforçant de ne pas paraître intimidante. En effet, les femmes n’étaient pas légion au sein de la division Pacifique, et Keri ne voulait surtout pas l’aliéner.
« J’étais en charge du numéro vert du commissariat, pour les appels et témoignages des gens. Comme vous pouvez imaginer, la plupart des appels portaient sur votre rencontre avec Alan Pachanga, et l’annonce que vous avez faite pour retrouver votre fille. »
Keri acquiesça. Après avoir sauvé Ashley, la police avait tenu une grande conférence de presse pour fêter l’issue heureuse de l’enquête. Keri, qui était encore en fauteuil roulant, avait félicité Ashley et adressé quelques mots à sa famille avant de détourner le but de la conférence, en mentionnant sa fille.
Elle avait montré une photo d’Evie et supplié le public de lui donner des informations qui pourraient l’aider à la retrouver. Son supérieur immédiat, le lieutenant Cole Hillman, semblait tellement lui en vouloir d’avoir détourné la conférence au profit de sa quête personnelle qu’il l’aurait sans doute licenciée sur-le-champ. Toutefois, elle était devenue une héroïne qui sauvait des enfants, et était clouée à son fauteuil roulant, et donc intouchable.
Même lorsqu’elle était coincée à l’hôpital, Keri avait entendu dire qu’il était exaspéré que le commissariat reçoive des centaines d’appels tous les jours.
« Je suis désolée que qu’on vous ait affectée à ça, dit Keri. J’imagine que je voulais profiter d’une opportunité et que je n’ai pas pensé aux conséquences immédiates. J’imagine qu’aucun appel n’a été utile ? »
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