– Je comprends maintenant que tu veuilles te trouver à son arrivée.
– Oh! ce que je te raconte là n’est rien, et je ne sais pas pourquoi je te le raconte. Nous nous sommes dit encore beaucoup d’autres choses.
– A onze heures et demie, tu dis? Comment sais-tu qu’il arrive par ce train?
– Parce qu’il l’a écrit à maman sur une carte postale; et puis j’ai vérifié sur l’indicateur.
– Tu déjeuneras avec lui?
– Oh! non, il faut que je sois de retour ici pour midi. J’aurai juste le temps de lui serrer la main; mais ça me suffit… Ah! dis encore, avant que je ne m’endorme: quand est-ce que je te revois?
– Pas avant quelques jours. Pas avant que je ne me sois tiré d’affaire.
– Mais tout de même… si je pouvais t’aider.
– Si tu m’aidais? – Non. Ça ne serait pas de jeu. Il me semblerait que je triche. Dors bien.
Mon père était une bête, mais ma mère avait de l’esprit, elle était quiétiste; c’était une petite femme douce qui me disait souvent: Mon fils, vous serez damné. Mais cela ne lui faisait point de peine.
FONTENELLE
Non, ce n’était pas chez sa maîtresse que Vincent Molinier s’en allait ainsi chaque soir. Encore qu’il marche vite, suivons-le. Du haut de la rue Notre-Dame-des-Champs où il habite, Vincent descend jusqu’à la rue Saint-Placide qui la prolonge; puis rue du Bac où quelques bourgeois attardés circulent encore. Il s’arrête rue de Babylone devant une porte cochère, qui s’ouvre. Le voici chez le comte de Passavant. S’il ne venait pas ici souvent, il n’entrerait pas si crânement dans ce fastueux hôtel. Le laquais qui lui ouvre sait très bien ce qui se cache de timidité sous cette feinte assurance. Vincent affecte de ne pas lui tendre son chapeau que, de loin, il jette sur un fauteuil. Pourtant, il n’y a pas longtemps que Vincent vient ici. Robert de Passavant, qui se dit maintenant son ami, ést l’ami de beaucoup de monde. Je ne sais trop comment Vincent et lui se sont connus. Au lycée sans doute, encore que Robert de Passavant soit sensiblement plus âgé que Vincent; ils s’étaient perdus de vue quelques années, puis, tout dernièrement, rencontrés de nouveau, certain soir que, par extraordinaire, Olivier accompagnait son frère au théâtre; pendant l’entrante Passavant leur avait à tous deux offert des glaces; il avait appris ce soir-là que Vincent venait d’achever son externat, qu’il était indécis, ne sachant pas s’il se présenterait comme interne; les sciences naturelles, à dire vrai, l’attiraient plus que la médecine; mais la nécessité de gagner sa vie… Bref, Vincent avait accepté volontiers la proposition rémunératrice que lui fît peu de temps après Robert de Passavant, de venir chaque nuit soigner son vieux père, qu’une opération assez grave laissait fort ébranlé: il s’agissait de pansements à renouveler, de délicats sondages, de piqûres, enfin de je ne sais trop quoi qui exigeait des mains expertes. Mais, en plus de ceci, le vicomte avait de secrètes raisons pour se rapprocher de Vincent; et celui-ci en avait d’autres encore pour accepter. La raison secrète de Robert, nous tâcherons de la découvrir par la suite; quant à celle de Vincent, la voici: un grand besoin d’argent le pressait. Lorsqu’on a le coeur bien en place, et qu’une saine éducation vous a inculqué de bonne heure le sens des responsabilités, on ne fait pas un enfant à une femme sans se sentir quelque peu engagé vis-à-vis d’elle, surtout lorsque cette femme a quitté son mari pour vous suivre. Vincent avait mené jus qu’alors une vie assez vertueuse. Son aventure avec Laura lui paraissait, suivant les heures du jour, ou monstrueuse ou toute naturelle. Il suffit, bien souvent, de l’addition d’une quantité de petits faits très simples et très naturels, chacun pris à part, pour obtenir un total monstrueux. Il se redisait cela tout en marchant et cela ne le tirait pas d’affaire. Certes il n’avait jamais songé à prendre cette femme définitivement à sa charge, à l’épouser après divorce ou à vivre avec elle sans l’épouser; il était bien forcé de s’avouer qu’il ne ressentait pas pour elle un grand amour; mais il la savait à Paris sans ressources; il avait causé sa détresse: il lui devait, à tout le moins, cette première assistance précaire qu’il se sentait fort en peine de lui assurer – aujourd’hui moins qu’hier encore, moins que ces jours derniers. Car, la semaine dernière il possédait encore les cinq mille francs que sa mère avait patiemment et péniblement mis de côté pour faciliter le début de sa carrière; ces cinq mille francs eussent suffi sans doute pour les couches de sa maîtresse, sa pension dans une clinique, les premiers soins donnés à l’enfant. De quel démon alors avait-il écouté le conseil? – la somme, déjà remise en pensée à cette femme, cette somme qu’il lui vouait, lui consacrait, et dont il se fût trouvé bien coupable de rien distraire, quel démon lui souffla, certain soir, qu’elle serait probablement insuffisante? Non, ce n’était pas Robert de Passavant. Robert jamais n’avait rien dit de semblable: mais sa proposition d’emmener Vincent dans un salon de jeu, tomba précisément ce soir-là. Et Vincent avait accepté.
Ce tripot avait ceci de perfide, que tout s’y passait entre gens du monde, entre amis. Robert présenta son ami Vincent aux uns et aux autres. Vincent, pris au dépourvu, ne put pas jouer gros jeu ce premier soir. Il n’avait presque rien sur lui et refusa les quelques billets que proposa de lui avancer le vicomte. Mais, comme il gagnait, il regretta de n’avoir point risqué davantage et promit de revenir le lendemain.
– A présent, tout le monde ici vous connaît; ce n’est plus la peine que je vous accompagne, lui dit Robert.
Ceci se passait chez Pierre de Brouville, qu’on appelais plus communément Pedro. A partir de ce premier soir, Robert de Passavant avait mis son auto à la disposition de son nouvel ami. Vincent s’amenait vers onze heures, causait un quart d’heure avec Robert en fumant une cigarette, puis montait au premier, et s’attardait auprès du comte plus ou moins de temps suivant l’humeur de celui-ci, sa patience et l’exigence de son état; puis l’auto l’emmenait rue Saint-Florentin, chez Pedro, d’où elle le ramenait une heure plus tard et le reconduisait, non pas précisément chez lui, car il eût craint d’attirer l’attention, mais au plus prochain carrefour.
La nuit avant-dernière, Laura Douviers, assise sur les marches de l’escalier qui mène à l’appartement des Molinier, avait attendu Vincent jusqu’à trois heures; c’est alors seulement qu’il était rentré. Cette nuit-là, du reste, Vincent n’était pas allé chez Pedro. Il n’avait plus rien à y perdre. Depuis deux jours, il ne lui restait des cinq mille francs, plus un sou. Il en avait avisé Laura; il lui avait écrit qu’il ne pouvait plus rien pour elle; qu’il lui conseillait de retourner auprès de son mari, ou de son père; d’avouer tout. Mais l’aveu paraissait désormais impossible à Laura, et même elle ne le pouvait envisager de sang-froid. Les objurgations de son amant ne soulevaient en elle qu’indignation et cette indignation ne la quittait que pour l’abandonner au désespoir. C’est dans cet état que l’avait retrouvée Vincent. Elle avait voulu le retenir; il s’était arraché d’entre ses bras. Certes, il avait dû se raidir, car il était de coeur sensible; mais plus voluptueux qu’aimant, il s’était fait facilement, de la dureté même, un devoir. Il n’avait rien répondu à ses supplications, à ses plaintes; et, comme Olivier qui les entendit le racontait ensuite à Bernard, elle était restée, après que Vincent eut refermé sa porte sur elle, effondrée sur les marches, à sangloter longtemps, dans le noir.
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