Le chalet rustique, situé à un endroit pittoresque sur un petit promontoire au-dessus de la Baie de Chesapeake, était dans la famille de Becca depuis cent ans. Becca allait au chalet depuis sa petite enfance et, maintenant, elle faisait comme si elle en était propriétaire. En fait, elle en était effectivement propriétaire.
Elle insistait pour déménager avec le bébé dans sa maison d’Alexandria. Pour Luke, le plus dur, c’était que cette idée commençait à paraître raisonnable.
Il avait commencé à imaginer qu’il arrivait au chalet après une longue journée de travail et qu’il trouvait l’endroit silencieux comme une tombe. Il pouvait presque observer ce qu’il faisait. Il ouvrait le vieux réfrigérateur vrombissant, prenait une bière et allait sur le patio de derrière. Il était juste à l’heure pour assister au coucher du soleil. Il s’asseyait dans une chaise longue et …
CRAC !
Luke faillit sursauter.
Derrière lui, une équipe de sept fusiliers avait tiré une salve en l’air. Le son se diffusa entre les coteaux. Une autre salve arriva, puis une autre.
C’était un salut à vingt-et-une armes, sept à la fois. C’était un honneur que tout le monde ne méritait pas. Martinez était un ancien combattant très décoré qui avait servi sur deux théâtres d’opérations. À présent, il était mort, suicidé, mais ça n’aurait pas dû arriver.
Trois douzaines de soldats se tenaient en formation près de la tombe. Une poignée d’agents Delta et d’ex-agents Delta se tenaient un peu plus loin en civil. On reconnaissait les agents Delta parce qu’ils ressemblaient des stars du rock et s’habillaient comme des stars du rock. Ils étaient grands, larges d’épaules, en tee-shirt et en blazer, en pantalon kaki. Ils avaient une barbe foisonnante et une boucle d’oreille. L’un d’eux avait une large crête iroquoise taillée de près.
Luke se tenait seul, en costume noir, et il scrutait la foule. Il y cherchait un homme qu’il s’attendait à y trouver : un certain Kevin Murphy.
Près de l’avant, il y avait une rangée de chaises pliantes blanches. Une femme réconfortait une autre femme d’âge moyen habillée en noir. Près d’elle, une garde d’honneur constituée de trois Rangers, de deux Marines et d’un pilote de chasse retirèrent soigneusement le drapeau du cercueil et le plièrent. Un des soldats se mit sur un genou devant la femme en deuil et lui présenta le drapeau.
— De la part du Président des États-Unis, dit le jeune Ranger d’une voix brisée par l’émotion, de l’Armée des États-Unis et d’une nation reconnaissante, veuillez accepter ce drapeau comme symbole de notre appréciation pour le service honorable et loyal de votre fils.
Luke regarda une fois de plus les agents Delta. L’un d’eux s’était éloigné et montait seul un coteau verdoyant entre les pierres tombales blanches. Il était grand et sec, avec des cheveux blonds rasés près du crâne. Il portait un jean et une chemise élégante bleu clair. Même s’il était mince, il avait quand même les épaules larges et les bras et les jambes musclés. Ses bras semblaient presque trop longs pour son corps, comme les bras d’une star du basket-ball, ou d’un ptérodactyle.
L’homme marchait lentement, sans particulièrement se presser, comme s’il n’avait rien d’urgent à faire. Il marchait en fixant l’herbe du regard.
Murphy.
Luke quitta l’oraison funèbre et le suivit sur la colline. Il marcha beaucoup plus vite que Murphy et le rattrapa.
Si Martinez était mort, c’était pour de nombreuses raisons, mais la plus évidente était qu’il s’était tiré une balle dans la tête sur son lit d’hôpital. Or, pour cela, quelqu’un lui avait apporté une arme. Luke était sûr à cent pour cent de savoir qui c’était.
— Murphy ! dit-il. Attendez une minute.
Murphy leva le regard et se retourna. Le moment d’avant, il avait semblé perdu dans ses pensées mais, quand il avait entendu Luke, ses yeux s’étaient immédiatement réveillés. Son visage était étroit, en forme d’oiseau, beau à sa façon.
— Luke Stone, dit-il d’une voix monocorde.
Il ne semblait ni content ni mécontent de voir Luke. Son regard était froid. Comme tous les agents Delta, il avait des yeux qui exprimaient une intelligence froidement calculatrice.
— Permettez que je vous accompagne une minute, Murph.
Murphy haussa les épaules.
— Comme vous voulez.
Ils marchèrent au même rythme. Luke ralentit pour s’adapter au pas de Murphy. Pendant un moment, ils marchèrent sans dire un mot.
— Comment allez-vous ? dit Luke.
C’était une formule de politesse étrange de sa part. Luke avait fait la guerre avec cet homme. Ils avaient combattu ensemble une douzaine de fois. Maintenant que Martinez était mort, ils étaient les deux derniers survivants de la pire nuit que Luke ait vécue. On aurait cru qu’il y aurait une certaine intimité entre eux.
Cependant, Murphy ne donna rien à Luke.
— Je vais bien.
C’était tout.
Ni « Comment allez-vous ? », ni « Est-ce que votre bébé est né ?, ni « Il faut qu’on parle ». Murphy n’était pas d’humeur à converser.
— J’ai entendu dire que vous aviez quitté l’Armée, dit Luke.
Murphy sourit et secoua la tête.
— Que puis-je faire pour vous, Stone ?
Luke s’arrêta et saisit Murphy par l’épaule. Murphy se tourna vers lui et repoussa sa main d’un mouvement de l’épaule.
— Je veux vous raconter une histoire, dit Luke.
— Allez-y, dit Murphy.
— Je travaille pour le FBI, maintenant, dit Luke. Une petite agence discrète au sein du Bureau. Espionnage. Opérations spéciales. C’est Don Morris qui gère cette agence.
— Félicitations, dit Murphy. C’est ce que tout le monde disait. Stone est comme un chat. Il retombe toujours sur ses pattes.
Luke ne réagit pas à cette répartie.
— Nous avons accès à des informations. Les meilleures. Nous savons tout. Par exemple, je sais que vous avez manqué à l’appel début avril et que vous avez obtenu une décharge honorable environ six semaines plus tard.
À présent, Murphy riait.
— Vous avez dû chercher pas mal pour obtenir ces informations, hein ? Vous avez envoyé une taupe examiner mon dossier personnel ? Ou leur avez-vous seulement demandé de vous envoyer ça par courriel ?
Luke poursuivit.
— La police de Baltimore a un informateur qui est un lieutenant proche de Wesley ‘Cadillac’ Perkins, leader du gang de rue les Sandtown Bloods.
— C’est sympa, dit Murphy. Le métier de policier doit être fascinant tous les jours.
Il se retourna et recommença à marcher.
Luke marcha avec lui.
— Trois semaines auparavant, Cadillac Perkins et deux gardes du corps ont été attaqués à trois heures du matin pendant qu’ils entraient dans leur voiture dans le parking d’une boîte de nuit. Selon l’informateur, un seul homme les a attaqués, un grand homme blanc mince. Il a assommé les deux gardes du corps en trois ou quatre secondes. Ensuite, il a donné un coup de pistolet à Perkins et lui a volé une serviette contenant au moins trente mille dollars en liquide.
— Cet homme blanc devait être audacieux, dit Murphy.
— L’homme blanc en question a aussi volé à Perkins une arme, un Smith & Wesson.38 reconnaissable grâce à un slogan particulier gravé sur la crosse. Quand On Est Fort, On A Raison. Évidemment, ni l’attaque, ni le vol de l’argent ni la perte de l’arme n’ont été signalés à la police. C’était juste une chose dont cet informateur a parlé avec son responsable.
Murphy ne regardait pas Luke.
— Qu’est-ce que vous me dites, Stone ?
Luke regarda vers l’avant et remarqua qu’ils approchaient de la tombe de John F. Kennedy. Une foule de touristes se tenait le long des dalles de deux cents ans et prenaient des photos du feu de la flamme éternelle.
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