Smith jeta sa cigarette dans l’eau.
Les deux hommes se déplacèrent vers le submersible. Ils y furent rejoints par un troisième homme sec et musclé d’une vingtaine d’années qui avait une cicatrice profonde sur le côté gauche du visage. Il avait aussi la boule à zéro. Ses yeux étaient perçants. Il affirmait être un biologiste marin du nom d’Eric Davis.
Il était évident que ce gamin appartenait aux forces spéciales. Depuis qu’ils étaient montés sur le bateau, il avait à peine prononcé un mot.
Le Nereus jaune vif était installé sur une plate-forme en métal. Il ressemblait à un robot pacifique de film de science-fiction et deux bras robotiques en métal noir dépassaient de l’avant. Au-dessus du pont du chalutier, une grue lourde se profilait, prête à soulever le Nereus et à le plonger dans l’eau. Deux hommes en tenue de plongée orange attendaient pour accrocher le Nereus au câble épais auquel il devait être suspendu.
Smith et ses deux compagnons d’équipage montèrent aux marches et passèrent, l’un après l’autre, par l’écoutille principale. Le gamin des forces spéciales entra le premier, car il devait s’asseoir au fond. Ensuite, ce fut au tour du pilote.
Smith entra le dernier et se glissa dans le siège du copilote. Juste devant lui, il y avait les commandes des bras robotiques. Tout autour de lui, il y avait la bulle transparente du poste de pilotage. Il tendit le bras vers le haut et ferma l’écoutille derrière lui en tournant la valve pour la sceller et la verrouiller.
Il était tout contre le pilote musclé, Bolger. Le verre du poste de pilotage était à seulement trente centimètres de son visage et à quinze centimètres de son épaule droite.
Il faisait chaud à l’intérieur de cette sphère, et ça n’allait pas en s’arrangeant.
— C’est serré, dit Smith.
Il appréciait cette sensation aussi peu que pendant l’entraînement qu’il avait reçu. Un claustrophobe n’aurait pas tenu trois minutes à l’intérieur de ce machin.
— Il faut que tu t’y habitues, dit le pilote. Nous allons y passer pas mal de temps.
Dès que Smith avait scellé l’écoutille, le Nereus s’était réveillé avec un soubresaut. Les hommes l’avaient accroché au câble et la grue l’avait soulevé vers l’eau. Smith regarda derrière eux. Un des hommes en tenue de plongée orange se tenait sur le pont extérieur étroit du Nereus. Il se tenait au câble d’une main lourdement gantée.
En un moment, ils pendirent en l’air, à deux étages de hauteur. La grue les descendit vers l’eau. À présent, le chalutier vert se profilait au-dessus d’eux. Un Zodiac apparut avec un seul homme à bord. Il avançait vite. L’homme qui se tenait sur le pont extérieur s’occupa de détacher les sangles du câble puis monta dans le Zodiac.
Une voix arriva par la radio.
— Nereus, c’est le poste de commande l’Aegean Explorer qui vous parle. Commencez les tests.
— Bien reçu, dit le pilote. Nous commençons maintenant.
L’homme avait une série de commandes devant lui. Il appuya sur un bouton situé en haut du joystick qu’il tenait dans sa main. Ensuite, il commença à actionner des interrupteurs. Sa main gauche charnue passa rapidement de l’un à l’autre. Sa main droite resta sur le joystick. Un air frais et oxygéné commença à souffler dans le minuscule module. Smith inspira profondément. C’était vraiment agréable sur son visage en sueur. La minute d’avant, il avait commencé à avoir trop chaud.
Le pilote et la voix de la radio dialoguèrent en échangeant des informations pendant que le submersible se balançait doucement vers l’avant, puis vers l’arrière. L’eau fit des bulles et s’éleva tout autour d’eux. En quelques secondes, la surface de la Mer Noire leur passa au-dessus de la tête. Smith et l’homme qui se trouvait au fond restaient silencieux et laissaient agir le pilote. C’étaient des professionnels accomplis.
— Lancez le fonctionnement silencieux, dit la voix.
— Fonctionnement silencieux, dit le pilote. À ce soir.
— Bonne chance, Nereus.
Alors, le pilote fit une chose que ne ferait jamais un pilote de submersible civil en quête d’une épave de navire. Il coupa la radio. Ensuite, il éteignit sa radiobalise. Il n’avait plus aucun lien avec la surface.
Est-ce que l’Aegean Explorer pouvait encore voir le Nereus sur le sonar ? Oui, mais l’Explorer savait où se trouvait le Nereus. Dans un moment, même cela ne serait plus vrai. Le Nereus était un point minuscule dans une grande mer.
À toutes fins pratiques, le Nereus avait disparu.
Reed Smith inspira profondément une fois de plus. Ce devait être la trentième fois qu’il allait sous l’eau dans un de ces appareils, aussi bien lors des entraînements qu’en situation réelle, mais il n’arrivait toujours pas à s’y faire. À seulement quatre mètres de profondeur, la mer devenait bleu vif à mesure que la lumière du soleil venant de la surface était dispersée et absorbée. Dans le spectre des couleurs, le rouge était absorbé en premier, ce qui jetait une patine bleue sur le monde sous-marin.
À mesure que le submersible descendait vers les profondeurs, tout devenait plus bleu et plus sombre.
— C’est beau, dit Eric Davis derrière eux.
— Oui, dit le pilote. Je ne m’en lasse jamais.
Ils descendaient dans l’obscurité bleue, profonde et silencieuse. Pourtant, elle n’était pas complète. Smith savait qu’une petite quantité de lumière de la surface les atteignait encore. Ils étaient dans la couche crépusculaire. Sous eux, encore plus profond, il y avait la nuit.
Le noir les enveloppa. Le pilote n’alluma pas ses projecteurs, mais navigua avec ses instruments. Maintenant, il n’y avait plus rien à voir.
Smith laissa son attention divaguer. Il ferma les yeux et inspira profondément une fois, plus une autre fois, et encore une autre fois. Il se laissa emporter par sa gueule de bois. Il avait un travail à faire, mais pas encore. Quand il faudrait qu’il passe à l’action, le pilote, Bolger, le lui dirait. Pour l’instant, il se contentait de flotter dans son esprit. C’était agréable d’écouter le bourdonnement des moteurs et le murmure passager des deux hommes qui, tout en l’accompagnant, bavardaient sur une chose ou une autre.
Le temps passa. Peut-être beaucoup de temps.
— Smith ! siffla Bolger. Smith ! Réveillez-vous.
Smith répondit sans ouvrir les yeux.
— Je ne dors pas. Est-ce qu’on y est ?
— Non. Nous avons un problème.
Smith ouvrit brusquement les yeux. Il fut étonné de voir une obscurité quasi-totale régner tout autour de lui. Les seules lumières venaient des lueurs rouges et vertes du tableau de bord. « Problème » n’était pas un mot qu’il avait envie d’entendre à des centaines de mètres sous la surface de la Mer Noire.
— Que se passe-t-il ?
Le doigt boudiné de Bolger désigna l’écran du sonar. Il y avait quelque chose de gros à peut-être trois kilomètres à leur nord-ouest. Si ce n’était pas une baleine bleue, et il était très peu probable que ça en soit une, alors, c’était un navire d’une sorte ou d’une autre, probablement un sous-marin. Or, d’après ce que savait Smith, un seul pays faisait circuler de vrais sous-marins dans ces eaux-là.
— Et merde ! Pourquoi avez-vous allumé le sonar ?
— J’avais mes doutes, dit Bolger. Je voulais m’assurer que nous soyons seuls.
— Eh bien, il est clair qu’on ne l’est pas, dit Smith. De plus, vous signalez notre présence.
Bolger secoua la tête.
— Ils savaient que nous étions ici.
Il montra deux points beaucoup plus petits, derrière eux, au sud, puis un point similaire vers l’avant et juste à l’est, à moins d’un kilomètre.
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