Nous nous sommes reconnus,
Un peuple neuf ...
Naissait avec des noms nouveaux,
C'était la Résistance.
Le soir, autour des feux de camp dans les hautes vallées, cependant que près des baite (granges), quelques hommes montent la garde, les chansons s'élèvent, chœurs spontanément harmonieux que ces anciens des divisions d 'Alpini, ces montagnards et ces bûcherons reprennent, mêlant la mélancolie à la violence :
Là-haut sur la montagne, Drapeau noir,
Un partisan est mort en faisant la guerre,
Un Italien de plus s'en va sous la terre.
Il y trouve un Alpino mort en Russie.
Allemands et fascistes, hors d'Italie !
Morte est la pitié, morte est la pitié.
6.
« Partisan » : ce mot que chantent les résistants italiens, on l'entend aussi, en ces premiers mois de 1944 en France, dans les maquis d'Auvergne, de Dordogne, de l'Ain, sur le plateau des Glières, dans le massif du Vercors.
Les jeunes gens qui fuient le Service du Travail Obligatoire entonnent ce Chant des partisans , écrit par Maurice Druon et Joseph Kessel à Londres.
Ils sont tous deux d'origine russe et le mot évoque la « guerre » des partisans en Russie.
Ami, entends-tu
Le vol noir des corbeaux
Sur nos plaines ?
Ami, entends-tu
Les cris sourds du pays
Qu'on enchaîne ?
Ohé ! partisans [...]
À la balle ou au couteau
Tuez vite.
« Morte est la pitié », comme disent les partisans italiens. Car l'occupation allemande se fait de plus en plus lourde. Le Gauleiter Sauckel, chargé du recrutement de la main-d'œuvre dans les pays soumis, exige de la France 2 millions d'hommes, dont 300 000 doivent être transférés immédiatement dans ces premières semaines de janvier 1944. Il faut s'y opposer :
Montez de la mine,
Descendez des collines,
Camarades !
Mais les maquis sont en difficulté.
Un rapport de la Résistance souligne la « lassitude » des maquisards.
« Les chefs manquent - conséquence de la trahison des officiers. Les armes manquent. On constate le relâchement de la discipline, l'accroissement des coups de main inutiles, la dislocation de nombreux camps. »
Tom Morel - officier de chasseurs alpins - sent l'étreinte des Allemands se resserrer autour du plateau des Glières.
Les miliciens de Darnand, les GMR (Groupes Mobiles de Réserve), les gendarmes sont aux côtés des troupes allemandes.
Tom Morel est résolu à se battre.
« L'heure est venue en effet d'agir, écrit-il dès le 4 janvier 1944. Les événements se précipitent. Nous avons donc à passer encore de dures journées ; mais cela prouve que l'aurore s'éclaire et que le fameux jour ne va pas tarder à arriver. »
Deux semaines plus tard, lors de l'attaque d'une voiture allemande, Morel se trouve avec son pistolet enrayé en face d'un SS armé. Il bondit, roule sur le sol avec son adversaire, essaie de le désarmer, un maquisard se précipite, tue le SS à bout portant.
Une colonne blindée allemande, attaquée à son tour, réussit à progresser, à tuer trente maquisards, et subit des pertes.
En représailles, elle brûle hameaux et villages, exécute les maquisards faits prisonniers.
Jamais la répression n'a été aussi impitoyable.
Les Allemands veulent détruire cette Résistance armée, ces maquis, qui le « fameux jour », celui du débarquement allié, peuvent couper les voies de communication, prendre les Allemands à revers.
Alors, d'un bout à l'autre de la France, les Allemands - leurs soldats et leur Gestapo, - les miliciens, les GMR, les tortionnaires de la bande « Bonny-Lafont » (la Gestapo française installée à Paris, rue Lauriston) arrêtent, saccagent, torturent, déportent, tuent.
La Gestapo et la Milice sont bien renseignées.
Les rafles se multiplient à Lyon, à Paris.
« Pour nous tous, un coup de massue, dit un chef de la Résistance, au moins 70 arrestations. »
Darnand tient à Lyon une conférence de presse, pérorant, annonçant que « les forces du maintien de l'ordre ont décapité l'état-major du terrorisme en Zone Sud... Les patrons des terroristes étaient deux Juifs communistes qui se faisaient passer pour gaullistes. »
Mensonges : il s'agit du capitaine Fould et de l'historien Marc Bloch, professeur à la Sorbonne, tous deux sans attaches avec le Parti communiste.
Marc Bloch, arrêté début mars, sera fusillé le 16 juin 1944.
Ainsi, durant les trois premiers mois de 1944, la Résistance est frappée comme elle ne l'a jamais été depuis l'arrestation de Jean Moulin et du général Delestraint, en juin 1943.
Le 3 février 1944, Pierre Brossolette est arrêté, alors qu'à bord d'une grosse embarcation il tente de gagner l'Angleterre. La tempête a contraint l'équipage de cet esquif - Jouet des flots - à s'échouer.
Les gendarmes les arrêtent. Ils sont emprisonnés à Rennes.
Brossolette réussit d'abord à cacher son identité, mais l'arrestation d'un « courrier » à la frontière espagnole portant sur lui le récit du départ en bateau de Brossolette permet aux Allemands de l'identifier.
Pierre Brossolette se sait perdu : il connaît tout de l'organisation de la Résistance. Rien ne lui sera épargné. Conduit avenue Foch, au siège de la Gestapo, Brossolette trompe la surveillance des gardiens et se jette du cinquième étage dans le vide.
Il meurt à minuit le 22 mars 1944.
La Gestapo enverra son corps - avec d'autres cadavres - au Père-Lachaise, pour y être incinéré. Il n'est plus qu'une poignée de cendres anonymes.
Pour le seul mois de mars et pour les seules cours martiales de Darnand, 38 patriotes sont condamnés à mort et, après un simulacre de jugement, fusillés par les gardes mobiles.
Les Allemands organisent des « raids », dans les départements où les maquis se sont développés - Jura, Ain, Savoie, Haute-Savoie, Gard, Lozère, Ardèche, Dordogne, Corrèze, Haute-Vienne.
Les « tueurs » de la bande Bonny-Lafont les accompagnent, volent, violent, torturent, assassinent.
Quand deux officiers SS sont tués non loin de Brantôme, la ville est livrée aux tueurs de Bonny-Lafont, ces derniers paradant en uniforme d'officiers de la Gestapo.
Ils exécutent 25 otages, et multiplient les sévices.
Puis ils investissent Tulle, frappant les passants, terrorisant la population.
Aux côtés de Bonny et de Lafont, un « capitaine » Henry commande la « Waffen nord-africaine » composée de repris de justice, prêts à toutes les violences.
Fermes, hameaux brûlés, paysans fusillés, blessés achevés : pas un département de France n'échappe à cette terreur que les Allemands et leurs séides appliquent systématiquement.
Les morts sont enfouis dans la mémoire désespérée de leurs proches, mais ils sont trop humbles pour rester vivants dans l'histoire nationale.
Qui se souvient du massacre de tous les habitants du hameau des Crottes, près de la Bastide-de-Virac dans l'Ardèche ? Ils étaient 16, hommes, femmes et enfants.
Et qui se souvient des 17 pendus de Nîmes ?
« ... Traversant Nîmes à bicyclette pour retourner à Montpellier, raconte un résistant, j'ignorais tout des sauvages exécutions d'otages auxquelles les nazis venaient de procéder quelques heures plus tôt en divers points de la ville. C'est à la sortie du passage inférieur sous le viaduc du chemin de fer, en arrivant à Nîmes par la route d'Uzès, que j'ai vu les premiers cadavres de suppliciés. Six hommes avaient été poussés dans le vide par-dessus le parapet auquel avaient été fixées des cordes. Les jambes dépassaient très largement et chaque fois qu'un car ou un camion passait sous le viaduc, il les heurtait, imprimant aux corps un sinistre balancement. Les quelques passants se hâtaient, osant à peine lever les yeux. Les rares automobilistes arrivant de face freinaient brutalement, puis repartaient et passaient sous ce gibet improvisé.
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