Keri écrivait tout, et tentait d’évaluer sur le moment si ce qu’il disait était plausible. Pour le moment, rien de tout cela ne paraissait suspect, mais cela ne voulait rien dire. N’importe qui pouvait garder son calme au téléphone. Elle voulait voir ses réactions lorsqu’il aurait devant lui deux agents du LAPD.
« Je suis allé au travail et je l’ai appelée sur le chemin. Toujours pas de réponse. Autour de midi, j’ai commencé à m’inquiéter. Aucune de ses amies n’avait eu de ses nouvelles. J’ai appelé notre femme de ménage, Lupe, qui a dit qu’elle n’avait vu Kendra ni hier ni aujourd’hui. C’est à ce moment-là que j’ai vraiment commencé à me faire du souci. Et j’ai appelé le numéro d’urgence. »
Frank Brody se pencha en avant et Keri devina qu’il allait interrompre le docteur. Elle aurait préféré qu’il s’en abstienne, mais elle ne pouvait rien faire. Pour sa part, elle préférait laisser les personnes interrogées parler autant qu’elles voulaient : parfois, elles prenaient confiance et laissaient échapper des informations intéressantes. Mais de toute évidence, ce n’était pas l’avis de Brody.
« Dr Burlingame, dit-il, comment se fait-il que votre appel n’a pas été dirigé vers la police de Beverly Hills ? »
Son ton était bourru, et dépourvu de toute empathie. Keri avait l’impression qu’il se demandait comment ce dossier lui était tombé dessus.
« J’imagine que c’est parce que je vous appelle du bureau, répondit Burlingame. C’est à Marina del Rey. Qu’est ce que ça change ? » Il semblait confus.
« Ça ne change rien, fit Hillman. Nous sommes là pour vous aider. Et notre service des personnes disparues aurait sans doute été sollicité par la police de Beverly Hills, de toute façon. Je vous suggère de retourner chez vous, et mes agents vous retrouveront là-bas vers 13h30. J’ai votre adresse.
— D’accord. Je pars maintenant. »
Hillman raccrocha et regarda ses deux enquêteurs. « Des idées ? demanda-t-il.
— Elle est sans doute partie faire une virée à Cabo avec des copines et a oublié de le lui dire, fit Brody sans hésiter. C’est soit ça, soit il l’a tuée. Après tout, c’est presque toujours le mari. »
Hillman se tourna vers Keri. Elle réfléchit un instant avec de parler. Quelque chose la rendait réticente à aborder ce dossier comme n’importe lequel, mais sans savoir pourquoi exactement.
« Je suis plutôt d’accord, finit-elle par dire. Mais je voudrais regarder cet homme dans les yeux avant de tirer des conclusions.
— Eh bien, vous allez en avoir l’occasion, répondit Hillman. Frank, vous pouvez y aller. Je dois parler à Locke une minute. »
Brody adressa un sourire méchant à Keri avant de partir, comme si elle allait se faire taper sur les doigts alors qu’il y avait échappé. Hillman se leva pour refermer la porte derrière lui.
Keri se prépara mentalement à ce qui allait suivre. Elle savait que ce ne serait pas agréable.
« Je vais vous laisser partir dans une minute, dit-il d’un ton plus doux qu’elle ne s’y attendait. Mais je voudrais vous rappeler deux ou trois choses auparavant. Avant tout, je pense que vous savez que votre intervention, lors de la conférence de presse, ne m’a pas plu du tout. Vous avez fait passer vos intérêts avant ceux de la police. Vous le comprenez ? »
Keri acquiesça.
« Ceci dit, poursuivit Hillman, je voudrais qu’on reparte du bon pied. Je sais que vous étiez en mauvais état, et vous avez cru que ce serait une occasion d’attirer l’attention sur la disparition de votre fille. Je le respecte.
— Merci, monsieur, dit Keri, soulagée mais pressentant une autre remontrance.
— Toutefois, ce n’est pas parce que les médias vous adorent que je ne vous jetterai pas dehors si vous recommencez à faire des opérations en solitaire. C’est compris ?
— Oui, monsieur.
— Bien. Une dernière chose : s’il vous plaît, ménagez-vous. Vous êtes à peine sortie de l’hôpital, ne faites rien qui puisse vous y renvoyer, d’accord ? Bon. Vous pouvez y aller. »
Keri quitta le bureau, légèrement surprise. Elle s’était préparée à ce qu’il la semonce, mais pas à ce qu’il s’inquiète de son bien-être.
Elle chercha Brody des yeux avant de comprendre qu’il était déjà parti. Apparemment, il ne voulait même pas rouler en voiture avec un agent de sexe féminin. D’ordinaire, cela l’aurait agacée, mais aujourd’hui, c’était plutôt une bénédiction.
En se dirigeant vers sa voiture, elle dut réprimer un sourire.
Je vais de nouveau sur le terrain !
Ce n’est que maintenant qu’elle réalisait combien les enquêtes lui avaient manqué. Un sentiment familier d’enthousiasme et d’appréhension commençait à l’envahir, et même la douleur dans ses côtes sembla s’atténuer. En vérité, lorsqu’elle ne travaillait pas à résoudre des enquête, Keri avait l’impression qu’il lui manquait un membre.
Elle ne pouvait pas non plus s’empêcher de sourire à la pensée qu’elle allait enfreindre deux des ordres d’Hillman. Elle s’apprêtait à faire une opération en solitaire et à ne pas se ménager.
En effet, elle ferait un détour en allant chez le docteur : elle irait voir cet entrepôt abandonné.
Keri frayait son chemin dans la circulation, au volant de sa Prius délabrée, sirènes hurlantes. L’adrénaline commençait déjà à monter, et elle agrippait son volant avec force. L’entrepôt de Palms était plus ou moins sur le chemin de Beverly Hills. C’est ainsi que Keri justifiait, dans sa tête, de faire passer la recherche de sa fille, qui avait disparu depuis cinq ans, avant la recherche d’une femme disparue depuis moins d’un jour.
Mais elle devait faire vite. Brody était parti avant elle, et elle pouvait donc se permettre d’arriver après lui, mais si elle prenait trop de temps, Brody irait certainement en parler à Hillman.
Il aurait utilisé n’importe quelle excuse pour éviter de travailler en binôme avec Keri. Et cela lui ressemblait tout à fait, de dénoncer un retard de sa coéquipière. Cela ne laissait que quelques minutes à Keri pour vérifier l’entrepôt.
Elle se gara devant et se dirigea vers l’entrée principale. L’entrepôt était à mi-chemin entre un espace de stockage et un hangar de location de boxes de déménagement. De l’autre côté de la rue, la centrale électrique émettait un bourdonnement étonnamment fort. Keri se demanda si elle s’exposait à des agents cancérigènes en restant devant.
L’entrepôt était ceint d’une clôture bon marché, censée empêcher les sans-abri et drogués de s’introduire sur le terrain. Et pourtant, Keri n’eut aucun mal à se glisser entre les deux battants du portail mal fermé. En s’approchant de la porte de l’entrepôt, elle remarqua un panneau couché sur le sol et recouvert de poussière, qui disait : Stockage d’objets de valeur.
Il n’y avait aucun objet de valeur dans le grand entrepôt. En vérité, il n’y avait rien du tout, excepté quelques chaises pliantes en métal et des petits tas de Placoplatre effrité. Tout avait été enlevé. Keri fit le tour du bâtiment, à la recherche d’un indice concernant Evie, mais ne trouva rien.
Elle s’agenouilla, dans l’espoir qu’une nouvelle perspective lui fasse découvrir quelque chose. Rien n’attirait son attention. Mais au fond du hangar, il y avait quelque chose d’étrange.
Une des chaises pliantes en métal était posée droite, et une pile de morceaux de plâtre, à l’équilibre précaire, s’élevait sur le siège. La pile faisait plus de trente centimètres : elle avait été placée là intentionnellement.
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