— Je n’ai pas reçu cette formation, mais j’ai appris à voir ce que j’ai devant mes yeux, répliqua-t-elle. De plus, j’ai de l’expérience en agressions au couteau. Plus important, je suis formée en comportement psychologique. Or, d’après les images préliminaires que nous voyons ici, je dirais que nous avons probablement affaire à un crime passionnel plutôt qu’à un crime planifié.
— Pourquoi dites-vous ça ? demanda Dolan sans contester l’hypothèse.
— Si le coupable avait planifié le crime, il est difficile d’imaginer qu’il ait pu choisir des clés comme arme. Elles sont trop difficiles à utiliser et d’une efficacité douteuse. Ce meurtre semble avoir été plus impromptu.
— Un crime passionnel ? répéta Dolan sur un ton taquin.
— C’est un cliché, mais oui.
— Cela ne va pas vraiment dans le sens de l’idée selon laquelle ce serait Crutchfield ou Thurman, fit-il remarquer. D’après ce que je comprends, ils sont très méticuleux tous les deux.
— Certes, ça rend leur implication moins probable.
— Quand l’appel a-t-il été passé ? demanda Dolan en se retournant vers l’agent Martin.
— Peu après deux heures du matin. Cantu et son copain revenaient d’une nuit de fête. Elle est allée dans la salle de bains et y a trouvé son amie. Le copain, Carter Harrington, a appelé la police.
Dolan marcha dans la salle de bains pendant quelques secondes de plus. Il avait l’air de s’ennuyer.
— Je crois que nous avons appris tout ce que nous pouvions ici pour l’instant, dit-il en se tournant vers Jessie. Et si on allait voir Gabrielle Cantu afin de recueillir son témoignage ?
Jessie hocha la tête. Elle sentait qu’il essayait de faire avancer les choses. Visiblement, si cette affaire n’était pas liée à l’un de leurs tueurs en série d’exception, il voulait l’établir rapidement pour pouvoir laisser tomber l’affaire et Jessie par la même occasion.
Même si cela lui paraissait froid comme façon d’agir, Jessie ne pouvait pas vraiment lui en vouloir. Il poursuivait les tueurs en série, pas les victimes de meurtres maladroits à coups de clés, et, même si Jessie n’aimait pas l’admettre, elle aussi.
Quel que soit le travail du copain de Gabrielle, Carter Harrington, c’était un travail qui rapportait gros. Le fichier que Jessie lut pendant le trajet indiquait seulement qu’il était investisseur du marché, ce qui pouvait presque tout signifier. Son manoir sécurisé de Briar Summit Drive, juste à côté de Mulholland Drive, était sur trois niveaux et donnait aussi bien sur la vallée de San Fernando que sur l’ouest de Los Angeles. Quand ils eurent sonné et qu’on les eut laissés entrer, la voiture contenant Jessie, Dolan, Murph et Toomey roula sur la longue descente de garage qui menait au parking circulaire situé devant la maison. Les autres marshals restèrent à l’extérieur de la propriété, dans leur véhicule.
Carter Harrington sortit les accueillir. Il avait presque cinquante ans, les cheveux poivre et sel et un physique qui suggérait qu’il avait des quantités de temps pour faire de la gymnastique. Il était habillé de façon décontractée, avec un polo, un pantalon brun clair et des sandales. Il souriait mais, à voir ses yeux rouges et troubles, il était clair qu’il avait passé une nuit blanche.
— Carter Harrington, dit-il en tendant la main à Jessie en premier puis à Dolan. Désolé de faire votre connaissance en de pareilles circonstances.
— Je comprends, dit Jessie. Je suis Jessie Hunt de la Police de Los Angeles et voici Jack Dolan du FBI. Merci d’avoir accepté de nous recevoir aussi rapidement.
— Le FBI ? répéta Harrington, visiblement étonné. Et les inspecteurs auxquels j’ai parlé à la maison ?
— Oh, ils sont encore la première équipe qui travaille sur cette enquête, dit Dolan avec désinvolture, mais nous traitons cette affaire selon une approche multi-juridictionnelle. Ce n’est pas si inhabituel que ça.
Harrington sembla accepter cette réponse qui, pour Jessie, n’avait absolument aucun sens. D’ailleurs, c’était probablement pour cela que Dolan l’avait dite.
— Où est Mme Cantu ? demanda-t-elle.
— Oh, oui, dit-il comme s’il venait de se souvenir pourquoi ces gens étaient venus ici. Gabby est dans le salon et elle regarde la télévision. Elle a pris une dose de Zoloft pour se clamer les nerfs, mais elle est réveillée. Vous êtes arrivés au moment idéal, si ça se trouve. Elle est consciente, mais pas agitée.
— Génial, dit Dolan. Vous pourrez peut-être nous donner votre version des événements pendant que nous allons la rejoindre.
— Bien sûr, acquiesça Harrington avant de remarquer que seul Murph les accompagnait alors que Toomey restait près de la voiture.
— Euh, que fait votre ami, là ? demanda-t-il.
— Oh, il est ici pour nous soutenir psychologiquement, dit Dolan d’un air impassible. Ne faites pas attention à lui, ni à l’autre. Hunt et moi, on s’occupe de l’essentiel.
— OK, dit Harrington en les emmenant dans la maison sans insister alors qu’il était visiblement dérouté par cette façon de faire les choses.
— Donc, dit Jessie en essayant de changer de sujet, que faisiez-vous à la maison la nuit dernière ?
— Ah, oui, dit-il, paraissant soudain mal à l’aise en marchant dans le couloir lambrissé qui s’étendait devant eux. Gabby et moi, ce soir-là, on était sortis. C’était notre premier rendez-vous et nous sommes allés danser dans quelques clubs. Elle m’a invité à venir chez elle et j’ai accepté. J’étais en train de … m’installer dans sa chambre pendant qu’elle allait une minute à la salle de bains. Soudain, je l’ai entendue hurler et je m’y suis précipité. J’y ai trouvé ce que vos collègues y ont trouvé. Sa colocataire gisait dans la baignoire. J’ai appelé la police tout de suite. Nous sommes allés dans le salon et nous y sommes restés jusqu’à l’arrivée des policiers.
— Vous n’aviez jamais rencontré Claire ? demanda Dolan.
Harrington s’arrêta à l’entrée d’une grande pièce qui, supposa Jessie, devait être le salon. Elle entendit le son de la télévision en bruit de fond.
— Non. Je ne savais même pas que Gabby avait une colocataire. Comme je l’ai dit, c’était notre premier rendez-vous. Avant ça, nous avions seulement échangé des SMS et parlé au téléphone.
— Comment avez-vous rencontré Gabby ? demanda Jessie en essayant d’avoir l’air aussi décontractée que possible.
— Sur un site de rencontres, répondit-il simplement.
Est-ce que votre femme le sait ?
Jessie fut tentée de poser la question à voix haute mais décida de la garder pour plus tard, au cas où elle en aurait besoin. Le cercle de peau pâle sur l’annulaire autrement bronzé de Harrington indiquait qu’il avait très récemment divorcé ou qu’il avait enlevé son alliance à cette occasion.
— Pouvez-vous faire les présentations ? demanda Dolan. Nous ne voulons pas l’effrayer en entrant trop soudainement.
— Bien sûr, dit Harrington en les emmenant dans le salon caverneux avec son plafond voûté et ses baies vitrées qui montaient du sol au plafond.
— Gabby, dit-il d’une voix ferme mais douce, il y a des gens qui sont venus te voir.
Une femme allongée sur la chaise longue releva la tête. Même si elle avait l’air épuisée et si ses yeux étaient rouges après, pensait Jessie, avoir passé des heures à pleurer, elle était quand même ravissante. Plus exotique et sensuelle que Claire, qui avait eu l’air entièrement américaine, elle avait de longs cheveux foncés qui tombaient en cascade sur ses épaules. Quand elle se redressa, Jessie vit qu’elle avait la sorte de corps voluptueux qui aurait pu inciter quelqu’un comme Carter Harrington à cacher son alliance.
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