— Oh non, dit-elle en fronçant le nez, j’avais au moins espéré que tu ne m’aurais pas vue danser.
— Il n’y a pas beaucoup de femmes qui dansent en culotte par ici. C’est d’habitude un endroit parfait pour travailler sans être dérangé, mais ce n’est pas très animé. Je suis content que tu sois là, continua-t-il, le désir finissant par se lire dans ses yeux.
— C’est grand, vide et ça résonne un peu ici, hein ? dit-elle en saisissant un cupcake avant d’enlever la caissette en papier.
Ben hocha la tête, la bouche déjà pleine. Ils mangèrent en silence pendant quelques minutes, les yeux rivés sur la TV. Le silence entre eux était moins tendu désormais. Plus confortable.
— Et donc, tu travailles sur quoi ? demanda-t-elle, en dirigeant ses yeux sur son ordinateur portable.
— Hum… je démarre un nouveau projet de logiciel. C’est un genre de renseignement sur Internet, de l’intelligence web. Je sais pas, ça doit probablement te paraître barbant. Ben se gratta l’oreille, mal à l’aise.
— Quel genre de web intelligence ? Plutôt collecte à la source ou analyse de données ? demanda Aurélia, la curiosité piquée.
Ben cligna des yeux, surpris.
— Euh, les deux en fait, répondit-il en secouant la tête. Je veux développer un système tout en un. Quelque chose qui puisse générer des données de surveillance de masse, mais avec des fonctionnalités anonymisant complètement les sources. Et avec ça, on pourrait facilement empêcher la NSA de collecter toutes les informations des gens, si on leur offrait un moyen de faire leur boulot plus efficacement.
— Sans parler du profit que pourrait générer ce genre de programme respectueux de la vie privée des citoyens, ajouta Aurélia impressionnée.
— Ouais, dit-il en lui jetant un autre coup d’œil. C’est tout à fait ça. Lucas pense qu’il y a un gros coup à jouer.
— Je trouve moi aussi que c’est une très bonne idée. Comment récoltez-vous les données par contre ?
— De toutes les manières possibles et imaginables. Par des robots d’indexation principalement. Mais aussi grâce aux sites internet, réseaux sociaux, tout ce à quoi nous pouvons avoir accès. Nous faisons passer des milliards de résultats par jour à travers le système que j’ai mis en place et nous les analysons principalement pour détecter des anomalies. Le système note quand il y a des changements de comportements. Quand certains modèles apparaissent, le système crée une liste de présomptions. On règle les paramètres et ça travaille tout seul.
— En quoi est-il différent du système actuel alors ? le défia Aurélia. Elle aimait la lueur qui s’allumait dans ses yeux quand il parlait de son travail. Ça lui allait bien, décida-t-elle.
— Nous enlevons les marqueurs d’identification des données à mesure qu’elles entrent dans notre système. Nous sommes impartiaux, parce que les données sont impartiales, continua-t-il en s’allongeant et en posant la tête dans sa main. Les muscles épais de son avant-bras se contractèrent, la distrayant à nouveau.
— Euh… dit-elle en essayant de ne pas perdre le fil de ses pensées. Et tu en es où de ce projet exactement ?
— J’ai fini de mettre sur pied un modèle à petite échelle. C’est sur ça que je travaille depuis environ un mois. C’est presque terminé, j’ai juste besoin d’y faire passer une tonne de données pour vérifier les filtres et ajuster les paramètres. J’ai passé la nuit dessus, ajouta-t-il tout penaud.
— Je crois… je crois que c’est le projet pour lequel Lucas m’a recrutée, dit-elle, de l’excitation dans la voix.
— Attends, t’es informaticienne ? demanda-t-il interloqué.
— C’est un peu vexant cette surprise continuelle, dit-elle en le regardant sévèrement.
— Désolé, pardon, c’est juste que, tu sais…, il laissa sa phrase en suspens.
— Non, je ne sais pas non. C’est quoi ? demanda-t-elle en plissant les yeux.
— Regarde-toi. Les femelles dans ton genre ne passent généralement pas leur temps rivées derrière un écran d’ordinateur, dit-il.
— Les femelles comme moi, répéta-t-elle. Et qu’est-ce que c’est censé vouloir dire ça, Ben ?
Elle commença à se lever du canapé, décidée à quitter la pièce et celui qui s’y trouvait.
De la chaleur lui toucha le coude et la grande main de Ben se referma sur son poignet. Aurélia s’arrêta en frissonnant. Il s’était levé et la surplombait de toute sa hauteur. Le duvet de ses bras et de son cou se dressa, mais elle ne savait pas si c’était dû à la peur ou à l’excitation.
— Comme toi, c’est à dire belle, dit-il. C’est ce que j’ai essayé de dire sans y parvenir. Je ne sous-entendais rien d’autre, je le jure.
Aurélia avala sa salive savourant la chaleur qui irradiait de son corps et pénétrait sa peau nue. Sa bouche était sèche, son visage en feu et son souffle court. Pourtant, elle ne tenta pas de fuir le contact.
— Viens voir, lui dit-il doucement en la tirant pour qu’elle se rassoit sur le canapé où il était jusqu’à présent affalé. Il lâcha son poignet et elle fut soulagée. Un peu déçue peut-être, mais surtout soulagée se dit-elle.
Ben ouvrit son ordinateur portable et la première chose qu’elle vit sur l’écran fut une image de chaton. Entourée de texte, un jeu de mot pas bien malin. Mais elle se mit à rire malgré elle quand Ben rougit.
— Qui ne rigole pas devant les mimiques des chats, demanda-t-il en souriant de toutes ses dents.
— Personne, soupira-t-elle ne secouant la tête. Au moins, la tension s’était évaporée.
— Donc mon programme… commença-t-il, impatient de lui montrer son travail. Aurélia se relaxa et se laissa happer par ses explications.
Plusieurs heures plus tard, elle s’étira et grogna. Ben et elle, étaient restés éveillés toute la nuit à parler du projet et à échanger des idées. Leurs esprits étaient parfaitement complémentaires, comme le yin et le yang, ils pensaient pareil, mais abordaient les problèmes sous des angles différents, ce qui faisaient d’eux une équipe parfaite. Ils avaient été impressionnés l’un par l’autre et avant qu’ils ne s’en rendent compte, le soleil se levait déjà.
Quand Aurélia avait baillé et s’était levée prête à lui dire qu’elle allait se retirer dans sa chambre pour grapiller quelques heures de sommeil, Ben l’avait retenue d’un simple toucher.
— Reste avec moi, demanda-t-il, ses yeux ensommeillés, irrésistibles. Je ne t’embêterai pas, je te le promets.
En se mordant la lèvre pour s’empêcher de sourire, Aurélia s’était blottie contre lui. Ben s’était enroulé autour d’elle et elle s’était laissée aller contre lui sans aucun remords.
Aurélia était debout maintenant et elle regardait la silhouette endormie de Ben. Elle sentait son cœur fondre un peu en le regardant. Il avait l’air si jeune, si candide et vulnérable. Ses pensées la ramenèrent vers Lucas, un homme qui paraissait toujours prêt au combat. Même pendant son sommeil, Lucas était comme un lion flamboyant et fier, comparé au loup sombre qu’était Ben.
Secouant la tête, Aurélia tourna les talons et se dirigea vers sa chambre. Elle venait juste de rencontrer Lucas et commençait à lui ouvrir son cœur. Lucas la comblait à tellement de niveaux qu’elle aurait été folle de demander encore plus. Et pourtant, Ben…
Aurélia arrêta d’y penser. C’était trop tôt et elle était trop fatiguée pour penser à cette folie. Elle avait juste été privée d’affection et d’amour pendant tellement longtemps que n’importe qui avec une moitié de cerveau et des abdos bien dessinés aurait réussi à la séduire en quelques heures.
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