William Shakespeare - Beaucoup De Bruit Pour Rien

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DON PÈDRE. – Béatrice, je veux vous en procurer un.

BÉATRICE. – J’aimerais mieux en avoir un de la main de votre père. Votre Altesse n’aurait-elle point un frère qui lui ressemble? Votre père faisait d’excellents maris… si une pauvre fille pouvait atteindre jusqu’à eux.

DON PÈDRE. – Voudriez-vous de moi, madame?

BÉATRICE. – Non, monseigneur, à moins d’en avoir un second pour les jours ouvrables. Votre Altesse est d’un trop grand prix pour qu’on s’en serve tous les jours; mais je vous prie, pardonnez-moi, je suis née pour dire toujours des folies qui n’ont point de fond.

DON PÈDRE. – Votre silence seul me blesse. La gaieté est ce qui vous sied le mieux. Sans aucun doute, vous êtes née dans une heure joyeuse.

BÉATRICE. – Non sûrement, seigneur, ma mère criait, mais une étoile dansait alors, et je naquis sous son aspect. – Cousins, que Dieu vous donne le bonheur!

LÉONATO. – Ma nièce, voulez-vous voir à cette chose dont je vous ai parlé?

BÉATRICE. – Ah! je vous demande pardon, mon oncle; avec la permission de Votre Altesse.

(Elle sort.)

DON PÈDRE. – Voilà sans contredit une femme enjouée.

LÉONATO. – Il est vrai, seigneur, que la mélancolie est un élément qui domine peu chez elle; elle n’est sérieuse que quand elle dort, encore pas toujours. J’ai ouï dire à ma fille que Béatrice rêvait à des malheurs et se réveillait à force de rire.

DON PÈDRE. – Elle ne peut souffrir qu’on lui parle d’un mari.

LÉONATO. – Oh! du tout. Elle décourage tous les aspirants par ses railleries.

DON PÈDRE. – Ce serait une femme parfaite pour Bénédick.

LÉONATO. – Ah! Seigneur! s’ils étaient mariés, monseigneur, seulement huit jours, ils deviendraient fous à force de parler.

DON PÈDRE. – Comte Claudio, quand vous proposez-vous d’aller à l’église?

CLAUDIO. – Demain, seigneur: le temps se traîne sur des béquilles jusqu’à ce que l’Amour ait vu ses rites accomplis.

LÉONATO. – Pas avant lundi, mon cher fils. C’est juste dans huit jours, et le temps est déjà trop court.

DON PÈDRE. – Allons, vous secouez la tête à un si long délai; mais je vous garantis, Claudio, que le temps ne nous pèsera pas; je veux dans l’intervalle entreprendre un des travaux d’Hercule. C’est d’amener le seigneur Bénédick et Béatrice à avoir l’un pour l’autre une montagne d’amour; je voudrais en faire un mariage, et je ne doute pas d’en venir à bout, si vous voulez bien tous trois me prêter l’aide que je vous demanderai.

LÉONATO. – Monseigneur, comptez sur moi, dussé-je passer dix nuits sans dormir.

CLAUDIO. – Seigneur, j’en dis autant.

DON PÈDRE. – Et vous aussi, aimable Héro?

HÉRO. – Je ferai tout ce qu’on pourra faire avec convenance, seigneur, pour procurer à ma cousine un bon mari.

DON PÈDRE. – Et des maris que je connais, Bénédick n’est pas celui qui promet le moins; je puis lui donner cet éloge; il est d’un sang illustre, d’une valeur reconnue, d’une honnêteté prouvée. Je vous enseignerai à disposer votre cousine à devenir amoureuse de Bénédick; tandis que moi, soutenu de mes deux amis, je me charge d’opérer sur Bénédick. En dépit de son esprit vif et de son estomac particulier, je veux qu’il s’enflamme pour Béatrice. Si nous pouvons réussir, Cupidon cesse d’être un archer: toute sa gloire nous appartiendra, comme aux seuls dieux de l’amour. Entrez avec moi, et je vous expliquerai mon projet.

(Ils sortent.)

SCÈNE II

Appartement du palais de Léonato.

Entrent don Juan et Borachio.

DON JUAN. – C’est une affaire conclue, le comte Claudio épouse la fille de Léonato.

BORACHIO. – Oui, seigneur; mais je puis traverser cette affaire.

DON JUAN. – Tout obstacle, toute entrave, toute machination sera un baume pour mon cœur. Je suis malade de la haine que je lui porte, et tout ce qui pourra contrarier ses inclinations s’accordera avec les miennes. – Comment feras-tu pour entraver le mariage?

BORACHIO. – Ce ne sera pas par des voies honnêtes, seigneur; mais elles seront si secrètes, qu’on ne pourra m’accuser de malhonnêteté.

DON JUAN. – Vite, dis-moi comment.

BORACHIO. – Je croyais vous avoir dit, seigneur, il y a un an, combien j’étais dans les bonnes grâces de Marguerite, suivante d’Héro.

DON JUAN. – Je m’en souviens.

BORACHIO. – Je puis, à une heure indue de la nuit, la charger de se montrer au balcon de l’appartement de sa maîtresse.

DON JUAN. – Qu’y a-t-il là qui soit capable de tuer ce mariage [21]?

BORACHIO. – Le poison, c’est à vous à l’extraire, seigneur. Allez trouver le prince votre frère, ne craignez point de lui dire qu’il compromet son honneur, en unissant l’illustre Claudio, dont vous faites le plus grand cas, à une vraie prostituée, comme Héro.

DON JUAN. – Quelle preuve en fournirai-je?

BORACHIO. – Une preuve assez forte pour abuser le prince, tourmenter Claudio, perdre Héro, et tuer Léonato. Avez-vous quelque autre but?

DON JUAN. – Seulement pour les désoler, il n’est rien que je n’entreprenne.

BORACHIO. – Allons donc, trouvez-moi une heure propice pour attirer à l’écart don Pèdre et Claudio. Dites-leur que vous savez qu’Héro m’aime. Affectez du zèle pour le prince et pour le comte, comme si vous veniez conduit par l’intérêt que vous prenez à l’honneur de votre frère qui a fait ce mariage, et à la réputation de son ami qui se laisse ainsi tromper par les dehors de cette fille… que vous avez découvert être fausse. Ils ne le croiront guère sans preuve; offrez-en une qui ne sera pas moins que de me voir à la fenêtre de la chambre d’Héro; entendez-moi dans la nuit appeler Marguerite, Héro, et Marguerite me nommer Borachio. Amenez-les pour voir cela la nuit même qui précédera le mariage projeté; car dans l’intervalle je conduirai l’affaire de façon à ce qu’Héro soit absente, et sa déloyauté paraîtra si évidente que le soupçon sera nommé certitude, et tous les préparatifs seront abandonnés.

DON JUAN. – Quelque revers possible que l’événement amène, je veux suivre ton dessein. Sois adroit dans le maniement de tout ceci, et ton salaire est de mille ducats.

BORACHIO. – Soyez vous-même ferme dans l’accusation, et mon adresse n’aura pas à rougir.

DON JUAN. – Je vais de ce pas m’informer du jour de leur mariage.

SCÈNE III

Le jardin de Léonato.

Entrent Bénédick et un page.

BÉNÉDICK. – Page!

LE PAGE. – Seigneur?

BÉNÉDICK. – Sur la fenêtre de ma chambre est un livre; apporte-le moi dans le verger.

LE PAGE. – Me voilà déjà ici, seigneur.

BÉNÉDICK. – Je le vois bien, mais je voudrais que tu t’en fusses allé et te voir de retour. (Le page sort.) Je suis étonné qu’un homme qui voit combien un autre homme est sot qui se dévoue à l’amour, après avoir ri de cette folie dans autrui, puisse lui-même ensuite consentir à servir de texte à son propre mépris, en devenant lui-même amoureux; et Claudio est ainsi. J’ai vu le temps où il ne connaissait d’autre musique que le fifre et le tambour; aujourd’hui il aimerait mieux entendre le tambourin et la flûte. J’ai vu le temps où il aurait fait dix milles à pied pour voir une bonne armure; à présent il veillera dix nuits pour méditer sur la façon d’un nouveau pourpoint. Il avait coutume de parler simplement et d’aller au but comme un honnête homme et un soldat; maintenant le voilà puriste; ses phrases ressemblent à un festin bizarre, tant il y a de plats étranges. Se pourrait-il qu’en voyant avec mes yeux, je fusse jamais métamorphosé comme lui? Je ne sais qu’en dire; mais je ne crois pas. Je ne jurerais pas qu’un beau matin l’Amour ne pût me transformer en huître; mais j’en fais le serment, qu’avant qu’il ait fait de moi une huître, il ne fera jamais de moi un sot comme le comte: une femme est belle, et cependant je vais bien; une autre est aimable, cependant je vais bien; une autre est vertueuse, cependant je vais bien. Non, jusqu’au jour où toutes les grâces seront réunies dans une seule femme, aucune ne trouvera grâce auprès de moi. Elle sera riche, cela est certain; sage, ou je ne veux point d’elle; vertueuse, ou jamais je ne la marchanderai; belle, ou je ne regarderai jamais son visage; douce, ou qu’elle ne m’approche pas; noble, ou je n’en donnerais pas un ducaton; elle saura bien causer, sera bonne musicienne; et ses cheveux seront de la couleur qu’il plaira à Dieu. – Ah! voici le prince et monsieur l’ Amour . Il faut me cacher dans le bosquet.

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