— Il est possible que Claire ou moi-même disions à un mec que sa femme devrait savoir la vérité. D’habitude, ça les effraie. Parfois, ils nous donnent même un peu plus pour que nous gardions le silence.
— On appelle ça de l’extorsion, signala Dolan.
— De la quoi ? dit Gabby, sincèrement perdue.
— Vous ne vouliez pas poursuivre la relation ? demanda rapidement Jessie, qui ne voulait pas se perdre dans les problèmes secondaires. N’espériez-vous pas que l’homme en question quitterait sa femme pour vous ?
— Vous rigolez ? demanda Gabby, qui avait presque l’air insultée. J’ai vingt-trois ans. Je ne suis pas prête à me ranger. Comme ça, j’ai tous les avantages, mais je peux encore aller faire la fête sans être tenue en laisse par quelqu’un. Le but, c’est de s’amuser sans avoir à travailler trop dur. Je veux dire, je me rangerai peut-être quand je serai vieille, à vingt-six ans ou quelque chose comme ça, mais, pour l’instant, je veux m’amuser.
Il y eut un long silence dans la pièce. Personne ne semblait savoir comment réagir à cet aveu. Jessie essaya de comprendre que, pour Gabby, à près de trente ans, elle était âgée.
— Comment trouvez-vous ces hommes ? réussit-elle finalement à demander.
— Il y a un site web qui s’appelle « The Look of Love » ou « LOL » en abrégé. Il aide les hommes mûrs et riches à rencontrer des jeunes femmes amicales pour sortir avec elles. Ce qui arrive après, ça les regarde.
— Est-ce que vous postez un profil sur le site ? insista Jessie.
— Oui. Comme ça, les mecs peuvent trouver des filles qui leur plaisent. De plus, ça permet au site de vérifier les antécédents des mecs, pour raisons de sécurité.
Jessie et Dolan levèrent les yeux vers Harrington, qui s’était retiré dans un coin du salon et regardait par une des immenses fenêtres qui donnaient sur Santa Monica.
— Avez-vous été soumis à une de ces vérifications ? lui demanda Dolan.
Harrington se retourna, soupira profondément et vint les rejoindre.
— Oui, admit-il.
— Vous ne craigniez pas que ce site web garde un fichier client sur vous ? demanda Jessie.
— J’en ai entendu parler par l’intermédiaire d’un ami qui m’a dit que c’était un bon site. Il connaît la personne qui gère le site, donc, il y a une certaine responsabilité. De plus, c’est un cercle très exclusif. Il y a peut-être quinze à vingt clients et moins de cent filles. Tous les participants ont intérêt à rester discrets.
— Nous allons avoir besoin du nom de l’exploitant du site, lui dit Jessie.
Harrington blêmit.
— Mais, comme Gabby l’a dit, rechigna-t-il, cette pratique n’a rien d’illégal. C’est juste un service de rencontres très exclusif.
— Nous ne cherchons pas à le fermer, lui assura Jessie, qui aurait pourtant bien aimé le faire. Nous avons juste besoin d’accéder au profil de Claire et à son historique de rencontres.
— Est-ce que vous diriez que c’est moi qui vous ai fourni l’information ? gémit-il.
— Seulement si nous sommes forcés de le faire, dit Dolan, faisant preuve, selon Jessie, de plus de déférence envers Harrington qu’envers Gabby.
— Ne vous inquiétez pas, ajouta-t-elle sèchement. Vous devriez pouvoir cacher cette histoire à votre femme, ou du moins jusqu’au procès.
— Quoi ? demanda-t-il, sincèrement horrifié.
— M. Harrington, dit-elle en sachant qu’elle ressentait plus de plaisir à dire ça qu’elle ne l’aurait probablement dû, quand nous attraperons le coupable, il ira au tribunal. Vous devrez témoigner en audience publique. Donc, vous feriez mieux de trouver dès maintenant un moyen d’expliquer votre « rendez-vous » à Mme Harrington. Peut-être devriez-vous l’appeler avant qu’elle ne revienne du voyage prolongé qu’elle fait pour l’instant, celui dont vous profitez pour vous promener si agréablement avec Gabrielle. Je vous souhaite bonne chance.
Jessie était ahurie.
— Pouvez-vous répéter ça ? demanda-t-elle, incrédule.
— Vous m’avez entendu, dit Dolan alors qu’ils se tenaient dans la descente de garage devant le manoir des Harrington. Maintenant, cette affaire est close et je repars au poste.
— L’affaire n’est pas close, lui rappela-t-elle. Il y a un assassin avec des clés maculées de sang qui court dans la nature.
— Ce n’est pas mon problème, dit nonchalamment Dolan. L’affaire est close relativement à Crutchfield et à Thurman. Il est clair que le coupable n’était pas l’un d’eux. Or, comme je recherche ces deux hommes-là, cette affaire est officiellement de priorité inférieure. De plus, les inspecteurs de North Hollywood pourront s’en occuper sans problème. Ils n’auront qu’à obtenir des noms de la part du site de rencontres et trouver quels hommes n’ont pas d’alibi. Je parie qu’ils auront plié ça dans douze heures, sans notre aide.
Jessie savait qu’il avait raison. Les inspecteurs originaux, qu’elle n’avait même pas rencontrés, étaient probablement plus que capables de résoudre cette affaire. De plus, il ne semblait plus y avoir de lien avec les tueurs en série qui la menaçaient. Il était donc difficile de justifier qu’il fallait qu’elle continue à chercher le tueur.
Pourtant, elle voulait vraiment le faire. Ses raisons n’étaient pas toutes altruistes. L’une d’elle était simplement le frisson de la chasse au coupable. Comme cela faisait maintenant plusieurs jours qu’elle était prisonnière de cette maison de la WITSEC, elle n’avait pas pu satisfaire ce plaisir. Maintenant qu’elle avait pris du goût à la chasse, elle ne pouvait pas simplement dire à son instinct de la laisser en paix.
Elle savait aussi que, si le capitaine Decker pensait comme Dolan que cette affaire n’était pas liée aux deux tueurs en série, son expérience et ses compétences en médecine légale, qu’elle avait tellement mises en avant, perdraient tout leur intérêt. La seule raison pour laquelle on lui permettait de travailler sur cette affaire, c’était parce qu’il semblait qu’elle pourrait mieux comprendre la psychologie du tueur. Si ce n’était plus vrai, alors, elle n’aurait plus aucune raison d’être là et cela signifiait probablement qu’on la renverrait dans cette maison de Palms où elle s’ennuierait et passerait sûrement d’innombrables heures à se morfondre à côté de la piscine. Pour éviter ça, elle était prête à tout.
Finalement, sans tenir compte de sa propre situation, il y avait cette fille. Jessie avait vu le visage de Claire, si jeune et si belle, figé sous un masque de peur. Elle avait vu les perforations affreuses qui avaient transformé son cou en immonde bouillie. Ce n’était pas parce que Claire Stanton n’était pas la victime d’un tueur en série qu’elle n’avait pas droit à la justice, elle aussi. Si Jessie pouvait aider à la venger, elle avait l’obligation de le faire. Elle ne pouvait pas se contenter de laisser tomber cette affaire parce que ça ne l’arrangeait pas de travailler dessus. Donc, elle mentit.
— Nous ne sommes pas encore certains que ce n’est pas l’œuvre de Crutchfield ou de Thurman, dit-elle finalement.
L’effet fut indiscutable. Murph et Toomey se retournèrent, surpris.
— De quoi parlez-vous ? demanda Dolan, incrédule. Ce meurtre ne porte les marques d’aucun des deux.
— Il n’en porte aucune marque évidente, dit-elle avec une conviction impressionnante, mais ces hommes sont tous deux très intelligents. Ils savent forcément que, s’ils utilisaient leurs méthodes habituelles, ils seraient aussitôt repérés. Utiliser des clés comme arme du crime leur permettrait à tous les deux de satisfaire cette pulsion meurtrière sans révéler leur implication. En fait, cette manœuvre détournerait efficacement les soupçons et, actuellement, elle semble fonctionner avec vous.
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