Claire se mord la lèvre inférieure. Ça n’a aucun sens. Grace ne lui ferait jamais un truc pareil. C’est sa meilleure amie. C’est probablement Michelle qui veut mettre la zizanie.
« Je suis désolée, Claire » .Je ne veux pas te chambouler ou que tu te disputes avec qui que ce soit... »
« Ah, non ? » fait Claire. « On dirait pourtant le contraire. Pourquoi tu viens me dire un truc pareil ? Pourquoi tu balances des foutaises sur mon amie ? Tu ne la connais même pas et dès que tu en as l’occasion, tu l’accuses. Toi, tu ne sais pas comment se sont réellement déroulés les faits » .
Elle ne voulait pas être grossière, mais après les dernières nouvelles, la tension et la colère avaient pris le dessus sur la maîtrise de soi.
« Il me semble que tu ne le sais pas bien toi non plus » réplique calmement Michelle.
« En tout cas, ce ne sont pas tes affaires » .
« Je te trouve sympa et je pense que tu es une fille intelligente, c’est pour ça que je ne trouve pas cool que ton amie se moque de toi » explique Michelle avec sincérité. « De toute façon, ce n’est pas mon problème et tu n’as probablement aucune raison de te méfier d’elle » conclut-elle, s’apprêtant à partir.
Claire la bloque.
« Après tes éclairantes informations, qu’est-ce-que je suis censée faire maintenant ? »
« Je crois qu’il suffit de reparler avec Grace pour clarifier la situation. En personne » Michelle sourit et hausse les épaules.
Son apparente confiance en soi est désarmante.
« Tu es vraiment sûre de ce que tu as vu ? »
« Oui. Si tu veux une confirmation, tu peux demander à Juliette Babbit. Elle y était aussi et elle avait une meilleure vue que la mienne, parce qu’elle s’occupait du buffet près des tables » Michelle lui dit au revoir et se dirige vers sa Volkswagen jaune.
« C’est qui cette Juliette Babbit ? ! » lui crie au loin Claire.
« Va la trouver » répond en retour Michelle, la laissant plantée là.
Merci beaucoup.
La barbe.
Peut-être que si elle ne lui avait pas répondu aussi mal, elle lui aurait tout expliqué. Elle n’aurait pas dû s’en prendre à elle, mais elle n’a pas pu s’en empêcher. Tout ça est tellement absurde.
Grace lui aurait menti ? Et dans quel but ?
Elle voudrait discuter avec elle et non pas l’interroger sur sa loyauté.
Son estomac gargouille, lui rappelant qu’elle doit encore aller acheter quelque chose pour dîner.
« Si elle n’était pas sortie, elle n’aurait pas rencontré Michelle et elle n’aurait rien su. Merci maman » .
Elle trouve un magasin. Non, elle ne doit pas s’en prendre à sa mère. Elle doit comprendre qui est vraiment responsable et diriger sa mauvaise humeur vers les bonnes personnes.
Elle ouvre la porte du premier magasin qui se présente. Un volailler.
Mince.
Derrière le comptoir rempli de poulets rôtis, une jeune fille lui sourit. Il y en a à toutes les sauces. Même crus. Ce n’est pas vraiment le dîner qu’elle avait imaginé, mais maintenant ce serait malpoli d’inventer une excuse et de ne rien prendre.
Des gamins sont en train de harceler la vendeuse qui, à en juger par ses cheveux attachés en tresses façon petite fille, doit être à peine plus grande qu’eux. Claire les pousse, choisit une portion de frites comme accompagnement qu’elle achète avec un des poulets.
« Doré, croustillant et bien cuit » lui assure la jeune fille.
Claire remarque qu’elle porte un horrible tablier. Même ce machin est en forme de poulet.
Il faut croire qu’il y a bien plus malheureux qu’elle. Pauvre fille.
Elle répond avec un sourire forcé et le visage de la jeune fille s’illumine entièrement.
« Voilà pour toi » elle lui passe le sachet avant d’y ajouter une carte. « À bientôt ! »
« Merci » .
Claire sort et fouille dans le sac pour trouver la carte déposée par la jeune fille. C’est une carte de visite. Très professionnelle.
Puis, elle la lit.
« Poulets de toutes tailles et pour tous les goûts. Nous découpons les cuisses sur demande » .
Elle se met suffisamment à l’écart pour que, depuis la vitrine du magasin, elles ne la voient pas pouffer de rire.
Quel stupide slogan !
Mais, sans s’y attendre, la jeune fille a été la première et l’unique personne de la journée à l’avoir un peu amusée.
À dîner, elle supprime même son commentaire méchant sur le pauvre tablier. Okay, la présentation et l’image du magasin sont à revoir, mais le poulet est excellent. Ni Sophie, ni Milly ne se plaignent. Un vrai miracle.
Claire sourit : ce n’est pas beaucoup, comme consolation, mais au moins elle se sent un peu mieux.
Demain, à l’école, elle résoudra le problème.
« Tel est pris qui croyait me prendre » pense-t-elle.
Elle sait déjà par qui commencer.
MERCREDI 13 MARS.
NATIONALE 77, À 59 MILLES DU DÉSERT DE MOJAVE. LA BASE.
“ L’homme le plus fort a raison ”
Adolf Hitler
Clic.
La musique s’arrête.
La Totentanz de Liszt, provenant des enceintes de la camionnette, s’interrompt soudainement.
S’ensuit l’attente.
Des bruits de pas lourds, énervés, parviennent à l’intérieur.
Le couteau est le premier à apparaître devant la porte, suivi de la main qui l’accompagne et de son propriétaire : « ... C’est toi » grogne-t-il, reconnaissant l’intrus.
À contrecoeur, il baisse la main. Il déteste être interrompu.
Il le voit hocher la tête.
« Tu as fait vite. L’endroit t’a plu » .
Ce n’est pas une question, c’est une constatation.
L’odeur du sang est partout. Telle une présence palpable, pour celui qui est habitué à la sentir.
Il y a un accord.
Ils savent que c’est comme ça. L’inauguration, le moment où l’on coupe le ruban, doit être fait par la bonne personne. Et pour une consécration de ce genre, il faut de l’intimité.
« Rallume » ordonne-t-il. « Et viens à l’intérieur » .
Il est important de rester discret, de ne pas se montrer là, devant.
Un petit sourire. Un nouveau clic.
Les notes recommencent à remplir l’air.
Ils entrent.
Les corps n’y sont pas. Leur adresse a changé.
Aucun mot n’est nécessaire. Il y a toujours trop d’échanges de mots, entre les individus. Les mots sèment le trouble. Les faits, à l’inverse, fixent les règles.
Ils savent comment ça s’est passé. Le lieu était parfait, et était occupé. Donc, il était normal de l’évacuer.
L’évacuation s’est faite en quelques minutes.
La scène est nettoyée. Même sans explications, il était possible de la visualiser mentalement par un simple retour en arrière. La camionnette a identifié la propriété, elle l’a menacée par sa présence. Le bruit du moteur a attiré l’attention. La femme, la vieille, s’est traînée dehors, s’appuyant sur une canne, et a ouvert la porte. Même si elle ne l’avait pas ouverte, cela n’aurait rien changé.
Elle a ouvert la porte mais elle n’a pu prononcer aucun son.
Elle a ouvert la bouche pour essayer. Lentement.
Très lentement.
Son cerveau n’a même pas eu le temps d’enregistrer l’approche rapide des pas, ni le mouvement du bras, ni le bâton arraché à ses doigts.
La femme a ouvert la bouche et le bâton lui est sorti de l’autre côté de la tête.
Le cerveau s’est déconnecté du corps et les yeux se sont arrêtés sur l’écran vide d’une vie interrompue.
Les jambes ont fléchi. Le cadavre est tombé. Le bâton est le premier à être tombé à terre, il s’est encastré dans un angle, puis le cou de la femme s’est brisé en un seul bruit.
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